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La langue d'Éric Chevillard ou « le grand déménagement du monde »

La langue d'Éric Chevillard ou « le grand déménagement du monde »

Publié le par Ivanne Rialland (Source : Cécile Narjoux)

La langue d'Éric Chevillard ou « le grand déménagement du monde »

 

Après les recueils de contributions consacrés à La Langue de Sylvie Germain, « En mouvement d'écriture », Dijon, EUD, 2010 et à La Langue de Mauvignier, « une langue qui court », Dijon, EUD, à paraître en cette fin d'année 2011, nous poursuivons notre investigation du matériau langagier dans ses réalisations et ses singularisations littéraires les plus contemporaines par l'étude de « la langue de Chevillard ».

 

L'oeuvre d'Éric Chevillard, romancier publié aux Éditions de Minuit depuis 1987, présente dans cette mesure un intérêt particulier.

Il est certes l'auteur de dix-huit romans depuis Mourir m'enrhume jusqu'à Dino Egger en 2011 ; mais il est aussi l'auteur, depuis 2007, d'un blog, L'Autofictif, dans lequel il écrit quotidiennement trois courts billets de quelques lignes. Trois volumes de ces billets sont parus depuis 2009, aux éditions L'Arbre Vengeur qui reprennent sans modification les textes publiés en ligne : L'Autofictif – Journal 2007-2008 ; L'Autofictif voit une loutre – Journal 2008-2009, ; L'Autofictif père et fils – Journal 2009-2010.

 

Cette double posture auctoriale caractéristique, nous semble-t-il du nouveau siècle, ne peut manquer d'intéresser le stylisticien vingt-et-uniémiste. Elle pose la question du statut de l'écrivain au regard de son support de publication – où l'écrivain se pose-t-il comme tel ? sur le papier ou sur le blog ? Le « moi-je » écrivant s'y inscrit-il différemment ? 

Elle pose aussi celle du rapport au temps qui s'en suit ; ce dont s'explique Chevillard dans un entretien : « Ce qui change, c’est la vitesse. L’écrivain après tout le monde est entré dans l’ère de la vitesse, du moins lorsqu’il intervient sur la Toile. La vitesse, une sensation que cet homme de bureau ralenti par la gravure sur marbre de ses phrases intemporelles ignorait jusqu’alors. L’action d’écrire porte tout de suite, dans l’instant. Il y a une ivresse nouvelle, là, pour l’écrivain, c’est indéniable »1. Si la littérature est un art du temps (A. Herschberg Pierrot), alors Chevillard sur son blog expérimente, selon ses mots, l'écriture « sans la longueur du temps » ; les réalisations de la phrase comme « expérience du temps » (L. Jenny) devraient donc rendre compte, selon le support, de ce rapport différent au temps. Paradoxalement, cette double expérience reste celle d'une inscription dans le temps et l'on peut peut-être voir dans les formes fragmentaires du blog, une oeuvre en cours d'élaboration, un arrêt sur image dans un processus plus vaste, dont le roman serait l'aboutissement. Chevillard propose cette lecture de son oeuvre qui affirme « Je pratique depuis toujours la forme fragmentaire, je mentirais donc en vous disant que le mode de diffusion de ces textes sur Internet entre en jeu dans leur conception et que mon rapport à l’écriture s’en trouve bouleversé »2. Et François Bon de noter que « ce qu’on le voit écrire, dans L’Autofictif, c’est le roman qui paraît chez Minuit, cette année Dino Egger comme l’an dernier le très violent Choir. Il n’y a pas d’un côté le chroniqueur, et de l’autre le romancier : le système qui mène l’oeuvre de Chevillard [...], c’est l’interrogation même sur le statut de ce que porte le roman, personnages, objets, vision du monde. »3

 

Au coeur de ce rapport singulier au temps, c'est bien le dispositif même de la langue tournée en style qui apparaît et l'importance de son rapport à la norme. Chevillard note encore : « Tout écrivain qui a un style travaille surtout à élaborer le dispositif dans lequel celui-ci pourra donner sa pleine mesure. Il dame la piste. Puis il lâche ses chiens, ou ses chevaux, qui courent naturellement. [...] L'écrivain hors du roman n'a pas ce souci. Il fait feu de tout bois. [...] Les fragments de mon blog, ce sont des faits de langue, ni plus ni moins que l'exercice absolu de ma liberté, ma façon à moi, écrivain, de courir, de danser, de me battre, ce contre-attaquer, de délirer, de sauter en l'air de joie ou d'indignation… »4

La liberté pourrait être, plus largement, une des caractéristiques de l'écriture de Chevillard, une de ses aspirations ; celle d'une « forme particulière » du livre « lorsqu’il déborde du cadre romanesque souvent assez classique au départ pour devenir un objet inassimilable et même monstrueux »5 ; celle d'une langue qui expérimente le champ des possibles selon les supports, et se cherche, avec le rêve ludique d'un « livre sur rien » « comme pure extase, jubilation, danse, harmonie, et réforme radicale des lois de ce monde »6.

C'est l'objet de cette journée d'étude et du recueil qui en découlera que de rassembler des contributions intéressées, dans une perspective résolument linguistique, par « le grand déménagement du monde »7 que rêve d'être la « langue » de Chevillard, dans ses choix syntaxiques, lexicologiques, énonciatifs, narratologiques, stylistiques...

CN

 

La journée d'étude se déroulera le 14 janvier 2012 à l'Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines.

Les actes de cette journée seront rassemblés pour évaluation en vue d'une publication fin 2012 aux Editions Universitaires de Dijon (EUD).

Les propositions de communication devront parvenir avant le 15 novembre 2011 par courrier électronique aux adresses suivantes :

cecile.narjoux@paris-sorbonne.fr

Sophie.Bertocchi-Jollin@uvsq.fr

 

 

1Dans Lemi, « Entretiens : questions - réponses », Article XI, 27 septembre 2008 ; en ligne sur http://www.article11.info/spip/spip.php?article108

2Ibid.

3François Bon, « Chevillard, nous-mêmes », 4 mars 2011 ; en ligne sur : http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2456.

4Hubert Artus, « Ces blogs qui deviennent des livres : l'expérience Chevillard », Rue89, 14 mars 2009 ; en ligne sur : http://www.rue89.com/cabinet-de-lecture/2009/03/14/ces-blogs-qui-deviennent-des-livres-lexperience-chevillard

5Dans Lemi, « Entretiens : questions - réponses », Art. cit.

6Ibid.

7Ibid.