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La culture générale en question

La culture générale en question

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Denis Ramond)

Vendredi 7 mars 2014

Journée d’étude en partenariat entre Sciences Po Paris et l’EHESS

                  La « culture générale » est une notion aux contours instables, douteuse, voire louche. En état de crise permanente, cet objet spécifiquement français se trouve plus souvent au cœur des polémiques qu’au centre des réflexions. Les oppositions quasi rituelles entre ses partisans et ses détracteurs ne laissent aucune place aux questions que nous poserons dans cette journée d’étude : de quoi la « culture générale » est-elle le nom ? Quelle est son histoire ? A-t-elle un contenu ?

                  Le soupçon provient en partie du caractère oxymorique de l’expression : une culture n’est-elle pas toujours particulière ? La culture générale serait alors celle des dominants, une culture de classe, un rapport privilégié au savoir que l’on imposerait à tous sous les atours de la « généralité ». Cette raison fut invoquée pour justifier la suppression, en 2013, de l’emblématique dissertation de culture générale au concours d’entrée de Sciences Po Paris. Lors de la polémique fortement médiatisée qui a suivi, les débats ont oscillé entre prescription (comment réformer la culture générale ?) et dénonciation (pourquoi la supprimer ?), sans que personne ne s’accorde sur le sens donné à l’expression.

                  Pour surmonter la frayeur que suscite immédiatement une tentative de réflexion sur une notion aussi ouverte, quelques précisions s’imposent. Dans son acception courante, la culture générale désigne les connaissances personnelles d’un individu sur les sujets les plus divers ; des jeux télévisés à succès ou des jeux de société prétendent la mesurer. En outre, la culture générale désigne une matière enseignée dans certains établissements et une épreuve de concours, qui figure au programme de nombreuses grandes écoles et des concours de la fonction publique. Le fait que les acceptions puissent se recouper (la culture générale individuelle sera valorisée dans les épreuves de culture générale) ne signifie pas qu’elles désignent le même objet. De même, on ne confondra pas la culture générale avec la « culture » en général ni avec la « culture commune » ou l’idée d’un « socle commun ». On gardera à l’esprit que l’expression prend ses lettres de noblesse dans les programmes scolaires de Jules Ferry, où elle est pensée comme le ciment de la République ; ce projet est entériné par la « réforme des Humanités » de 1902. Mais au cours du XXe siècle, elle occupe une place de plus en plus incertaine, tiraillée entre la visée égalitaire et les politiques éducatives élitistes,  entre le best-seller La Culture générale pour les nuls et le grand oral de l’ENA.

L’idée d’un programme de culture générale a-t-elle un sens ? Y a-t-il véritablement des choses que « l’on ne peut pas ne pas savoir » ? A quoi pourrait correspondre le souhait d’enseigner et d’évaluer des élèves sur une matière dont les contours sont flous et les contraintes méthodologiques purement formelles? Il s’agira de comprendre, d’analyser et d’interroger ce curieux projet pédagogique qui consiste à transmettre et à enseigner une « culture générale ».

La relative virginité du sujet invite à multiplier les angles d’attaque :

  • Historique : l’histoire de la culture générale reste à faire. Quand et comment apparaissent cette expression, cette matière, ces épreuves de concours ? Quels sont ses prédécesseurs en termes d’unification des savoirs ? Est-elle l’héritière d’un projet humaniste ? Est-ce un envers ou une nouvelle forme de la rhétorique telle qu’on l’enseignait jusqu’au XIXe siècle ?
  • Sociologique : quels types de savoirs, de représentations du monde et de raisonnements portent les enseignements et les épreuves de culture générale ? De quelle manière les épreuves de culture générale façonnent-elles des cultures professionnelles ou des esprits de corps ?
  • Épistémologique : est-il possible d’ériger la culture générale comme savoir constitué, avec sa méthode et son objet d’étude ? En quoi pourrait-elle se distinguer des disciplines qu’elle prétend englober ?
  • Critique : Seront analysées les reproches traditionnellement adressées à la culture générale : généralités, platitude rhétorique, domination sociale, absence de rigueur, voire culture du mensonge – en somme, la « culture-confiture ». On pourra interroger la récurrence et la pertinence de ces critiques.

Ces diverses attaques nous obligent à prendre acte du paradoxe suivant : comment expliquer qu’à l’heure où la culture générale suscite la méfiance, la suspicion et même le mépris dans le monde académique, ce même monde ne cesse de chanter les louanges de l’interdisciplinarité ou de la pluridisciplinarité, de rappeler la nécessité de dépasser les clivages disciplinaires et méthodologiques ? Comme si la culture générale incarnait – sous une forme peut-être dévoyée – une exigence nécessaire, voire même indispensable à la création scientifique et intellectuelle. Il faudra donc s’interroger sur cette propension de la culture générale à être constamment combattue, à disparaître et à réapparaître sans cesse sous d’autres formes.

Programme :

Ouverture de la journée

9h Présentation par Charles Coustille et Denis Ramond

 

Que fabrique la culture générale ?

9h15 Annabelle Allouch (Sciences Po)

Pratiques de production et de réception de la « culture générale »
dans un contexte d’ouverture sociale

9h45 Claire Oger (Université Paris 13)

Culture générale et modèles argumentatifs :

enjeux d’une recherche

10h15 Discussion                                             10h45 Pause

 

Critiques et alternatives

11h15 Adrien Delespierre (Paris 1)

Les spécialistes de la non-spécialisation : la concurrence culturelle
dans le champ des grandes écoles

11h45 Bruno Latour (Sciences Po)

Contre la culture générale

12h15 Discussion                                             12h45 Pause déjeuner

 

Une épistémologie de la culture générale est-elle possible ?

14h30 Emanuele Coccia (EHESS)

Sans discipline

15h00 Annick Louis (EHESS)

L’expérience Culture G

15h30 Discussion                                             16h Pause

 

Perspectives

16h15 Pierre-Henri Tavoilloit (Paris IV)

La culture générale introuvable

16h45 Table ronde : Une spécificité française ?

Tobias Haberkorn (cas de l’Allemagne), Annick Louis (Argentine), Francesca Mambelli (Italie), Charles Coustille (Etats-Unis)

Les organisateurs

Charles Coustille, doctorant à l’EHESS, (charles.coustille@gmail.com)

Denis Ramond, doctorant à Sciences Po Paris, (denis.ramond@wanadoo.fr)