Questions de société

"La face cachée de l'autonomie des facs": l'exemple de l'UPPA (L'Humanité, 6/1/12)

Publié le par Marc Escola

La face cachée de l'autonomie des facs
par Laurent Mouloud
6 janvier 2012
L'Humanité

Depuis le 1er janvier, la quasi-totalité des universités sont
«autonomes». Loin d'être le succès tant vanté par le chef de l'État et
l'UMP, la LRU nuit gravement à la santé des petits et moyens
établissements. Exemple à l'université de Pau.

C'est étonnant comme les universitaires, aux confins du Béarn, ne
partagent pas l'enthousiasme de Nicolas Sarkozy... «La loi sur
l'autonomie? Vous ne trouverez personne ici qui s'en réjouisse», lâche
un enseignant. Loin de l'autocongratulation gouvernementale,
l'université de Pau et des pays de l'Adour (Uppa), avec ses 11400
étudiants, n'en finit plus de tirer le triste bilan de la loi relative
aux «libertés et responsabilités des universités» (LRU).

Cette vaste réforme, votée en 2007 et appliquée depuis le 1erjanvier
dans la quasi-totalité des universités, fait la fierté de l'UMP.
Gouvernance resserrée autour du président d'université, transfert de la
masse salariale, nouveau management... À entendre le parti présidentiel,
c'est l'une des «grandes réussites» du quinquennat, qui a «libéré la
créativité et l'initiative». Seulement voilà. À l'université de Pau,
passée à l'autonomie en 2010, on n'a rien vu de cela.

Pour cet établissement de taille moyenne, comme pour d'autres, la LRU
est devenue synonyme de déboire budgétaire, de dégradation des
conditions de travail et de perte de sens. À l'image d'une demi-douzaine
d'universités, l'Uppa présentera, jeudi, un budget en déficit. Deux
millions d'euros manquent à l'appel. Auxquels s'ajoutent deux millions
de l'année précédente. Et l'incertitude règne partout.

«Dès la fin de l'été, il est apparu que notre établissement allait
connaître des difficultés financières», explique Jean-Louis Gout, le
président de l'université. En cause, l'État, qui a transféré les
compétences mais pas les moyens suffisants. Ainsi les dotations
ont-elles «oublié» de prendre en compte, par exemple, la hausse de la
masse salariale liée à l'ancienneté et aux évolutions de carrière des
personnels (manque à gagnerde 850000euros), ou encore une aide sur le
transport local (près de 400000euros).

*Vers une université à deux vitesses*

Dans le même temps, les charges pesant sur l'université augmentent. Dans
le cadre du «plan licence», les facs comme Pau sont censées augmenter le
nombre d'heures de cours. Elles doivent également assurer la formation
des enseignants, en lieu et place des IUFM. «Tout cela demande des
moyens supplémentaires qui ne sont pas là», souligne Abdellah Saboni,
secrétaire du Snesup-FSU.

Au final, pour faire face à son déficit, l'université de Pau ne possède
que trois variables d'ajustement: les salaires, les emplois et les frais
d'inscription. Trois leviers que, pour le moment, elle se refuse à
actionner. Mais déjà, l'offre de formations a souffert cette année. «Les
premières années en sciences n'ont plus de cours d'anglais; en droit, il
n'y a plus que trois groupes de TD contre huit auparavant...» énumère
Julien Pinquet, responsable de SUD étudiant. La moitié des 450
personnels Biatoss (administratifs, technique) sont des contrats
précaires. Et l'ambiance se dégrade. «On travaille plus intensément à
moyens constants, souligne Antoine Meylan, du Snasub-FSU. Le nouveau
management accentue la tension. On a plus de demandes de changement de
service et même une tentative de suicide dans un labo.»

Figure syndicale de l'université et membre du Snesup, Jean Ortiz n'est
pas dupe du petit jeu du gouvernement. «Il se flatte de ne pas avoir
appliqué la RGPP à l'université, mais dans les faits, il a transféré la
pénurie sur les établissements et c'est à eux de la gérer. Le
gouvernement veut nous étouffer financièrement et nous pousser vers des
partenariats privés.»

Beaucoup, à Pau, parlent ainsi d'une «fausse autonomie» et redoutent la
dévaluation de leur établissement, coincé entre les «grands pôles
d'excellence» de Toulouse et de Bordeaux. L'Uppa possède 36% d'étudiants
boursiers, offre des logements abordables, comparé aux grandes
métropoles, et présente de très bons résultats, avec notamment l'un des
meilleurs taux de réussite au Capes. Et pourtant, Pau n'a pas vu la
couleur du «plan campus», alors que Bordeaux doit toucher à ce titre pas
moins d'un milliard d'euros...

«C'est une politique volontairement inégalitaire qui vise à consolider
les pôles les plus rentables pour l'économie, estime Jean Ortiz. Leur
but est de faire une université à deux vitesses: des petites, comme
nous, limitées à la formation bac +3 et les pôles d'excellence pour ceux
qui auront les moyens d'y aller. C'est ni plus ni moins que de la
ségrégation sociale.»