Article paru le 27 novembre 2008
La formation des maîtres dans la tourmente
Éducation. La mobilisation s'intensifie contre la « masterisation » imposée par le gouvernement. Un projet discret mais pas moins dangereux.
Les médias en parlent peu. Et pourtant, la discrète réforme de la formation des enseignants, censée entrer en vigueur à partir de la rentrée 2009, rencontre une opposition de plus en plus résolue. Sur Internet, les tribunes se multiplient. Et côtoient, désormais, une pétition promise à un bel avenir (1). Lancé à l'initiative d'enseignants et de chercheurs, « L'appel du 8 novembre » exige le retrait du projet actuel. En l'espace d'une dizaine de jours, il a recueilli plus de 12 700 signatures ! Une vidéo décryptant point par point les dangers de cette « réforme du recrutement » rencontre, elle aussi, un joli succès (2). Moins de deux semaines après sa mise en ligne, elle a été visionnée plus de 17 000 fois… Hier, la FSU s'est jointe à ce concert de protestations. Le principal syndicat du primaire et du secondaire a appelé le gouvernement à « prendre du temps pour une autre réforme ».
Lancé au mois de juin dernier par Nicolas Sarkozy, le projet, mené au pas de charge, est censé « revaloriser » la formation des aspirants enseignants et améliorer leur « professionnalisation ». Notamment en l'intégrant à un cursus de master, en lieu et place des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Beaux discours ? « Ces sont des contre-vérités », clament les nombreux détracteurs. À raison.
Appauvrissement de la formation
La grande nouveauté est bien évidemment cette « masterisation » de la formation. Actuellement, il faut être titulaire au minimum d'une licence (bac + 3) pour intégrer les IUFM. L'étudiant effectue alors une année de préparation au concours. Puis, en cas de réussite, une année de formation professionnelle en alternance (50 % de cours, 50 % de stage), au cours de laquelle il est en charge d'une classe, une journée par semaine ou plusieurs semaines d'affilée, et bien entendu rémunéré à hauteur de 1 500 euros par mois.
Dans le projet gouvernemental, fini l'année de formation professionnelle ! Les candidats devront justifier d'un master 2 (bac + 5), la deuxième année de ce cursus devant servir à acquérir les connaissances, à passer les concours « d'admissibilité » en janvier et « d'admission » en juin, et, enfin, à effectuer, si possible, un stage pratique… « Comment les jurys pourront-ils évaluer l'aptitude à enseigner de candidats qui n'ont pas eu de contacts avec une classe ? », s'étonne Christophe Mileschi, professeur à Paris-X Nanterre.
Précarisation des enseignants
Le gouvernement supprime évidemment la rémunération de cette deuxième année de master. « Une mesure injuste socialement », dénoncent en choeur ses opposants. « Cela met en difficulté les étudiants qui sont dans l'incertitude et devront faire des études plus longues sans aides, ni prérecrutements », note La FSU. Au passage, les étudiants perdent une année de cotisation retraite. Pour le gouvernement, il n'y a pas de petites économies…
Surtout, cette masterisation va mécaniquement accentuer la précarisation. Que deviendront, en effet, ceux qui ont décroché leur « master enseignement » mais qui n'ont pas eu de place au concours ? « Ils vont se retrouver sans poste, note Alexis Grélois, maître de conférence à l'université de Rouen. Ils deviendront soit vacataires, largués au bout de 200 heures d'enseignement, soit contractuels, avec 24 heures d'enseignement par semaine, payés dix mois par an… »
Les lauréats, eux, jetés en pâture devant une classe, devront effectuer avant leur titularisation quinze à dix-huit heures par semaines (contre six à huit heures auparavant) accompagnés par un professeur « aguerri ». Un alourdissement des heures de cours des débutants qui devrait, selon le SNES-FSU, permettre au gouvernement de gagner 7 000 postes. Sa principale ambition ?
(1) http://appeldu8novembre.fr/phpPetitions/index.php ?petition-2
(2) http://fr.youtube.com/watch ?v=cnwdEqFbgms
Laurent Mouloud