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La case aveugle : pré-programme

La case aveugle : pré-programme

Publié le par Alexandre Gefen

THEORIE LITTÉRAIRE ET POSSIBLE DECRITURE

14-18 avril 2003

PROGRAMME PROVISOIRE ET PROPOSITIONS DES PARTICIPANTS

Un certain nombre de projets dintervention nous sont déjà parvenus, en écho au texte programmatique publié sur Fabula.org.

On trouvera ici le programme provisoire suivi du résumé des interventions.Dautres propositions seront mises en ligne au fur et à mesure quelles nous parviendront. À ce jour, les propositions sorganisent autour de quatre axes :
1/ Métathéorie potentielle
Retours épistémologiques et historiques sur le statut de la théorie littéraire en tant quelle conduit à désigner des cas de figure possibles ou impossibles. Interrogations sur les impensés de la théorie littéraire.


La case aveugle : infraction ou preuve pour la théorie littéraire ? Alexandre Gefen (Fabula)
Pourquoi une case vide nest pas une case blanche. Vincent Debaene (Paris IV- Sorbonne)


2/ Poétique spéculative ou exploration des cases aveugles et autres possibles
Comment théoriser pour trouver du nouveau ? Explorations de cas où la spéculation théorique ou poétique conduit à concevoir des objets non repertoriés jusquà présent, où en retour ces objets appellent une nouvelle théorisation et une modification des catégories.


Du fantasme des OGM à lautre case aveugle. Eloïse Lièvre.
Valeur et littérature : le point aveugle de la théorie. Jean-Louis Jeannelle (Paris IV-Sorbonne)
Une case pour deux : lauteur, case aveugle de la théorie littéraire ? Alain Brunn (Paris III).


3/ Commentaire rhétorique
Propositions de commentaires orientés vers les textes possibles plus que vers le texte actuel : lire le texte pour y découvrir ce quil aurait pu être et quil nest pas finalement, étudier un hypotexte pour y définir de possibles réécritures non encore tentées et que pourtant le texte premier porte en germe.


Le mode de création romanesque mondain au XVIIe siècle : lexemple du Grand Cyrus de Madeleine de Scudéry. Claude Bourqui (Université de Neuchâtel)
Lupus in fabula. Façons daffabuler les Fables. Marc Escola (Paris IV-Sorbonne).
Pour une cartographie des possibles odysséens. Sophie Rabau (Paris III- Sorbonne Nouvelle)
Le discours oulipien comme rhétorique spéculative. Christelle Reggiani (Paris IV)


4/ Pour une histoire littéraire potentielle
Jalons pour une histoire littéraire rhétorique où il sagira de définir ce qui aurait pu être autant que de montrer que ce qui fut ne pouvait être autrement.


De l'inexistence du roman policier dans l'antiquité. François Hoff (Lettres Sup Chartes Strasbourg).
Pour une histoire de limpossibilité du roman. Fabienne Dumontet (Grenoble).
Les déplacements de l'histoire de l'essai et les métaphores de la généricité. Marielle Macé (Fondation Thiers).
La littérature comme événements. Pierre Campion et Yvon Logéat.
« Viens; nous allons voir ce qui est arrivé... » (Maurice Maeterlinck, Pélléas et Mélisande, acte III, scène 5). Marjorie Berthomier (Paris).


RESUMES

La case aveugle : infraction ou preuve pour la théorie littéraire ? (ou la théorie ordinaire est-elle une science ordinaire ?) Alexandre Gefen (Fabula).

Je poserai une question simple : une case vide ou aveugle invalide-t-elle ou valide-t-elle un système théorique ? A-t-elle valeur dinfraction ou une preuve ? La réponse que notre métathéorie apporte à cette question définit, il me semble, le statut épistémologique de tout savoir général sur la littérature : si un manque invalide une théorie littéraire, cest que celui-ci est conçu selon un principe empirique dadéquation heuristique au réel textuel (au risque de se dissoudre dans un utilitarisme local consistant à entériner a posteriori des catégories immanentes ou à tenter des inductions instrumentales, limitées ou circulaires). Si, au contraire, on conçoit quun système tire sa validité de sa logique interne en possédant sa propre grammaire, on expose la théorie à être invalidée non par le monde, mais plutôt par ce que Popper nommait des « falsificateurs virtuels », à savoir par les incohérences internes des conjectures proposées. Vue alors comme une création autonome, la théorie littéraire vivrait et tirerait sa scientificité des textes impossibles quelle engendrerait.


Pourquoi une case vide nest pas une case blanche. Vincent Debaene (Paris IV- Sorbonne).

Il semble que la diffusion, sinon du concept, au moins de la formule « case vide », trouve son origine dans larticle de Gilles Deleuze « A quoi reconnaît-on le structuralisme ? », dans le recueil dirigé par François Chatelet La philosophie au XX e siècle. Dans ce texte, Deleuze présente la case vide comme le sixième des sept critères définitoires de la structure. Mais si lon observe les exemples proposés - la lettre dans La Lettre volée dEdgar Poe commentée par Lacan, le snark chez Lewis Carroll, le mana chez Lévi-Strauss, etc. -, on saperçoit quils nont rien de commun avec la case blanche du tableau à double entrée, qui nest autre que labsence dune uvre actualisant une des virtualités du système. Peut-être ny a-t-il là quune confusion ; au fond, on ne parlerait pas de la même chose, et Deleuze nest pas responsable des usages impropres des concepts quil a forgés. Mais il y a là sans doute un peu plus quune confusion, et ce serait loccasion de comprendre les réticences de Lévi-Strauss devant certains travaux théoriques - en particulier narratologiques - quon sobstine à qualifier de « structuralistes » (voir par exemple le texte, court mais incendiaire, « Structuralisme et critique littéraire » dans Anthropologie structurale II et dont le titre reprend celui dun article de Gérard Genette dans Figures I ). Or la « case vide » - le « signifiant flottant » chez Lévi-Strauss, inspiré des analyses de Troubetskoy et Jakobson - est précisément ce qui distingue une structure dun système qui est, lui, le résultat dune analyse qui prétend « sattaquer immédiatement à la grammaire, et différer [létude du] lexique » . Dans cette différence entre la case blanche du système et la case vide de la structure, se joue la différence entre le structuralisme au sens strict -et qui nest pas un formalisme - et certains travaux de théorie littéraire qui, pourtant, sen inspirent. Comprendre cette différence permettrait peut-être également de préserver les acquis de lun et des autres et de lutter, autant que faire se peut, contre une réaction qui tend aujourdhui à envelopper dun seul geste, sous létiquette « structuraliste », Lévi-Strauss et Foucault, Robbe-Grillet et Genette, Barthes et Ricardou et qui prétend « revenir » aux saines évidences dun empirisme de « bon aloi », comme si celui-ci était exempt de « préjugés ou postulats touchant la définition, les fins et les fonctions de la littérature et de la lecture » (Michel Charles, Introduction à l'étude des textes, p. 10).


Du fantasme des OGM à lautre case aveugle. Eloïse Lièvre.

On peut réaliser une partie de soi-même dans lécriture dun texte, amener au jour ce qui jusque-là sétait tu ou caché derrière les choses apprises, les schémas prédéfinis, les rhétoriques mortes.

Quatrième de couverture de Tous les mots sont adultes de François Bon.

La case aveugle, « point de tension (de jonction ?) entre un impossible et un possible », se définit en étroite relation avec les notions de nouveauté, de limite, de modernité. Jaimerais proposer une réflexion sur les implications non seulement dune telle définition de la notion mais également de la conception de la littérature quelle sous-entend. Cette réflexion prendra place dans un questionnement plus large sur les rapports du discours théorique et de la pratique littéraire, et débouchera sur lhypothèse dune « autre » case aveugle à explorer, située, peut-être paradoxalement, du côté de la théorie, celle dune théorie, aujourdhui manquante, de lécriture.
Jaborderai le problème des notions de nouveauté et de modernité par ce que lon a identifié comme un moment privilégié de lhistoire de la littérature, de la culture et des idées, et désigné par lexpression de Querelle des Anciens et des Modernes, et qui nest en fait quune des manifestations récurrentes dune question plus structurelle quhistorique et intéresse à ce titre la théorie. Les disputes autour dHomère et de limitation à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, mais aussi la proclamation de la mort de lauteur à la fin des années 1960, pour ne prendre que deux exemples, posent le double problème du renouvellement de la création et de la place respective dans le champ littéraire du critique et de lauteur. La théorie potentielle me semble présenter les mêmes caractéristiques. Elle est fondée sur la conception dune littérature de profession et de performance technique dune part, nouveauté de lautre qui demeure du même côté de la littérature en en ignorant toujours lautre versant. La théorie potentielle me semble relever encore en cela dune théorie de la réception. Si elle se pose la question de la production des textes, cest dans une perspective expérimentale et/ou ludique toujours dépendante du modèle scientifique et toujours au service de la nouveauté, valeur de la lecture. Cest ce que jappellerai le fantasme des OGM : la littérature de la case aveugle ou la fabrique des clones, des monstres, des uvres génétiquement modifiées. Cest en accord avec lépoque, la contemporanéité du monde ; cependant, la théorie potentielle ne se pose pas la question du référent. Or, la littérature nest pas seulement mise en oeuvre de procédés, elle est expression de choses à dire. En complément de cette théorie potentielle, il faudrait donc penser une théorie de lécriture dont elle serait un des maillons essentiels, mais pas le seul, et qui considérerait les notions théoriques clés auteur, style, histoire, valeur, etc. du point de vue de la production des textes. Si la théorie potentielle a une portée pédagogique incontournable, elle doit être complétée dans cette « mission » par une théorie de lécriture quest-ce quécrire ? pourquoi écrire ? quelle valeur a lacte décrire ? quest-ce que ça fait décrire ? telle quelle apparaît de façon informelle dans certains ateliers plus ou moins en marge des institutions scolaires et universitaires où la question de la nouveauté en littérature est troquée contre celle du monde et où la question des rapports conflictuels entre critique et auteur est abolie par la seule présence décrivants.

Valeur et littérature : le point aveugle de la théorie. Jean-Louis Jeannelle (Paris IV-Sorbonne).

Je partirai dun message reçu dans les Contacts de Fabula : après avoir remercié pour les activités des membres du site, le visiteur écrivait : « Moi aussi je rêve d'écrire. Mais j'ignore les principes de base liés au roman et à son élaboration. » Désireux de pouvoir profiter de notre expérience, il nous demandait de lui expliquer « le déroulement de lécriture dun roman, ainsi que les techniques décriture et les éventuelles références. » Cette confusion entre deux domaines a priori aussi étrangers lun à lautre que la théorie littéraire et les ateliers décriture ma paru révélatrice dun malentendu. Pour moi, je ne doutais pas quil existât une frontière infranchissable entre létude de la littérature et la création littéraire. Pour le visiteur, la première ne pouvait conduire qua la seconde. Et pourquoi pas ?
Réflexion théorique et tentatives dapplication des règles de composition semblent inconciliables : dans un atelier, on ne sintéresse à un texte littéraire quen tant quil peut offrir des ressources décriture. Cest là que sexerce lindéracinable rhétorique, capable, on le sait, de produire et de rendre compte de tout type de discours, littéraire comme non-littéraire : il sagit dimiter, en effet, les exemples les plus éprouvés et den déduire des règles de composition. À linverse, la spéculation ne sapplique quà des textes dont on présuppose la littérarité la question de la valeur ne se posant en quelque sorte quà condition davoir déjà été sur le fond résolue (mais on ne sait pas réellement comment).
Envisager la littérature sous cet angle, cest mettre en évidence la pétition de principe de la théorie littéraire, son point aveugle : la valeur. Nous ne cessons de nous demander ce qui fait quun texte est littéraire. Toute étude ne porte que sur cette question. Et pourtant, elle nest jamais affrontée directement, puisque nous évacuons, par une sorte de non-dit, la seule véritable manière de ce demander ce quest la littérature : lenvisager en partant de ce qui nest pas la « littérature ».
La théorie littéraire devrait sappliquer à tout texte, littéraire ou non cest du moins son ambition déclarée. On pourra répondre que cela serait inutile : quel besoin y aurait-il de séchiner sur un roman de la Pensée universelle ? Cela naurait certes pas dintérêt critique. Mais dintérêt théorique, cela est moins sûr.
Le problème est donc moins celui des textes possibles que celui des textes existant de fait mais qui ne sont pas pris en compte par la théorie littéraire et dont on peut se demander sil est possible den dire, théoriquement, quelque chose, voire si cela a même une quelconque utilité.
Une case pour deux : lauteur, case aveugle de la théorie littéraire ? Alain Brunn (Paris III).

Lhypothèse que je voudrais suivre dans le cadre du colloque sur la case blanche est la suivante : lauteur et le critique occupent depuis le début du XIXeme siècle la même case dans cette pratique de lecture particulière quest le discours critique qui s1invente alors. [Il s1agit de continuer une réflexion amorcée dans un article consacré aux rapports de La Rochefoucauld et de Victor Cousin (Journée d1étude sur les figures paradoxales de lauteur, Grenoble, juin 2002).] Autrement dit, je voudrais revenir sur la catégorie de lautorité du commentaire, en la confrontant à la question de lautorité de lauteur, non seulement parce que passe quelque chose de la seconde dans la première, mais aussi parce que linvention de la figure du critique, dans la case a priori monoplace de lautorité sur le texte, se fait du même coup sous la catégorie de l1auteur (i.e. à travers les critères pratiques et non scientifiques
de la fiction et de la diction).
Il sagirait de suivre cette hypothèse d1un peu près à travers un cas particulier, celui des discours critiques tenus sur La Rochefoucauld au XIXeme pour montrer, donc, que l'invention critique relève fondamentalement d'une rhétorique littéraire, et que ses critères ne sont pas autres fondamentalement que ceux de son objet: fictions de critiques, si
l'on peut écrire.
Le mode de création romanesque mondain au XVIIe siècle : lexemple du Grand Cyrus de Madeleine de Scudéry. Claude Bourqui (Université de Neuchâtel).

Le monumental roman de Mlle de Scudéry a été déprécié par la critique des XIXe et XXe siècles en raison dune erreur de perspective. On la jugé en se fondant sur lidée préconçue de sa conformité aux normes du texte littéraire « traditionnel », destiné à la lecture linéaire et solitaire, production du génie dun individu isolé.
Le Grand Cyrus est en fait le produit de lactivité dun salon, texte destiné à une lecture fragmentée, « bondissante » (appelant régulièrement la reclecture de passages précédents), et surtout interactive. En effet, le texte romanesque ne fait pas lobjet dun plan préalable, établi et maîtrisé par un auteur individuel, mais, au contraire, savère une exploration continuelle de divers possibles dans son univers fictif, suggérés par les consommateurs de louvrage eux-mêmes. Plusieurs fils dintrigue sont ainsi lancés par son lectorat-« auctorat » et sont développés à bien plaire, avec la seule contrainte de rejoindre tôt ou tard lintrigue principale. On décidera ainsi au gré des suggestions dexploiter des pistes narratives quon avait auparavant délaissées. Mlle de Scudéry et son public délection procèdent dune façon ludique selon laquelle le « pourrait être » équivaut à l« être » et le roman est ce quon décide quil soit à mesure quil se fait. Le public, en quelque sorte, réécrit lhistoire narrée par le livre à mesure que celle-ci se développe. Dans les faits, cette façon de procéder est une première attestation historique de lattitude que préconise Sophie Rabau sous 2.a)
Lupus in fabula. Façons daffabuler les Fables. Marc Escola (Paris IV-Sorbonne).

Si lon songe au sort que La Fontaine a fait subir aux apologues de ses illustres prédécesseurs, on peut légitimement s1étonner du respect dont ses propres fables font lobjet depuis plus de trois siècles. Or, s1il est bien une loi du genre, c1est celle qui veut que toute fable naisse d1une autre fable et soit apte en retour à engendrer un nouvel apologue : il y a toujours dans une fable de quoi en faire une autre. La Fontaine n1a de cesse de rappeler ce salutaire principe auquel le genre doit jusqu1à son existence : " il arrivera possible que mon travail fera naître à d1autres personnes l1envie de porter la chose plus loin " (Préface du premier recueil, 1668). On posera donc, sans paradoxe, que toute fable est en droit inachevée : produit d1une récriture, on voit mal qu1elle puisse interdire au lecteur de se livrer à son tour à un exercice de transformation. Et on prendra le poète au mot : nous n1avons fait jusqu1ici qu1interpréter les Fables, il s1agit maintenant de les transformer.
Tout apologue s1établit, comme le savent peut-être encore les écoliers, sur la concurrence dun principe moral (que La Fontaine, avec les théoriciens de son siècle, nomme " lâme " de la fable) et d1un récit qui l1exemplifie (" le corps "). Parce qu1un énoncé aléthique et une série d1énoncés narratifs ne sauraient être jamais pleinement isomorphes, il se trouve qu1aucun exemple ne peut se laisser traduire en une simple maxime, qu1aucun récit n1est exactement réductible à sa moralité: " lapplication " que vient formuler la moralité, loin d1opérer une traduction sans reste du récit en principe moral, ne peut éviter de laisser à l1écart de cette réduction quantité de résidus ou de suppléments des éléments narratifs dont le récit a eu besoin mais dont la maxime n1a que faire ; ce sont sans doute autant de " traits " qui " égayent la narration " ; mais parce qu1ils demeurent ainsi sans fonction autre que narrative ce qui ne signifie pas qu1ils sont de purs " ornements " , ces éléments jouissent d1une parfaite disponibilité, en faisant éventuellement signe vers une autre maxime ; et c1est précisément en quoi toute fable, aussi " achevée soit-elle, reste idéalement apte à la récriture. À cette raison qu1on peut bien dire de principe, on en ajoutera une autre qui intéresse encore la poétique : le récit qui entre dans la composition d1un apologue est dabord un récit, soit un agencement de plusieurs séquences narratives, dont chacune considérée isolément est susceptible d1exemplifier une maxime, laquelle ne se laisse pas nécessairement ranger sous la moralité explicite proposée pour l1ensemble. Disons-le autrement : pour exemplifier telle sentence, la narration de la fable requiert tel ou tel épisode dont la maxime n1a pas absolument besoin et dont parfois elle se passerait bien.
Il est ainsi possible de rapporter toute fable à un complexe de fables possibles déduites de sa structure propre. Lexercice consiste pour l1essentiel à observer classiquement, et d1un peu près, le jeu introduit entre la maxime proposée et le récit qui doit l1illustrer, mais aussi le détail de la narration et laptitude de certaines de ses séquences à exemplifier un autre principe moral capable de concurrencer la moralité explicite en indiquant une autre fable possible. La Fontaine ne procédait pas autrement à l1égard des apologues livrés par la tradition pour y délivrer ses propres fables. Produire une fable, c1est bien toujours décomposer un scénario initial pour observer d1abord de quelles variantes ses différents épisodes sont susceptibles, pour voir ensuite s1il est possible de les agencer autrement en élaborant du même coup une signification neuve. La langue classique nommait un tel exercice d1un mot assez heureux : l1affabulation.On affabulera donc librement une fable au moins du recueil (" Le petit poisson et le pêcheur ", V, 3) c est-à-dire qu1on en lira très vite plusieurs pour produire les variantes dont elle est susceptible en la rapportant à un complexe de fables simplement possibles, mais aussi à l1occasion de fables bien réelles (sil apparaît que La Fontaine fait dun de ses propres apologues lhypotexte d1une fable nouvelle) et de fables fantômes (celles qu1on ne peut produire qu1en dénonçant la maxime initiale). En croisant ainsi textes possibles et textes réels, au risque de s1abîmer dans quelque case blanche, la technique de laffabulation délibérée s1attache en outre à une autre intersection : aux recoupements théoriquement envisageables entre les cinq types de transtextualité distingués par G. Genette dans Palimpsestes. Cest la porosité de la frontière qui sépare hypertextualité et métatextualité que nos affabulations ont précisément pour but de sonder et mieux encore, si le mot a ici un sens, détablir. On postulera donc que si une fable peut en cacher une autre, c1est aussi qu1elle en commente toujours une autre : produit d1un arbitrage entre plusieurs variantes possibles de son hypotexte, elle se constitue comme un commentaire de sa " source " ; et en retour, le geste qui consistera à laffabuler autrement relèvera tout à la fois de la récriture et du commentaire, d1une pratique hypertextuelle en même temps que d1un geste métatextuel. Il nest pas pour nous de meilleure façon d'interpréter une fable que den faire une autre.
Pour une cartographie des possibles odysséens. Sophie Rabau (Paris III- Sorbonne Nouvelle).

Est-il possible de dresser une carte systématique des textes non (encore ) écrits que porterait en germe un texte donné, voire tout texte littéraire. Cest de cette poétique de lhypotextextualité que lon essaierade sapprocher à partir duc cas de lOdyssée. Il faudra notamment affronter la question des critères choisis et de leur universalité. A lheure actuelle, nous retenons, sous réserve dinventaire, les catégories du manque, du trop plein, du reste et du modèle interne (modèles de réécriture à lintérieur dun texte). Surtout quelle validation pour cette poétique du non encore écrit ou que vaut une carte de régions par définitions inexplorées ?


Le discours oulipien comme rhétorique spéculative. Christelle Reggiani (Université Paris IV).

Le discours oulipien paraît choisir une perspective clairement rhétorique, où la réflexion théorique, centrée sur la notion de contrainte, se situe en amont de l'écriture : l'Oulipo se désigne comme un ouvroir de littérature potentielle --- la notion de potentialité étant évidemment à interroger dans ses implications --- où il s'agit bien de (faire) produire du discours, selon des contraintes empruntées aux mathématiques, ou du moins logiquement formalisables.
Dans cette optique, écriture et lecture s'articulent étroitement l'une à l'autre, la lecture des textes ne se dissociant pas d'une écriture à venir. De fait, les contraintes oulipiennes sont pour une large part des contraintes de récriture, qui mettent littéralement en oeuvre une lecture active, interventionniste : la lecture rhétorique, irrespectueuse, manipule le texte pour le faire jouer, en faire émerger des textes virtuels. La rhétorique définit ainsi un ordre du possible, caractérisé par une dynamique qui exclut toute monumentalité textuelle.
Le discours oulipien implique cependant une mauvaise foi qui reconduit la rhétorique de l'invention à l'ordre du commentaire : la nostalgie romantique de l'oeuvre continue, monumentale, engage une réduction drastique du jeu des possibles --- à la notable exception des Cent mille milliards de poèmes de Queneau. Cette réduction se repère aussi bien dans les textes --- l'oeuvre signée du nom de son auteur est indiscutablement valorisée par rapport à l'exercice, souvent anonyme, recueilli dans les ouvrages collectifs --- que du point de vue théorique, où l'on passe de l'invention des possibles à la continuité généalogique du plagiat par anticipation, qui tend à induire la fiction rétrospective d'une nécessité historique de l'invention poétique.
La virtualité, qui prend alors la forme à proprement parler d'une case aveugle, se trouve par conséquent récupérée au service de l'oeuvre : l'Oulipo élabore le dispositif idéologique du clinamen, manifestation structurale de sa mauvaise foi rhétorique en tant qu'il est défini comme la case blanche, la part de jeu propre à gager sur la subjectivité de l'auteur l'unité forte du texte scolastique. Dans cette perspective, la case aveugle n'est pas tant le manque signifiant l'ouverture de la poétique à une fécondité rhétorique --- ce que laissait légitimement attendre le discours oulipien --- que, paradoxalement, le moyen formel de réinscrire le texte dans l'ordre scolastique de l'oeuvre : on le montrera de manière détaillée pour le système des contraintes de La Vie mode d'emploi de Perec. La case blanche du clinamen marque ainsi formellement, sinon un aveuglement, du moins la mauvaise foi d'un discours, en constituant l'espace oùse manifeste la dissolution de la rhétorique oulipienne dans l'ordre du commentaire.
C'est dire que la virtualité, finalement, caractérise en propre la rhétorique spéculative de l'Oulipo, qui ne renonce pas à inscrire sa prospective poétique dans l'ordre scolastique du commentaire.
Le discours oulipien paraît choisir une perspective clairement rhétorique, où la réflexion théorique, centrée sur la notion de contrainte, se situe en amont de l'écriture : l'Oulipo se désigne comme un ouvroir de littérature potentielle --- la notion de potentialité étant évidemment à interroger dans ses implications --- où il s'agit bien de (faire) produire du discours, selon des contraintes empruntées aux mathématiques, ou du moins logiquement formalisables.
Dans cette optique, écriture et lecture s'articulent étroitement l'une à l'autre, la lecture des textes ne se dissociant pas d'une écriture à venir. De fait, les contraintes oulipiennes sont pour une large part des contraintes de récriture, qui mettent littéralement en oeuvre une lecture active, interventionniste : la lecture rhétorique, irrespectueuse, manipule le texte pour le faire jouer, en faire émerger des textes virtuels. La rhétorique définit ainsi un ordre du possible, caractérisé par une dynamique qui exclut toute monumentalité textuelle.
Le discours oulipien implique cependant une mauvaise foi qui reconduit la rhétorique de l'invention à l'ordre du commentaire : la nostalgie romantique de l'oeuvre continue, monumentale, engage une réduction drastique du jeu des possibles --- à la notable exception des Cent mille milliards de poèmes de Queneau. Cette réduction se repère aussi bien dans les textes --- l'oeuvre signée du nom de son auteur est indiscutablement valorisée par rapport à l'exercice, souvent anonyme, recueilli dans les ouvrages collectifs --- que du point de vue théorique, où l'on passe de l'invention des possibles à la continuité généalogique du plagiat par anticipation, qui tend à induire la fiction rétrospective d'une nécessité historique de l'invention poétique.
La virtualité, qui prend alors la forme à proprement parler d'une case aveugle, se trouve par conséquent récupérée au service de l'oeuvre : l'Oulipo élabore le dispositif idéologique du clinamen, manifestation structurale de sa mauvaise foi rhétorique en tant qu'il est défini comme la case blanche, la part de jeu propre à gager sur la subjectivité de l'auteur l'unité forte du texte scolastique. Dans cette perspective, la case aveugle n'est pas tant le manque signifiant l'ouverture de la poétique à une fécondité rhétorique --- ce que laissait légitimement attendre le discours oulipien --- que, paradoxalement, le moyen formel de réinscrire le texte dans l'ordre scolastique de l'oeuvre : on le montrera de manière détaillée pour le système des contraintes de La Vie mode d'emploi de Perec. La case blanche du clinamen marque ainsi formellement, sinon un aveuglement, du moins la mauvaise foi d'un discours, en constituant l'espace oùse manifeste la dissolution de la rhétorique oulipienne dans l'ordre du commentaire.
C'est dire que la virtualité, finalement, caractérise en propre la rhétorique spéculative de l'Oulipo, qui ne renonce pas à inscrire sa prospective poétique dans l'ordre scolastique du commentaire.
De l'inexistence du roman policier dans l'antiquité. François Hoff (Lettres Sup Chartes Strasbourg).
On définit les traits pertinents du roman policier canonique (de Dupin au Whodunit des années 30, via Gaboriau et Sherlock Holmes. Le roman antique n'a pas connu le genre, semble-t-il. Pourtant, pris un à un, tous les éléments étaient représentés, dans le roman lui-même, la tragédie, l'éloquence juridique, et la philosophie. Il existait une police et une criminalité urbaine, évidemment, mais aussi l'enquête sur les circonstances, la lecture d'indices, la coniectura à l'envers, etc. On essaiera de ne pas s'en tenir là, en proposant des explications à cette inexistence : On ne pouvait pas sortir du modèle du discours judiciaire ; seul l'orateur et sa virtuosité dans le maniement de l'argumentation intéressent. L'enquêteur chercheur de vérité ne peut pas encore être un héros de roman. Ses méthodes, qui simulent la démarche du philosophe, du médecin, du physicien, appartenaient à des domaines dont la dignité interdisait l'utilisation dans le romanesque.

Pour une histoire de limpossibilité du roman. Fabienne Dumontet (Grenoble).

Dans deux récents ouvrages (Pré-histoires I et II), Terence Cave s'interrogeait sur la préhistoire possible de phénomènes, notions ou expériences dont on pourrait trouver trace ou "recueillir les coordonnées" (à défaut d'une illusoire épiphanie) dans les textes littéraires de la Renaissance. Le chercheur anglais voudrait ainsi rompre avec la dimension téléologique de l'histoire des idées, non sans reconnaître le caractère forcément anachronique du regard critique, quitte à renoncer aux valeurs conclusives de son enquête (voire à suspendre le jugement critique dans une attitude sceptique). Terence Cave renonce ainsi à la fonction immédiate de l'érudition en histoire littéraire susceptible, à travers un travail de reconstitution ou de restitution, d'élucider des éléments d'épistémè d'une période donnée; il propose plutôt de mettre en lumière l'illisibilité d'une période pour les contemporains, et notamment pour les écrivains, capables de mettre en forme cette illisibilité - que Terence Cave appelle un "trouble" quand il se manifeste dans le texte littéraire. Une question du même ordre se pose sur l'histoire des genres littéraires, lorsqu'il s'agit de penser rétrospectivement leur formation. Soit que, dans une projection téléologique remarquable, les textes de cette préhistoire susceptibles d'appartenir a posteriori au genre recherché soient lus à la lumière de critères poétiques discrètement anachroniques (et l'on décrira les "pré-romans" de l'époque ancienne selon les traits retenus pour définir le roman "novel" du XVIIIème siècle); soit que l'on reconstitue une chronologie générative, en suivant la piste des genres alors identifiés dans la pratique (création ou réception) et la théorie, susceptibles de fonctionner comme sources ( et l'on verra alors le roman naître au confluent de la comédie, de l'éloquence épidictique, de la satire, du dialogue, etc) sur le présupposé d'une filiation opérant par rencontres, combinaisons et échanges de termes positifs, dont le plasma antique étudié par Barbara Cassin dans L'effet sophistique à partir des dialogues lucianesques serait l'un des exemples. Il s'agit toujours de repérer dans les matériaux d'époque les éléments épars mais bien présents d'un genre à venir, d'une cohérence future que le chercheur pose au préalable comme objet herméneutique. De ce présupposé, le critique ne peut pas faire l'économie. Mais il peut, en transposant l'approche de Terence Cave, s'interroger sur ces moments de "trouble" où l'ordre poétique hérité se trouve visiblement perturbé sans que pour autant une transformation entière ne soit rendue possible : le moment où certains textes montrent que l'apparition d'un nouveau genre serait motivée et soudain probable, mais impossible à écrire. Dans ce cas, au lieu d'inventer par transgressions ou combinaisons, l'écrivain fait apparaître les contours de la case blanche et l'idée que quelque chose d'inimaginable, dans la rencontre entre la configuration poétique donnée et le contexte, manque. Nous prenons comme exemple la transformation que Lucien de Samosate fait subir à la catégorie poétique de l"histoire" à travers un véritable dispositif littéraire, que Mireille Huchon, dans sa présentation des uvres complètes de François Rabelais, a indiqué : il s'agit de deux textes, un traité ( Comment on écrit l'histoire) et un récit de voyage mensonger (L'Histoire vraie), reliés par l'homonymie ironique de leur titre, à laquelle les éditions de la Renaissance ajouteront une subordination rhétorique (de la regula du traité à l'exemplum du texte fictionnel). Voici notre hypothèse : dans le contexte poétique antique qui ne ménage pas de statut à la fiction véridique, et devant un corpus littéraire déjà classique et apparemment "bouclé" par la tradition, Lucien cherche à manifester cette impossibilité de deux manières : par combinaison positive, en mêlant comédie et dialogue philosophique ( et c'est le plasma évoqué plus haut, largement étudié par la tradition critique), mais surtout par combinaison négative, en soumettant l'une de ces catégories, l'"histoire", à la dissociation ironique - raconter une histoire, raconter des histoires - bref, en faisant apparaître à qui sait le voir un "trouble" radical, que nous tâcherons de décrire le plus précisément possible. C'est donc l'ironie, comme processus d'interprétation à retardement, qui garantit à la fois l'existence et l'invisibilité de la case blanche (mais on pourrait trouver sans doute d'autres exemples impliquant d'autres procédés et effets littéraires adéquats, qui aboutiraient à cette même situation), comme un signe qui indique la présence possible et l'absence constatée de ce texte à écrire dans l'entre-deux du dispositif. Rabelais, lui, le comprendra, par hasard ou peut-être pas - et nous tâcherons, autant que faire se peut, de pointer les modifications d'épistémé qui ont pu rendre sa lecture effective. C'est dans le Tiers-Livre qu'il trace autrement les contours de cette case blanche, et l'intègre dans une forme fictive largement inspirée du plasma, l'autre tentative positive de Lucien, qu'il indique lui-même dans son prologue.

Les déplacements de l'histoire de l'essai et les métaphores de la généricité. Marielle Macé (Fondation Thiers).

Je vais suivre plusieurs fils dans cette étude qui prendra pour exemple le genre de lessai (lexemple aurait pu être tout aussi bien celui du roman, qui pose des questions semblables de classement, de valeur, mais présente moins clairement que lessai une histoire en pointillé), et pour objet plus constant lhistoricité des systèmes de genres. Premier fil, celui de limaginaire générique, en particulier des contraintes et des profits propres à une représentation critériologique des genres, représentation taxinomique, plane, et supposant abscisses et ordonnées ainsi que lexige limage de la case blanche. Deuxième fil : la difficulté de classement (difficulté théorique de classement de lessai, mais aussi histoire dun déplacement ou dune transformation à éclipses, la mise entre parenthèse du genre étant lavatar historique de la difficulté de classement). Troisième fil, la proposition dune définition relative ou différentielle du genre, en termes de transformation, de doublage ou d« ombrage », qui fait de lessai un simple cas particulier de la transformation ou de linvention générique. Il sagit à chaque fois de sinterroger sur la forme que prend lappréhension théorique dun inclassable ou dun absent, de moduler, donc, le registre de la case aveugle, de décider par exemple que certains réseaux métaphoriques rendent mieux comptes que dautres du mode dexistence de certains genres.

La littérature comme événements. Pierre Campion et Yvon Logéat.

(Projet dune communication prononcée par deux personnes.)
Point de départ
Nous partons de lune des têtes de chapitre de votre projet : « Jalons pour une histoire littéraire rhétorique où il sagira de définir ce qui aurait pu être autant que de montrer que ce qui fut ne pouvait être autrement. »
Précisément, et dans une hypothèse différente, nous partirions de lidée selon laquelle on ne saurait définir ce qui aurait pu être et ce qui pourrait être sans supposer que ce qui fut que ce qui est pouvait être autrement. Surtout nous voudrions évoquer, plutôt quune théorie de la production littéraire, une théorie de la littérature comme action.
Les références
Nous nous appuyons sur une proposition plus générale selon laquelle ce qui a eu lieu aurait pu ne pas avoir lieu. Cette proposition réfère à une philosophie de laction et traiterait les uvres comme des événements.
Elle évoque une certaine philosophie de lhistoire, celle que lon trouve dans Walter Benjamin et, en référence à Benjamin, chez Daniel Bensaïd ou Michèle Riot-Sarcey. Ainsi cette dernière, historienne des idées politiques, prend-elle en considération les utopistes du XIXe siècle et les protagonistes des actions qui neurent pas lieu ou qui échouèrent. Car, pense-t-elle, lévénement, tel quil fut, ne peut se comprendre par linscription au sein de nécessités construites a posteriori.
Ainsi, à linstar de ces philosophes et historiens, nous aimerions soutenir la possibilité dune histoire littéraire des événements de la littérature qui, par exemple, ne retiendrait pas comme significatives la notion de corpus des uvres ni même celle de périodisation.
Que signifie cette proposition selon laquelle les uvres que nous avons auraient pu être autres que ce quelles sont ou même auraient pu ne pas être du tout ?
Le point de vue de lauteur comme inventeur
Il nous semble que beaucoup décrivains souscriraient ou auraient souscrit à ce genre de proposition. Pour la raison très simple et tout à fait évidente quils ne savaient pas, avant davoir écrit telle uvre ni même en lécrivant, si elle se ferait ou non et comment. Cela se voit, et ils le disent souvent, et cest même, de fait, le premier article de la théorie de leur pratique. Il y a même des poétiques qui ne fonctionnent que sur cette proposition, diversement pensée et mise en fiction, celles de Proust, de Kafka, de Flaubert, de Mallarmé, de Rimbaud
En termes plus théoriques : la relation entre théorie et pratique na de sens dabord que dans la perspective de celui qui fait luvre, du poète de cette uvre.
En dautres termes : est-ce que le fait denvisager luvre dans la perspective de son invention importe à lintelligence de cette uvre ? Ou encore, pouvons-nous étudier luvre en éludant le fait du moment de lauteur, ce moment de lauteur ne signifiant pas seulement son historicité mais aussi le geste de son mouvement dinvention ? Ny a-t-il pas dans cette uvre des marques et traits de ce moment et de ce geste ? Enfin peut-on enseigner telle uvre sans poser justement le caractère contingent de cette uvre, au regard délèves et détudiants, dont le processus déducation à la réalité des uvres et, en général, à la réalité de ce qui est, ne saurait se ramener à la considération des choses comme elles sont ?
Le point de vue de lanalyse littéraire
Considérer les pratiques de la littérature comme les autres pratiques et au sein dune pensée et dune pédagogie de laction, cela suppose que lon mettre au centre de létude la notion de faillibilité. De fait, nos études et notre enseignement sont imprégnés des idées de nécessité et de perfection, alors que, évidemment, nous ne songerions pas à les appliquer comme présupposé à létude de la politique.
Il conviendrait donc de penser les uvres dans la perspective du risque, de limperfection et de léchec. Apparemment cest ce que vient de faire Pierre Bayard, de manière plus ou moins convaincante mais louable en son principe.
Le point de vue de lenseignement
On voit limplication pratique de lenseignement. Nous suggérons danalyser, à ce point de notre éventuelle communication, les séquences de travail faites par celui de nous deux qui les a menées selon le projet de mettre les élèves eux-mêmes, théoriquement et pratiquement, devant les événements de lécriture : travail sur Flaubert, réflexion avec des écrivains invités, travail en cours sur des contes africains oraux avec des lycéens au Niger.
« Viens; nous allons voir ce qui est arrivé... » (Maurice Maeterlinck, Pélléas et Mélisande, acte III, scène 5). Marjorie Berthomier (Paris).

Je me propose de rendre compte de la manière dont j'ai travaillé sur la transformation en opéras, au début du XXe siècle, de trois textes de théâtre (Pélléas et Mélisande, Woyzeck, Faust). Chercher à restaurer "l'épaisseur" potentielle du livret conduit en effet, dans un premier temps, à relire le texte dont il est adapté, à l'aune de ce qui s'y est perdu et qui a - ou aurait - pu donner lieu à l'écriture d'une autre oeuvre: on pourra, à l'aide de quelques exemples, faire brièvement la démonstration des possibilités renouvelées de lecture critique qu'offre un tel travail, sur le texte initial tout autant que sur celui (ceux) qui en est(sont) issus, et déterminer quelques possibilités inexploitées de réécriture... Mais accepter "la platitude" de ce même livret oblige aussi, dans un second temps, à réfléchir sur les liens de celui-ci à la mise en musique à laquelle on le destine. En se plaçant de ce point de vue, les démarches respectives de Debussy coupant dans Maeterlinck, de Berg adaptant Büchner, de Busoni récrivant le mythe de Faust peuvent apparaître comme autant de tentatives de mettre à l'épreuve de leur pratique de compositeurs une même possibilité théorique apparemment impraticable (ce dont témoigne, entre autres, l'ambivalence à ce sujet de leurs écrits critiques): celle de faire de la musique, selon et contre les principes wagnériens, le medium essentiel de la représentation du drame, alors qu'ils ont reconnu ou font justement l'expérience de son inaptitude foncière à la représentation, scénique notamment. Les solutions qu'ils mettent en oeuvre sont alors à interroger du point de vue de l'histoire du(des) genre(s), des formes, et des idées dont elles - ou qui en - procèdent. Elles conduisent en effet plus largement, dans un troisième temps, à réfléchir à ce concept même, et à ce qu'il en advient quand la pratique critique d'une poétique de l'impossible (choisir de travailler sur l'indicible en littérature, l'invisible au théâtre, le silence, l'inouï, voire l'inaudible en musique) se fait constitutive de la démarche artistique même.