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La caravane du conte

La caravane du conte

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Association OCADD)

La première édition de "la caravane du conte"à Beni Mellal

Après une année de dur labeur, consacrée essentiellement à l'élaboration et à la conception de ses projets, l'association Oralité, Conte pour l'Amitié, le Dialogue et le Développement passe à la concrétisation de son programme pour l'année 2006/2007. "La caravane du conte", avec la participation de conteurs notoires (Ann-Karen, Redouane Ben Taleb, Mohamed Bariz), a ciblé lors de sa première édition des établissements socio-éducatifs. Elle a de ce fait a offert des moments de plaisir et de bonheur à plus de 1400 bénéficiaires. Des séances de contage ont été respectivement organisées dans les établissements suivants :
1. Centre hospitalier régional de Beni Mellal
2. Dar attalib
3. Centre de documentation pédagogique
4. La prison civile
5. la faculté des lettres et des sciences humaines
6. la chambre du commerce, de l'industrie et des services
Et pour information, nous présentons dans ce dossier les moments forts de la première édition de « la caravane du conte » :

La magie du conte au Centre hospitalier régional

Une place aménagée à l'occasion près des bâtiments portant l'inscription « Médecine Enfants ». Moment de relève au CHR, des blouses blanches apparaissent dans les couloirs : le corps médical de garde. Les derniers visiteurs s'attardent sur le palier pour profiter du spectacle. Le cercle magique de la parole prend forme, sous les yeux curieux et impatients de l'auditoire. En présence d'une centaine de patientes, de patients, en particulier des enfants accompagnés de leur mère ou proche, les conteurs commencent à dérouler le tapis magique du conte. Le duo Anne-Karen et Redouane raconte l'histoire de « la carotte », musique, parole, gestuel, une véritable théâtralisation du conte. Les visages des enfants s'illuminent oubliant pour l'instant leur maladie. Peut-on guérir avec les mots ? Le conte est-il une forme de thérapie ? Oui, selon le Docteur Benchrif, dans certaines situations ; il n'a pas cessé d'ailleurs d'observer un enfant venant de subir une opération, oubliant momentanément sa douleur, et qui n'arrêtait pas de rire…
Par ailleurs, le maître du conte populaire, Mohamed Bariz, dans son accoutrement magistral, a ce don singulier de puiser dans son répertoire ce qui convient à son auditoire. « Le roi et le médecin ». Les contes de M. Bariz sont souvent tissés autour de deux personnages antinomiques ; ils peuvent être humains, animaux, minéraux, végétaux et de tous milieux : rois, paysans, commerçants, enfants ou adultes, femmes ou hommes. Les personnages peuvent aussi être surnaturels : monstre et génie, ou allégoriques : l'Amour, la Bonté, la Mort. Il arrive qu'un même conte mélange plusieurs catégories de personnages.

A Dar Attalib, les enfants font tout pour prolonger la soirée

Une grande salle occupée avant l'heure par des enfants, des adultes, des éducateurs, « la caravane du conte » est attendue avec impatience et curiosité. Dès le début, on assiste une véritable symbiose entre le public et les conteurs. Le duo Anne-Karen et Redouane présente un conte africain, des cantines rythmées par un instrument de percussion. La démarche interactive adoptée par ces derniers, interpellant d'un moment à l'autre les élèves, confère au conte sa fonction pédagogique en tant qu'outil d'éveil, de créativité et du déclenchement de l'imaginaire.
Nous l'avons vu, on ne conte pas dans la langue de tous les jours, mais dans une langue sacrée. La langue du conte est imprégnée d'impressionnisme, de motifs, de métaphores…. Le vocabulaire est riche en mots expressifs, particulièrement des verbes. Il faut suggérer beaucoup en peu de mots car le style oral nécessite une réduction du texte. Cette réduction est possible grâce aux nuances de la voix, des gestes….
Mohamed Bariz accroche son public par un conte fantastique « le riche d'Alexandrie » que Dieu voulait mettre à l'épreuve en le dépossédant de sa fortune. A partir d'une situation de départ aussi banale, il tisse son récit principal, ouvre des parenthèses. Voyage initiatique où il décrit les lieux, les personnages, leurs caractères.
Le conte, est plus particulièrement le miroir de la société, il souligne les mentalités, révèle les croyances et valorise certaines conduites. C'est une véritable leçon d'éducation morale.


Le conte contre l'angoisse et la solitude dans la prison régionale
de Beni Mellal

Le 24-11 -2006 était une journée pas comme les autres dans le pénitencier régional de Beni Mellal. Une trêve contre le temps destructeur, contre le temps continu où le calendrier ne compte plus. Le temps est pour les détenus une suite d'instants plus ou moins longs selon l'émotion ressentie ou le souvenir qui émerge dans leur conscience …. Ce jour-là l'horloge biologique s'est tue durant deux heures pour laisser la place au temps imaginaire, au temps mythique créé par des conteurs venus de Casablanca et de Marrakech : Ann-Karen, Redouane Ben Taleb et Mohamed Bariz

Ann-Karen , accompagnée de Redouane Ben Taleb, musicien originaire de Ouarzazate, ont représenté dans la cour de l'enceinte de la prison « La Chèvre et le Loup ». La chèvre (mère) a éventré le loup ( prison) pour récupérer ces quatre petits qu'il avait dévoré. ; La voix de la mère a certainement résonné dans les oreilles de ces détenus ; un conte où les langues arabe, amazighe et français se sont mêlées sans violence.

Mohamed Bariz, de son côté, a emporté dans son conte intitulé - « Si un métier ne rend pas riche, il prolonge la vie » -, les quatre cents prisonniers vers Bagdad de Haroun Errachid. Le métier de tissage que le roi avait appris, lui a sauvé la vie, contrairement à son vizir.
Durant deux heures, les détenus ont oublié qu'ils étaient en prison. La cour de la prison s'était transformée en une place publique, espace de liberté, où les auditeurs et les conteurs s'interpellaient. Les détenus applaudissaient, riaient ou peut-être même pleuraient intérieurement.

Le moment fort de cette séance, c'était la fin du contage où les prisonniers s'étaient levés pour saluer et remercier les conteurs venus les tirer momentanément de leur isolement. Les détenus raconteront et se raconteront ces histoires très longtemps ; des histoires qu'ils croiseront avec les leurs pour en déceler les similitudes, les différences, pour regretter leurs délits, si délits il y a ou pour désavouer leur conduite passée, mais aussi pour s'armer de patience et d'espoir.


Le Centre de documentation pédagogique de Beni Mellal :

Conte et libération de l'imaginaire


« La caravane du conte » débarque au CDP (Centre de documentation pédagogique de Beni Mellal). La grande salle est prête ; échanges entre organisateurs et responsables du CDP ; mieux vaut cette fois-ci raconter en plein air et profiter d'une belle journée ensoleillée, près des arbres. Et rapidement, la place du contage est aménagée. 120 élèves de 6ème année de L'école Bab Ftouh jouxtant les bâtiments du CDP, traversent une petite porte et prennent d'assaut l'endroit prévu pour le contage sous le regard vigilant de leurs professeurs et du directeur.20 professeurs stagiaires du CFI assistent au spectacle. Ils ont tous suivi, dans un premier temps, deux contes pour enfants (la petite carotte, pourquoi l'éléphant a-t-il une trompe) mis en scène par le duo Ann-Karen, conteuse professionnelle, et Redouane Ben Taleb, musicien. Mohamed Bariz a ensuite enchaîné par un conte puisé dans les Mille et Une Nuits : (le commerçant et ses quatre fils.)
Ces trois contes ont une visée psychologique, éducative et pédagogique, les élèves se sont impliqués dans les contes par un jeu de répétition, d'anticipation ; ce qui a enclenché une atmosphère de détente et de joie.
Cette séance de contage a également pour objectif de sensibiliser les instituteurs, et les élèves maîtres, présents, aux fonctions ludique et didactique du conte, une manière de les inciter à l'exploiter dans certains cours de langue.
En effet, rassembler le groupe-classe pour dire un conte est d'un apport capital pour l'accès au langage de l'évocation. Le conte permet d'aller plus avant encore dans le pouvoir de représentation du langage, en explorant des mondes imaginaires et en constituant une première culture partagée. L'immense répertoire des traditions orales est ici au centre du travail. Son exploration doit être soigneusement programmée, dans le cadre d'un projet, en vue d'appréhender des thèmes variés : (la vie, la mort, les rites, la dépendance et la liberté, le courage et la lâcheté, la pauvreté et la richesse, le bien et le mal...).
Une réflexion sur les pistes méthodologique et didactique centrées sur le conte est envisagée avec la participation des professeurs stagiaires du CFI.


Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Beni Mellal

Pourquoi le conte aujourd'hui ?

Les étudiants du 3ème cycle (DESS, MASTER) ont été invités à une table ronde avec deux conteurs professionnels (Ann-Karen et Mohamed Bariz) le 24-11-2006. La rencontre s'est articulée autour de trois volets :

I- Entretien avec les conteurs

- Itinéraire des conteurs :
Début de contage, formation, motivation
- Adaptation des contes (à partir des contes populaires ou des textes littéraires)
- Types de lecture
- Contes, langue et gestuel, quel rapport ?
- Conteurs et contes (objectivité, subjectivité)



Les deux conteurs ont suivi deux itinéraires différents qui, toutefois, se recoupent à la fin.
Mohamed Bariz faisait l'école buissonnière pour aller écouter le conteur sur une place publique de Marrakech. Fuite de l'école et de la famille, séjour à Beni-Mellal, puis à fquih Ben salah, retour à Marrakech, séjour à Jerrada, tels sont les lieux qui ont marqué le jeune conteur. Mohamed Bariz ignorait qu'il allait devenir célèbre et qu'il allait travailler avec des intellectuels du genre Abdelfattaf Kilito, Brahim El Khatib, il ignorait qu'il allait conter en France, en Espagne, au Portugal, en Allemagne à côté des grands conteurs venus des quatre coins du monde …, Tout au long de cet entretien, les deux coteurs ont dévoilé des fragments de leur vie
Ann-Karen, quant à elle, a surtout découvert le conte dans un autre pays que le sien, Le Laos en Asie A son retour en France, elle a suivi pendant trois ans une formation au centre de littérature orale (Clio). Arrivée au Maroc, elle adapte des contes marocains ou autres pour les conter aux enfants. Si Mohamed Bariz, introduit des épisodes de sa vie personnelle dans les contes, Ann-Karen, elle, s'efforçait de ne pas s'impliquer dans les contes. Contrairement à Mohamed Bariz, elle ne vit pas de son métier de conteuse, elle conte pour le plaisir de conter et pour l'amour des enfants.

II- Débat avec les étudiants

Les questions des étudiants ont porté sur :

-Conte et mondialisation
-Conte et société
-Conte et public (enfants et adultes)
-Conte, mémoire et identité
- Conte et NTIC (nouvelles technologies d'information et de communication)

III Contage

Le conteur Mohamed Bariz a clos la séance par un conte puisé dans les Mille et Une Nuits. Il s'agit d'une démonstration au profit des étudiants : le conteur a mis en pratique les techniques qu'il avait détaillées lors de l'entretien et du débat.



A la chambre de commerce, de l'industrie et des services
Cérémonie de clôture à l'honneur des enfants et de la société civile

Face à un auditoire constitué de famille, d'enfants et d'associations, les conteurs ont offert au public de très belles prestations, ce fut un moment de communion où se sont mêlés musique, rythmes, cadences, paroles….Le remarquable duo Karen-Redouane occupe la salle, s'empare des oreilles des enfants aux creux desquels il dépose une symphonie sublime. Une grande satisfaction illuminait les visages angéliques des enfants et de leurs parents.
Quant à Mohamed Bariz, il nous transporte dans d'autres contrées, un voyage dans le temps et dans l'espace de l'auguste Orient d'antan, celui des « Mille et Une Nuits », des « jardins suspendus », de l'éternel conflit entre le « Bien » et le « Mal ». Errance de l'Alexandrie vers le Yémen, traversée du désert, pause dans un petit village, le jeune coiffeur incarnant le « Bien », après des moments difficiles voire tragiques, arrive à vaincre le « Mal », épouse la princesse et devient roi …
Le public est satisfait, en particulier les enfants, car le « Bien » est bien récompensé. M. Bariz fascine son auditoire, l'hypnotise par sa manière de dire un conte, les situations d'attentes qu'il ne cesse de créer, la langue rythmée et mélodieuse qu'il utilise, son déplacement sur la scène, ses formules récurrentes d'implication et d'interpellation des auditeurs.

Extraits de témoignages des conteurs :

Mohamed Bariz
« Je dois beaucoup à Beni Mellal où j'ai fait mes début de conteur, je devais avoir 10 ans environ…C'est là où j'ai rencontré mon maître Omar Douami…Au fait, je n'ai pas choisi le conte, c'est lui qui m'a choisi. Quant à votre association OCADD, je vois que nous constituons une même famille. Signalons aussi que le public mellali aime le conte, l'imaginaire, nous avons cette passion en partage. Je souhaite que cette caravane visite d'autres coins, Oujda, Ouarzazate Votre travail est noble et je vous souhaite succès et réussite… »


Ann-Karen Tournemire

« J'ai trouvé que le moment fort c'était de raconter en prison ; c'est une première pour tout le monde. C'était très chargé en émotion ; nous avons donné une belle image de ce qu'on fait, de cette espèce d'utopie. On a eu affaire à un public très nombreux et varié. C'était très fort ; je ne suis pas prête d'oublier, je suis très contente de partager avec vous ces trois journées bien pleines…on se reverra inchallah »


Redouane Ben Taleb

« Moi je trouve que l'association OCADD fait quelque chose de formidable. Et puis cela rejoint ma démarche au sud du Maroc, à Ouarzazate, j'utilise des instruments de percussion traditionnels, une espèce d'évocation de la musique des rites, fêtes, moissons…Je puise donc dans le répertoire de mes ancêtres avec des influences de l'Afrique subsaharienne. Le but étant de sauvegarder notre patrimoine culturel. Je suis très satisfait de cette première caravane du conte… »

« Ou mchat hjayti mâa lwad lwad, ouana bkit mâa lajwad”