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La littérature française à l'heure d'Haïti, 1791-1859 (Sorbonne nouvelle)

La littérature française à l'heure d'Haïti, 1791-1859 (Sorbonne nouvelle)

Publié le par Marc Escola (Source : François Vanoosthuyse)

La littérature française à l’heure d’Haïti

1791-1859

Colloque international

Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3

5 et 6 novembre 2020

 

Organisation :

Sarga Moussa (CNRS, UMR Thalim)

François Vanoosthuyse (Univ. de Rouen, EA CEREdI)

 

La révolte des esclaves de Saint-Domingue en 1791 enclenche en France et dans les colonies un processus politique complexe et deux fois conflictuel, auquel l’adoption du décret d’abolition de l’esclavage en 1848 ne met pas fin. Le premier conflit est celui qui oppose la France et Saint-Domingue, devenue la République d’Haïti en 1804, avec deux points d’orgue : 1802 (rétablissement de l’esclavage, campagne militaire, capture de Toussaint Louverture) et 1825 (reconnaissance de la République d’Haïti par la France suite à une crise militaro-diplomatique et à la promesse du versement par Haïti de cent-cinquante millions de francs-or). Le second conflit est celui qui oppose esclavagistes et abolitionnistes en France et dans les colonies, en même temps que dans d’autres pays concernés par la question de l’esclavage (le Royaume-Uni et les États-Unis en particulier). Les deux camps se structurent autour de sociétés qui ont une activité de lobbyisme et de production idéologique : 1788, création de la Société des Amis des Noirs ; 1789, création du club de l’hôtel de Massiac, principal lobby négrier français, qui aura l’oreille de Napoléon ; 1821, naissance de la Société de la morale chrétienne, d’obédience protestante, fréquentée par Guizot ; 1834 : naissance de l’Association Française pour l’Abolition de l’Esclavage (d’obédience catholique).

Les deux conflits produisent de la littérature : il s’agit d’abord de témoignages, d’histoires, de romans, de pièces de vers et de pièces de théâtre qui racontent les événements révolutionnaires d’Haïti sur un mode partisan plus ou moins explicite (Oxiane, ou la Révolution de Saint-Domingue de François Barthe ; L’Incendie du Cap ou le règne de Toussaint Louverture de René Périn), ou y font allusion (Georges de Dumas). Ces textes comportent éventuellement, selon leur genre, illustrations, cartes, statistiques.

Plus généralement la figure du Noir, de l’esclave noir, du Noir révolté (figure héroïque, néfaste ou ambivalente), et du Noir libre, en particulier du Haïtien, est beaucoup plus répandue dans la littérature française du XIXe siècle qu’on ne le pense ordinairement. Il ne fait guère de doute que l’actualité haïtienne y soit pour beaucoup. On peut également supposer que ce vaste corpus de textes romanesques, mélodramatiques ou tragiques ayant pour héros des Noirs est tombé dans l’oubli pour des raisons politiques.

En dehors des fictions, sont publiés dans la période quantité d’essais polémiques, de pamphlets, de lettres ouvertes, d’articles de presse, de discours politiques, qui concernent ce qu’on n’appelle pas encore la condition noire (textes de l’abbé Grégoire, de l’abbé de Pradt, de Lamartine, ou, dans l’autre camp, de Laujon, de Tussac, de Baudry des Lozières, etc.). Certains représentants du parti esclavagiste sont des colons exilés en Louisiane qui publient à Paris (Pierre-Louis Berquin-Duvallon, Jean-Baptiste Berthier par exemple).

Les bases de l’argumentaire raciste sont élaborées sous Napoléon (voir notamment le traité du docteur Virey, Histoire naturelle du genre humain [1801]). Les bases de l’argumentaire égalitaire et abolitionniste sont héritées des Lumières et portées par des libéraux, des socialistes ou des chrétiens, jusqu’à la fin de la seconde République, qui correspond, côté haïtien, à la prise du pouvoir par Faustin Soulouque puis à son couronnement comme empereur (1852), imité de celui de Louis-Napoléon Bonaparte. En 1859 paraît Stella, d’Émeric Bergeaud, le premier roman haïtien, qui raconte la révolte de 1791.

Les textes bien connus, ayant donné lieu à de nombreuses éditions et illustrations depuis le xixe siècle, méritent d’être relus dans le cadre des débats et des recherches contemporaines sur l’histoire de la colonisation et de l’esclavage et sur la condition noire (les deux versions de Bug-Jargal, Ourika, Tamango, Atar-Gull, Georges…) ; d’autres textes ont fait l’objet de rééditions récentes, pour la plupart dans la collection « Autrement mêmes » dirigée par Roger Little chez L’Harmattan (Blanche et Noir, Le Nègre et la Créole, Tremblement de terre de la Martinique, Les Massacres de Saint-Domingue, etc.) ; d’autres encore ont été numérisés et sont aisément consultables en ligne par exemple sur le site de la Bibliothèque Nationale de France.

Le colloque accorde un sens large au mot « littérature » et pose principalement les questions suivantes :

  • Qu’est-ce qui change, dans les discours abolitionnistes comme dans les discours colonialistes et esclavagistes, après la révolte des esclaves de Saint-Domingue en 1791 ?
  • Si l’on fait l’hypothèse que les fictions qui traitent de l’esclavage dans d’autres aires géographiques qu’Haïti (par exemple l’Afrique, ou Maurice, la Martinique ou la Guadeloupe), révèlent de manière détournée la trace laissée dans les mémoires françaises par la révolution d’Haïti, alors comment interpréter ce transfert lui-même ?
  • Quelles représentations textuelles ou iconographiques du « Noir », esclave ou libre, homme ou femme, adulte ou enfant, jeune ou vieux, sont diffusées par la littérature de langue française après 1791 ? Les autres dates clés de cette histoire pourront également être prises pour référence.
  • Pourquoi des Noirs sont-ils les héros de fictions mélodramatiques françaises jusque sous le second Empire ? Quel est le sens politique de ces textes ?
  • Quelle place accorder, dans cette histoire de textes et d’images, aux premiers intervenants et aux premières productions haïtiennes de la période (aux Mémoires de Toussaint Louverture et au témoignage de son fils Isaac, à Stella, aux premiers écrits historiques haïtiens) ?
  • Comment appréhender l’hypothèse développée par l’anthropologue haïtien Michel-Rolf Trouillot dans son essai Silencing the past. Power and Production of History (1995), selon laquelle la révolution haïtienne, pour ses contemporains blancs, est un événement qui est demeuré impensable ?
  • Comment penser le contexte international de cette production littéraire ? Question qui fait signe, d’une part, vers l’existence de la République d’Haïti, et d’autre part vers les transferts culturels constants entre Royaume-Uni, États-Unis et France.
  • Comment lire aujourd’hui cette production littéraire, dans sa diversité ? En adoptant quel point de vue ? En racontant quelle histoire ? En recourant à quels outils critiques ?
  • « La littérature française à l’heure d’Haïti » : quels outils théoriques pour penser Haïti dans l’histoire de la littérature française ?

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Les propositions de communication, avec un titre et un résumé d’une demi-page à une page, sont à envoyer aux deux coordinateurs pour le 15 mars 2020 :

smoussa@free.fr ; vanoosthuyse.f@gmail.com