Questions de société

"L'Université française fonctionne très bien" (Le Monde, 23/2/1909).

Publié le par Marc Escola (Source : I. Langlet)

Il y a un siècle:

23 février 1909 : L'université française fonctionne très bien

” Notre université marche bien”. Le recteur Liard, grand patron de l'Université de Paris que je reçois aujourd'hui avec son adjoint chargé des finances, m'apparaît comme un homme heureux. Il se félicite de la loi de 1896 qui a donné son autonomie à la maison qu'il dirige. Il remercie l'Etat d'avoir significativement augmenté les salaires des professeurs qui rejoignent ceux versés dans les universités allemandes. Il souligne que le niveau des études et des recherches publiées n'a jamais été aussi élevé.

“Nous vous remercions de votre soutien ! Grâce à vous, nous avons pu nous éloigner de la médiocrité intellectuelle du siècle dernier qui nous avait conduit, ni plus ni moins… à Sedan!” ajoute-t-il pour rappeler que les universités ont maintenant la personnalité juridique et sont indépendantes.

Son adjoint  complète : ” nous pouvons recruter, dans chacune des facultés, les meilleurs enseignants de province. Et ce sont les professeurs chevronnés qui détectent les perles rares pour leur faire rejoindre la Sorbonne. Ce système d'autonomie des facultés a conduit aux recherches sur le radium par Curie, à la découverte de la photographie couleur par Lippmann, à celle du four électrique par Moissan. Nous invitons des personnalités étrangères prestigieuses comme Carnegie. Nos professeurs sont les invités permanents d'Harvard à Boston ou des universités d'Amérique latine. Ils forment depuis longtemps les élites égyptiennes et commencent à s'implanter à Prague. Sur 18 000 étudiants inscrits dans nos facultés, 4000 sont d'origine étrangère. Grâce à nous, c'est toute la France qui rayonne ! “

Je glisse à cet adjoint enthousiaste quelques questions sur les risques de la cooptation qui mène au mandarinat et à la sclérose ; j'émets quelques réserves sur la domination qu'exerce l'Université de Paris sur les établissements de province, je le pousse dans ses retranchements sur l'influence de l'érudition allemande qui nous éloigne d'une liberté de pensée bien française…

L'adjoint s'exclame, avec orgueil :

- L'Université, la “Nouvelle Sorbonne”, n'est plus guère attaquée que par l'Action française, par les antisémites qui comptent le nombre de juifs dans nos rangs et par les antidreyfusards qui regrettent nos prises de position en faveur du capitaine pendant l'Affaire ! “

Je rétorque, vexé : ” je ne fais pas partie de ces trois catégories. Je représente en revanche un Etat et un gouvernement qui estiment avoir leur mot à dire sur le fonctionnement des facultés puisqu'ils les financent et qu'ils doivent veiller au respect de la volonté du peuple français.”

L'adjoint ne se démonte pas :

- Mais Monsieur le conseiller, l'Université n'est jamais aussi bonne que lorsqu'on lui fait confiance tout en lui donnant de vrais moyens pour fonctionner. Cela crée chez nous une volonté d'atteindre l'excellence dans chaque discipline et de nous mesurer aux meilleures institutions étrangères. Faites-nous confiance !

Je lui réponds, un peu désabusé :

- Avec notre instabilité ministérielle chronique, nous sommes bien obligés de vous faire confiance. Les ministres passent… Vous, vous restez ! “