Agenda
Événements & colloques
La bohémienne : figure poétique de l'errance aux XVIIIe et XIXe siècles

La bohémienne : figure poétique de l'errance aux XVIIIe et XIXe siècles

Publié le par Alexandre Gefen (Source : pascale auraix-jonchiere)

La bohémienne : figure poétique de l'errance aux XVIIIe et XIXe siècles


Le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, qui consacre plusieurs pages à la rubrique "bohémien, ienne", fait porter l'accent sur un ensemble de traits sémantiques qui font émerger les notions conjointes d'indétermination, de flottement ou de cumul des significations, de désordre et de subversion :
- bohémiens ou bohémiennes sont qualifiés de "vagabonds" ; figures de l'errance, sans feu ni lieu, leur origine est plurielle, incertaine, voire introuvable.
- de même l'étrangeté de leur langue évoque divers idiomes, et l'absence de langue écrite ou de littérature fixe en renforce la plasticité et le mystère intrinsèques.
- enfin, l'infraction aux lois les caractérise : c'est "par les moeurs et les usages" qu'on les reconnaît essentiellement. Ce qui fait leur unité est en réalité la force de dissidence qu'ils représentent, en raison des pratiques qui sont les leurs : vol, mais aussi magie et chiromancie.
Nation sans patrie et sans prophètes, peuple sans terre promise, dans une Europe où les dynamiques nationalistes redessinent l'atlas des identités, où la quête des origines se cristallise sur le sol natal, les bohémiens ont pour patrie le monde, pour origine un ailleurs mystérieux et fascinant. Ils incarnent de ce fait une irréductible et définitive altérité, redoublée lorsqu'elle se conjugue au féminin.
C'est peut-être pour cette dernière raison que, dans le sillage de Diderot et de Voltaire, le XVIIIe puis le XIXe siècle privilégient une représentation féminine de la figure. La bohémienne en effet, cette "gitanilla" antérieurement mise en scène par Cervantès (dans ses Nouvelles exemplaires), synthétise les contradictions et se présente, à l'époque qui nous intéresse, comme l'emblème d'une contestation et d'une frénésie dont nous aimerions examiner les implications profondes. Sans doute la musique et la danse sont-elles les principaux vecteurs de ce désordre hautement significatif : "[...] Les femmes se lèvent, jeunes ou vieilles, et se mettent à danser, ou plutôt à glisser sur le parquet, en donnant à leurs bras et à leurs épaules, à leurs hanches, à tout leur corps, des frémissements bizarres, des mouvements désordonnés, qui les jettent peu à peu [...] dans une sorte de transport et d'ivresse".
De toute évidence, incarnation de la marginalité et du contrordre social, la bohémienne est placée sous le signe d'Hermès, dieu des passages, des mouvements, des "contacts entre éléments étrangers", que sa ductilité constitutive met en relation avec le verbe, la magie, la poésie (voir Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs). Là réside sans doute l'intérêt porté à la figure complexe, contradictoire, presque insaisissable, de la bohémienne : dans Notre-Dame de Paris, pressent par exemple Pierre Larousse, "Esmeralda est l'image indéterminée d'un idéal poétique".
C'est cette relation plus spécifique entre la figure féminine et le domaine de l'expression poétique qu'il conviendrait de cerner, en examinant les représentations auxquelles elle donne lieu dans le triple domaine de la littérature, de la musique et de la peinture.
Un colloque international est prévu les 12, 13 et 14 mars 2003, à l'Université Blaise Pascal, Clermont II. Il y sera question des origines, de l'histoire et de la désignation de la bohémienne, telles qu'elles sont évoquées aux XVIII et XIXe siècles, notamment dans les dictionnaires ; de la phénoménologie et des significations symboliques de cette figure dans le domaine artistique ; enfin des liens qu'elle entretient avec l'expression poétique.


Ce colloque sera suivi d'un ensemble de manifestations autour du thème de l'errance aux XVIII et XIXe siècles, dans ses diverses acceptions et manifestations.