Collectif
Nouvelle parution
L'ombre, le double

L'ombre, le double

Publié le par Camille Esmein (Source : éditions aleph)

L'ombre, le double

ISBN : 2-913351-07-7
ISSN collection : 1635-6373
octobre 2005, 288 pages, 34,50 e

à commander :
ÉDITIONS ALEPH
Le gour du loup
26120 Malissard
E-mail : aleph.editions@laposte.net
Site : http://perso.wanadoo.fr/aleph.editions

Les auteurs :


Pascal Bouvier
Professeur Agrégé de Philosophie, enseigne à l'Université de Savoie. Doctorant, travaille sur Les fondements imaginaires du politique à partir de Machiavel et de Campanella.

Marta Caraion
Maître de conférence de littérature française à l'Université de Lausanne depuis 1999. Spécialiste du XIXe siècle, elle a consacré une étude aux relations entre littérature et photographie, envisagées dans une perspective d'histoire culturelle.

Murielle Martin
Chargée de cours, Université Henrich Heine, Duesseldorf (Allemagne).

Anne Isabelle François
Ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de lettres, enseigne la littérature comparée à l'Université de Versailles / Saint-Quentin-en-Yvelines et à l'European College of Liberal Arts (Berlin).

Laurence Decroocq
Chercheuse associée au laboratoire Modalités du Fictionnel à l'Université du Littoral-Côte d'Opale. Deux axes de recherche : J.-K. Huysmans et les rapports de l'espace et de la littérature.

Éliane Burnet
Maître de conférences en Philosophie à l'Université de Savoie, est titulaire d'un doctorat en Esthétique portant sur l'art contemporain.

François Granier
Professeur de Lettres modernes, diplômé du DEA Lettres modernes et contemporaines de l'université de ClermontII. Poursuit actuellement une thèse portant sur la question de la création entre la Genèse biblique et hébraïque, et l'oeuvre de Gérard de Nerval.

Pierre Kadi Sossou
Chercheur postdoctoral à la Chaire de Recherche du Canada en transferts littéraires et culturels (Université d'Ottawa). Il y pilote le projet « Transfert et Altérités».

Magali Nachtergael
Agrégée de Lettres Modernes, prépare une thèse de doctorat à l'Université
Paris 7 Denis Diderot sur le récit-photo. Critique d'art, elle collabore avec la revue artpress et enseigne actuellement l'histoire de l'art contemporain à l'Université de
Bordeaux 3.

Corinne Maury
A obtenu un DEA en philosophie esthétique (Université de ToulouseIII; dir. Raymonde Carasco) et un DEA en anthropologie visuelle (Université de Paris X ; dir. Jean Rouch), Enseigne le cinéma à l'école des Beaux Arts de Mulhouse et à l'Université de Tours.


Résumés :

Pascal Bouvier
L'ombre et le double ou la réalité énigmatique

L'ombre n'est pas le double, mais elle est impensable sans celui-ci. Elle est l'image fondatrice qui désigne l'autre et le même ainsi que la mort. L'anthropologie et la poésie pensent ce caractère fascinant. Pourtant au-delà de cette interrogation psycho-anthropologique, la science physique plus laborieuse démystifie l'ombre par le calcul et l'astronomie. Avec la découverte de l'ombre en géométrie la rationalité triomphe et fonde même une esthétique (la perspective de la Renaissance). L'ombre rationalisée cesse-t-elle pour autant de nous fasciner ? Le double qui lui est toujours lié ne garde-t-il pas un sens profondément métaphysique, réactualisé par les pratiques de la techno-biologie contemporaine ?

Marta Caraion
La machine à l'ombre du tableau

Le XIXe siècle se plaît à raconter des histoires d'artistes ou de scientifiques travaillant à recréer, à dédoubler ou à ressusciter le vivant. Le fantasme de fabrication de simulacres humains tableaux ou machines peut se lire à travers un jeu de miroirs complexe dans lequel le face à face entre le modèle et sa copie picturale ou technique se reflète, à un niveau plus large, dans le face à face de l'artiste et du savant à une période où les relations entre les arts et les sciences soulèvent polémiques et querelles. Il s'agit, ayant constaté la récurrence du thème dans la littérature du siècle, d'une part de comprendre sa signification dans une perspective d'histoire des représentations, d'autre part de s'interroger sur la problématique convergence du génie artistique et du génie scientifique dans la constitution d'un imaginaire de la création. Consacré principalement au «Chef-d'oeuvre inconnu» de Balzac et à L'Eve future de Villiers de L'Isle-Adam, l'article porte sur un imaginaire qui se déploie de manière bien plus large, à travers des récits comme «Le portrait ovale» de Poe, Le Château des Carpathes de Verne, L'Oeuvre de Zola ou encore Le Portrait de Dorian Gray de Wilde.

Murielle Martin
L'ombre et la poïétique de l'écoute

Le principe de la disparition de l'Autre au travers de ses représentations littéraires et artistiques renforce la scène originaire de la création artistique à associer encore l'être humain à une pratique synesthétique de ses propres espaces du rêve et de la mémoire liés au soupçon d'entendre au loin le poète balbutier quelques sons inspirés par Écho, nymphe des forêts ou la Voix Cyberspace du poète qui se souvient de ce qui n'a jamais encore été. C'est ainsi que l'on prétend que le soupçon d'une approche physique et graphique d'un territoire inconnu se trouve renforcé par l'effet de surprise de la perception d'un écho venu d'un lointain médiatique qui inspire notre machine mentale à habiter les flux des sites virtuels par des souffles et des ombres animés par un Moi apprivoisé à l'écoute de l'Autre. S'il est vrai que la trace de l'écoute d'un quelque chose bruisse au loin, il paraît possible d'instaurer l'espace poïétique de la résonance d'un souvenir vécu par la présence d'un rêve activé pendant la nuit comme soutenu par l'hymne à la mort du poète retenant encore le souffle bienfaiteur d'un écho qui résonne et subitement, l'ombre surgissante envahit et anéantit le rêve sonore. L'errance d'une figure indéterminée attachée à un Moi en disparition inquiète et le monde des vivants ou des dieux s'invente encore une révolution et une unique tentative de voguer sur le flux de la mer oubliée pour toujours. L'envie d'un Je qui ne meurt pas indique qu'il reprend avec lui l'écoute de l'écho polyphonique du monde et qui renaît de l'ombre de l'intérieur, sorte de fibre sonore toujours en interférence avec le système de pensée du Moi critique et sensible à habiter ses rêves éveillés pour défier encore les géométries du visible par du virtuel.

Anne Isabelle François
Le diable e(s)t le double

L'article, partant de la constatation que le diable, démythifié par la science, devient à partir des Lumières de plus en plus consubstantiel à la personne humaine, en analyse les conséquences esthétiques à partir du cas paradigmatique de cinq narrations reprenant la problématique faustienne des XIXe et XXe siècles, c'est-à-dire dans un contexte dorénavant désenchanté, narrations qui sont étudiées en triptyque. On assiste ainsi à des mises en scène où le diable et le double figurent la même instance qui concrétise la part d'ombre de l'être humain : le nouveau Faust se trouve confronté à un autre qui est pourtant le même et les récits envisagent comment le sujet aliéné se montre incapable de se reconnaître dans cet alter ego qui en lui et hors de lui prend corps, alter ego qui empêche le héros de se reconnaître et auquel il doit pourtant s'identifier, avec des conséquences souvent funestes. La littérature renoue de la sorte avec la tentation occidentale toujours présente du dualisme et se fait l'exposant de la scission moderne du moi, où le double/diable, instance à la fois extérieure et pourtant propre au sujet, émane précisément de la projection de ce qui n'est pas acceptable, de ce qui n'est point admis, de la part d'ombre du moi.

Laurence Decroocq
Huysmans polymorphe. Étude de quelques personnages à son image

A partir des oeuvres naturalistes de Huysmans, nous pouvons établir une typologie du personnage auquel il est associé. Sans être les personnages principaux, certains paraissent comme les ombres de Huysmans projetées dans l'arrière-plan du roman. Tous les personnages masculins se présentent comme des doubles de l'auteur : ils évoluent dans un espace parisien qui lui est familier. Un espace géographique restreint, un espace sociologique particulier : l'espace du célibataire, de l'homme isolé, amateur d'art. L'auteur présentera encore d'autres variations autour de cet archétype. Nous nous proposons de relever dans quelques oeuvres naturalistes les différentes figures de l'écrivain qui constituent cette typologie rapidement esquissée et de la compléter. A travers ces quelques personnages romanesques de l'oeuvre de J.-K. Huysmans, nous pouvons souligner la tentation autobiographique de l'auteur. Nous interrogerons la manière dont se représente l'écrivain.

Éliane Burnet
Les replis de l'ombre chez Francis Bacon
Des figures vrillées sur elles-mêmes qui se liquéfient dans des ombres semblables à des flaques de chair, des ombres qui s'émancipent de leur propriétaire, des silhouettes auxquelles ne correspondent aucun corps, des surfaces biomorphiques inquiétantes qui suintent des personnages recroquevillés ou des zones noires vaporeuses qui dévorent des visages ou des jambes. Bacon fait entrer le spectateur dans un monde d'ombres où les lois de l'optique ou celles des codes picturaux n'opèrent plus. L'ombre n'est plus la simple projection qui accompagne tout objet éclairé. Selon le voeu de Bacon elle doit être «aussi présente» que la figure et parfois devenir le personnage principal. L'ombre fait ainsi partie du vocabulaire plastique de celui qui, dans son oeuvre, s'est engagé à mettre en scène l'angoisse fondamentale qui obsède l'homme devant une vie qui le meurtrit, l'écorche et le menace de dangers imminents avant de le conduire à la mort.

François Granier
Généalogie de l'ombre chez Gérard de Nerval

La création, aux yeux de Nerval, est envisagée sous l'angle d'un retour aux origines, ce «premier acte» qui fonda l' « histoire du monde ». Tout comme l'autobiographe, confronté aux ombres de son passé, l'esthétique nervalienne est placée sous le signe du palimpseste. Au coeur de la motivation scripturale, demeure l'acte mémoriel. Nerval borne dès lors la question de la mimésis. La réalité n'est pas neutre : elle passe sous la lumière mémorielle. L'écriture nervalienne module sur sa lyre le cantique des origines, et interroge la représentation du passé, repoussant sans cesse le périmètre de la mimésis. Or, cette entreprise entraîne le poète au coeur du rêve, mais également, aux frontières de la folie. Se proclamant souverain du passé, Orphée triomphant des Enfers, Nerval articule l'idée démesurée que son oeuvre est un microcosme dans le macrocosme, que l'art peut investir le monde réel. Par l'alchimie du verbe et en utilisant l'espace théâtral, l'auteur des Filles du feu fait réapparaître le passé sur la scène du réel. Apparaît alors la figure de Prométhée, à laquelle Nerval s'identifie. Au point que, précisément, Nerval soit dévoré par ses ambitions artistiques : le désir d'investir la sphère du réel par la magie de l'écriture, se heurte à la froide rigidité du langage. La quête des origines ne stigmatise rien d'autre que l'échec d'une écriture.

Pierre Kadi Sossou
Thusnelda ou la double postulation : humain et divin

Cet article analyse dans la Bataille d'Arminius de Kleist l'épisode de l'ourse où le lecteur/spectateur est témoin des diverses métamorphoses de la reine Thusnelda. Trois moments ontologiques définissent son identité plurielle : humain, animal, divin. D'abord elle se fait remplacer au rendez-vous donné à son amant Ventidius par une ourse. En portant son choix sur l'ourse , totem de guerre et animal-dieu pour les Germains en vue d'opérer littérairement la métamorphose de Thusnelda, Kleist démontre qu'il connaît le caractère de guerrier invincible et les attributs magiques liés à l'animal. Par cet échange d'identité, Thusnelda répond à la première double postulation : humain-divin. Elle échange ensuite son nom avec celui de Junon et devient son double. A travers une mise en parallèle de la Bataille d'Arminius de Kleist et des Métamorphoses d'Ovide il est démontré que Kleist a repris à son compte le mythe d'Ovide « Céyx et Alcyoné » pour tisser la trame centrale de la déchéance de Ventidius. Par cette seconde double postulation : humain et divin, Kleist fait intervenir la déesse romaine pour venger la reine germaine Thusnelda de l'imposture du légat romain Ventidius.

Magali Nachtergael
Les dédoublements de Sophie Calle

En s'appuyant sur les modèles narcissiques qui commandent le développement de l'identité de chacun, l'analyse des oeuvres de Sophie Calle révèle que l'exhibition de son « moi » dans ses récits autobiographiques répond autant à des mécanismes de sublimation que de rejet de sa propre identité en un personnage « ressemblant» mais néanmoins marqué par l'altérité. Cette manipulation identitaire, cristallisée autour du nom « Sophie Calle», façonne ce personnage qui prend en charge la perturbation résultant de la perpétuelle hésitation entre fiction et vérité. Cette coquille identitaire soutient une multitude de représentations et ces expérimentations du moi participent tout autant à la poétique des récits que les vides et lacunes qui les hantent. Le « moi idéal » que chaque individu nourrit en secret déambule dans le cas de Sophie Calle sur les murs des musées, dans les rues de Venise ou de Paris. Bien que proche de son créateur, il n'en reste pas moins une création artistique qui joue sur les frontières qui séparent la réalité du fantasme.

Corinne Maury
Poétique de l'absence Le cinéma autobiographique de Naomi Kawase

L'expression autobiographique au cinéma est un exercice difficile. Naomi Kawase a consacré les deux essais filmiques « Dans ses bras » (1992) et « Dans le silence du monde » (2002) à la recherche de son père qui l'abandonna peu après sa naissance. Dans ces deux introspections filmées, Naomi Kawase ne se pétrifie pas pour autant dans la douleur du manque : les végétaux, les paysages, les ciels et les photographies de son enfance sont autant de signes-miroirs qui donnent à la cinéaste Kawase l'occasion de se dire. En s'éprouvant à la quête de l'absent, en tissant des entrelacs entre un questionnement autobiographique en voix off et des images poétiques du monde, elle s'écrit