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La Grande Guerre: un siècle de fictions romanesques   

La Grande Guerre: un siècle de fictions romanesques

Publié le par Julia Peslier (Source : Griet Theeten)

Alors que les écrivains qui s’inspiraient de la Première Guerre mondiale entendaient témoigner de ce que fut cette guerre au quotidien, beaucoup d’entre eux ont néanmoins choisi d’écrire des fictions plutôt que de publier des témoignages. Le roman et, dans une moindre mesure, la nouvelle apparaissent comme les genres les plus visibles dans le champ thématique, certainement quand avec le recul on considère le succès des œuvres.

Aujourd’hui à nouveau, après une absence remarquable entre 1945 et 1980, la Grande Guerre s'impose aux écrivains. L'image reste fortement déterminée par les fictions qui lui ont été consacrées pendant les deux grandes périodes d’intérêt antérieures : la guerre et l’entre-deux-guerres. De Barbusse et Dorgelès à Giono, Romains et Martin du Gard, les classiques du genre appartiennent évidemment aux deux premières époques, mais il est important d’observer que dans les vingt-cinq dernières années beaucoup d’écrivains, et non des moindres, ont choisi de situer leurs romans pendant la Première Guerre mondiale. Un auteur de la nouvelle génération, Jean Rouaud, écrit dans Les champs d’honneur : « Nous n'avons jamais vraiment écouté ces vieillards de vingt ans dont le témoignage nous aiderait à remonter le chemin de l'horreur ».

A près de 75 ans de distance, la littérature recommence à interroger cet événement majeur du XXe siècle : on songera p.e. aux œuvres de P. Bergounioux, D. Daeninckx, Ph. Claudel, L. Gaudé, D. Hébrard, S. Japrisot, Cl. Simon ou H. Mingarelli en France ou à celles de X. Hanotte en Belgique. La période contemporaine, souscrivant aux méfiances des décennies précédentes envers l'esthétique réaliste sans s'interdire de restituer le réel, tente de le rendre a posteriori et de reconstruire une approche enquêtrice de la réalité historique. L’actualité de la Grande Guerre s’observe d’ailleurs dans les autres pays européens où les dernières années ont vu la multiplication des fictions de guerre : on assiste aujourd’hui à une véritable (ré)appropriation de cette période, en particulier par des écrivains nés après 1945 et qui n’ont donc connu aucune guerre.

Malgré l’actualité de la problématique, on constate que la littérature s’inspirant de 14-18 reste peu étudiée. Les littéraires la tenaient en peu d’estime et ont longtemps abandonné le champ aux historiens, lesquels se sont emparés des textes dans des perspectives et avec des outils qui leur étaient propres, mais en négligeant souvent la composante littéraire. On interroge plus volontiers les textes sur leur fidélité à l’histoire et sur les choix idéologiques que sur leur écriture. De manière caractéristique, les quelques études d’ensemble disponibles s’inscrivent toutes dans la lignée de l’histoire littéraire descriptive traditionnelle.

Il est manifeste en outre que la critique privilégie presque systématiquement les mêmes œuvres, jugées représentatives -parfois hâtivement et à tort. Les lecteurs d’aujourd’hui délaissent ainsi des œuvres qui ont pourtant eu un large retentissement: à côté de la littérature populaire, on pourrait mentionner Chaine du côté « pacifiste », Benjamin, Bertrand, Ph. Barrès, Dumur du côté des « patriotes ».

Il ne s’agira pas en premier lieu d’étudier le lien entre littérature et histoire pour aboutir à des conclusions sur la « fidélité » des fictions comme pouvait le faire Jean Norton Cru et d’autres à sa suite, mais de rassembler des chercheurs familiers du corpus afin d’étudier le fonctionnement et les enjeux des fictions. Le colloque, organisé par l’Université de Gand (Pierre Schoentjes), l’Université de Lille 3 (Dominique Viart) et le In Flanders Fields Museum (Piet Chielens) se propose de placer le texte des romans au centre de ses préoccupations et invite littéraires et historiens à concentrer sur lui leurs regards. L’intertextualité, les rapprochements avec les littératures étrangères, les liens avec d’autres formes artistiques, les rapports entre narration et description, les modes de représentation, la question du « réalisme », les valeurs véhiculées, l’étude des procédés d’écriture et des structures propres se profilent comme axes de recherche importants, parmi d’autres.

La guerre comme sujet littéraire comporte en effet des contraintes dans des domaines fort divers, tant esthétiques qu’éthiques, et qu’il importe de démêler. Dans ce contexte il apparaît essentiel d’écouter la parole des écrivains qui aujourd’hui revisitent la Première Guerre mondiale : la qualité de leurs fictions et le succès qu’elles rencontrent auprès des lecteurs permettent d’espérer qu’ils avancent des éléments de réponses différents de ceux des spécialistes. Cette rencontre offrira l’occasion de nouer le dialogue avec un public chaque jour plus convaincu que la littérature de 14-18 n’est pas affaire d’anciens combattants.

Programme

13 mars 2008 : L’auteur et son écriture
(In Flanders Fields Museum, Lakenhallen Grote Markt 34, 8900 Ypres)
Présidence : Sophie de Schaepdrijver, Pierre Schoentjes

09h00-09h30 Accueil et inscription


09h30-12h45 Séance du matin – Salle des conférences (hôtel de ville, 2e étage)


Ruth Amossy (Université de Tel Aviv) : Médecins et infirmières de la Grande Guerre ; comment un témoignage devient-il littérature ?
Sophie de Schaepdrijver (Pennsylvania State University) : Grands cœurs et rancœurs : les fictions d'occupation en Belgique
Madeleine Frédéric (Université Libre de Bruxelles) : L'écriture de l'événement chez Le Clézio, Rouaud et Hanotte
Gianfranco Rubino (Università di Roma) : Visions de l'entre-deux-guerres: Martin du Gard, Romains
Gisèle Bienne (auteur) : Cendrars, La main coupée, le grand livre


12h45-14h00 Déjeuner


14h00-17h45 Séance de l’après-midi – Salle des conférences (hôtel de ville, 2e étage)


Martin Hurcombe (University of Bristol) : Guerre du souvenir et guerre des sexes dans Le camarade infidèle de Jean Schlumberger et Le réveil des morts de Roland Dorgelès
Jacques Dubois (Université de Liège) : Du côté des embusqués : Proust et 14-18
Alastair Duncan (University of Stirling) : L’Acacia de Claude Simon: un roman de guerres
Galit Haddad (Université de Tel Aviv, CRH-EHESS) : Léon Werth : fiction et protestation libertaire
Griet Theeten (Universiteit Gent) : La mémoire de la Grande Guerre dans les romans policiers contemporains


20h00 Films de guerre : Les âmes grises (d’Yves Angelo, d’après le roman de Philippe Claudel) – Chromophobia (de Raoul Servais), introduit par Raoul Servais – Koninklijke zaal, Halles aux Draps, 1er étage

14 mars 2008 : Regards croisés sur les textes
(In Flanders Fields Museum, Ypres)
Présidence : Sophie de Schaepdrijver, Pierre Schoentjes

09h30-12h45 Séance du matin – Salle des conférences (hôtel de ville, 2e étage)


Didier Alexandre (Université Paris-IV) : La fiction comme préalable au sens de la Première Guerre Mondiale
Pierre Schoentjes (Universiteit Gent) : Le présent de l’écriture, ou « Les véritables écrivains ont rarement dépeint ce qu’ils avaient vu » (Dorgelès)
Annette Becker (Université Paris X) : Le poète assassiné : Apollinaire entre vie au front, blessure, trauma et fiction
Nicolas Beaupré (Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand) : Nécrologies d'écrivains : la survie littéraire des écrivains morts à la guerre (pratiques, hommages et figures imposées)
Leonard V. Smith (Oberlin College) : Ce que finir veut dire : fin et clôture dans le roman de la grande guerre des années 1930


12h45-14h00 Déjeuner


14h00-17h45
Séance de l’après-midi – Salle des conférences (hôtel de ville, 2e étage)


Carine Trévisan (Université Paris-VII) : La topographie de l’absence : paysages contemporains de la Grande Guerre
Luc Rasson (Universiteit Antwerpen) : Est-ce que la guerre animalise les hommes?
Laurent Véray (Université Paris-X) : L’adaptations cinématographique de romans de guerre
Roger Grenier (auteur, comité de lecture des Editions Gallimard) : L’illustration : l’image génératrice de fiction
Dominique Viart (Université Lille-III) : En quête du passé : la Grande Guerre dans la Littérature contemporaine


20h00 Last Post à la porte de Menin


20h30 Dîner – Restaurant Pacific Eiland (Eiland 2, Ypres)

15 mars 2008 : Paysages littéraires – Ecrire la guerre aujourd’hui
(Villa Marguerite Yourcenar, Saint-Jans-Cappel)

10h00-12h00 Paysages littéraires : circuit entre Ypres et le mont Noir, sur les traces de la littérature française (e.a. Deauville, Maurois, Giono, Yourcenar).
Départ : Ypres, aire de stationnement pour autocars à côté des Halles aux draps, arrivée : Villa Marguerite Yourcenar, centre départemental de résidence d’écrivains européens (retour vers 17h30)


12h15 Déjeuner


13h30-17h00 Table ronde animée par Dominique Viart et Pierre Schoentjes.
Rencontre avec des auteurs de fictions sur la Première Guerre mondiale : Gisèle Bienne, Philippe Claudel, Didier Daeninckx, Roger Grenier, Xavier Hanotte, Jean Rouaud et Jean-Marc Turine.