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La figure de Boileau : représentations, institutions, méthodes (xviie- xxie siècles)

La figure de Boileau : représentations, institutions, méthodes (xviie- xxie siècles)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Delphine Reguig)

Colloque 24-26 mars 2016

La figure de Boileau : représentations, institutions, méthodes (xviie- xxie siècles)

 

Colloque organisé dans le cadre du Centre d’Étude de la Langue et des Littératures françaises (UMR 8599 du CNRS et de l’Université Paris-Sorbonne) et de l’Observatoire de la vie littéraire (OBVIL)

 

L’histoire littéraire naissante s’est emparée de la figure de Boileau comme d’un trophée. Le Boileau de Lanson, pour ne citer que ce seul exemple, fait de l’auteur des satires le dépositaire  du « goût français » et n’hésite pas à conclure sur la persistance de « quelque chose de Boileau, et quelque chose d’essentiel, dans toutes les œuvres qui réussiront chez nous. » Un siècle plus tard, Marc Fumaroli souligne l’importance du geste à la fois poétique et politique de Boileau offrant au roi en 1674 l’ensemble de ses Œuvres diverses, « sorte de concordat entre son règne et les lettres », où se lit une « doctrine profondément conservatrice » mais aussi « libérale » (« Les Abeilles et les araignées », essai précédant l’anthologie d’A.-M. Lecoq, La Querelle des Anciens et des Modernes, Paris, Gallimard, 2001, p. 153). Pour les historiens de la littérature, héritiers à maints égards du Siècle de Louis XIV de Voltaire, Boileau représente à lui seul une certaine idée de ce que doit être la littérature française, notamment dans son rapport à la constitution d’un patrimoine national. C’est donc cette représentation-là de Boileau, de l’Auteur plutôt que de l’œuvre, qui s’est trouvée défendue et objectivée en tant que fait historique, la plupart du temps au détriment du texte lui-même et cela jusque dans les approches critiques les plus récentes. La figure de Boileau « Président » de la République des Lettres (selon la décision d’Albert Thibaudet dans son Tableau de la littérature française), fabriquée par un certain finalisme historique, a permis de conférer la consistance nécessaire à la catégorie de « classicisme » essentielle à la cohérence même de l’histoire littéraire qui s’écrivait alors. Figure cardinale mais dépourvue de monumentalité, qui ne prétend pas à la prééminence, Boileau incarne le principe cohésif d’une littérature, la littérature française, qui prétend trouver son unité dans une sociabilité dialectique plutôt que dans l’élection d’une œuvre-Acropole incarnant à son sommet le génie littéraire national : la fonction cohésive de Boileau n’est en rien celle que peuvent avoir ailleurs Dante, Shakespeare, Cervantès ou Goethe.

Quelles sont les raisons et les mécanismes d’un tel déplacement de l’œuvre vers la figure ? La stratégie de Boileau elle-même, dans sa nature littéraire et ses conséquences politiques, l’a largement encouragé. Boileau écrit dans une perspective qui l’inscrit au cœur d’un projet de rénovation sociale : la satire, genre par lequel il cherche à conquérir la reconnaissance, genre dans lequel son tempérament poétique s’exprime le mieux, constitue son lieu poétique naturel. Or, il s’agit d’un genre politique et Boileau satirique est perçu par ses contemporains comme un homme de pouvoir. La pratique de la satire, par laquelle il entendait énoncer la valeur littéraire, a sans doute donné à Boileau un rôle institutionnel qui a fini par dépasser ses intentions initiales. Boileau affiche bien dans le Discours sur la satire sa volonté de pratiquer le genre comme une démarche de critique à la fois sociale et littéraire, cela à l’exemple de Juvénal. C’est à ce titre qu’il suscite les animosités les plus vives et qu’il a favorisé une cristallisation politique autour de sa figure. Cette cristallisation a sans doute été accélérée et durcie dans la Querelle des Anciens et des Modernes : Boileau a alors été identifié à la démarche satirique, à la virulence critique et donc à la menace autoritaire. Pratiquant hautement un genre littéraire où le rapport de force est inscrit dans son fonctionnement même, Boileau a été perçu (par Perrault notamment) comme celui qui détenait le pouvoir de ruiner le projet d’institutionnalisation de la modernité littéraire française. A contrario, il a aussi eu le pouvoir d’incarner une puissance d’institutionnalisation, et c’est sans doute ce qui lui a donné l’importance d’une figure centralisatrice chez tous les historiens du « classicisme » au XXe siècle. C’est ainsi que, dans un texte célèbre, Roland Barthes classe Boileau parmi les signes qui renvoient immédiatement à une catégorie de l’histoire littéraire aujourd’hui fragilisée : « […] les Corneille, Racine, Boileau, etc., dont la guirlande un peu rêche a bordé la trame de nos études ou orné le fronton poussiéreux d’un amphithéâtre de Sorbonne ; ils sont aussi les signes déformés mais nécessaires d’un événement général, le Classicisme. » (« Plaisir aux classiques », Œuvres complètes, éd. E. Marty, Paris, Seuil, 1993, t. I, p. 60.) De quelle force symbolique est-il question ici ? Quelle « déformation » se trouve en jeu ? De quelle « nécessité » s’agit-il ? Le même Barthes pouvait affirmer, non sans ambiguïté, l’idée d’une modernité du classicisme, d’un relais, d’une continuation ou d’une relance du classicisme par la grande génération des classiques modernes, celle de Gide, Valéry et Proust, en écrivant que « Bossuet, Fénelon, Montesquieu ne sont jamais si beaux que cités par Gide » (Note sur André Gide et son Journal », Œuvres complètes, éd. cit., t. I, p. 36).

L’objet de ce colloque ne sera pas d’écrire l’histoire de la fortune ni de la réception de Boileau mais de reconstituer les représentations dont Boileau a été le support depuis son entrée fracassante dans l’espace de la République des Lettres en 1666, et de comprendre la logique, à la fois intellectuelle et institutionnelle, de telles constructions entre les xviie  et xxie  siècles. Il s’agit d’une part d’expliquer la désuétude dans laquelle est tombée l’œuvre de Boileau par les méthodes qui ont été appliquées à son étude autant que par l’instrumentalisation institutionnelle qu’elle a subie dans l’Université française. Il s’agit également de rendre manifeste le problème historiographique que constitue Boileau et d’en faire la pierre de touche d’une enquête éclairant la construction de la catégorie « classicisme », enquête dont l’ambition épistémologique et méthodologique sera portée par ce colloque trans-séculaire, qui voudrait inviter à suivre les métamorphoses d’une figure, au long de plus de quatre siècles, de la fin du xviie siècle jusqu’à nos jours. Il s’agit donc d’éclairer la fécondité de l’étude de l’œuvre de Boileau pour les études littéraires en explorant l’hypothèse selon laquelle certaines approches méthodologiques ont eu besoin, pour s’élaborer et garantir leur cohérence épistémologique, de construire en regard leur objet : le cas de Boileau permettrait d’explorer ce lien et donc d’interroger nos pratiques historiographiques et critiques. Au travers de la figure de Boileau, ce sont les scénarios de l’histoire littéraire que nous voulons questionner, qu’ils soient élaborés par les instances académiques ou universitaires ou par les écrivains eux-mêmes. C’est contre Boileau que Francis Ponge écrit son Pour un Malherbe ; et quand Philippe Beck publie un « Art poétique », c’est Contre un Boileau  (Fayard, 2015) qu’il lui donne pour titre.

Modalités de soumission

Les propositions de communication pourront être envoyées aux adresses suivantes : Delphine.Reguig@paris-sorbonne.fr ; christophe.pradeau@paris-sorbonne.fr avant le 15 mai 2015.