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Appels à contributions

"L'intime et le politique dans la littérature et les arts contemporains (des années 1970 à nos jours)"

Publié le par Florian Pennanech (Source : Florence Baillet (Université Paris 8))

Appel à contribution pour le colloque international :

« L'intime et le politique dans la littérature et les arts contemporains (des années 1970 à nos jours) »

Date limite de remise des propositions : le 30 septembre 2009.

Argument :

Autofictions, journaux intimes, vogue de l'autobiographique et du biographique, l'installation « Corps étranger » (1994) de l'artiste Mona Hatoum, montrant une vidéo endoscopique de son corps, ou encore l'exposition intitulée « M'as-tu vue » (2003) de Sophie Calle… La littérature et les arts contemporains sont sans nul doute travaillés par la question de l'intime. L'étymologie de ce terme nous renvoie au superlatif « intimus » qui désigne ce qu'il y a de plus intérieur, de plus secret et de plus profond. L'oeuvre d'art « intimiste » accomplit ainsi le paradoxe de proposer à son public ce qui, d'ordinaire, n'est pas censé être exposé au regard de tous. Encore faut-il, pour que cela reste du registre de l'intime en dépit de cette monstration, que l'oeuvre affirme dans le même temps le caractère secret, très personnel, de ce qu'elle présente et qu'elle affiche par conséquent des marques de l'intime, par exemple en multipliant les références au « soi » et en donnant les gages d'une authentique proximité, traversée de sensations, d'émotions et d'affects. Et chaque oeuvre « intimiste » de renégocier ses propres frontières de l'intime, jouant de la sorte avec des normes qui relèvent non seulement de l'idiosyncrasie de chacun, mais dépendent aussi de la société et de ses représentations collectives.

Cependant les critiques ne manquent pas pour fustiger cette quête de l'intime. Elles ont des origines diverses mais tendent toutes à assigner ces oeuvres « intimistes » à résidence dans une sphère extérieure au politique. Une certaine sociologie de l'art leur impute ainsi une autoréflexivité exacerbée, un « nombrilisme », qui les conduirait à négliger le « vivre ensemble ». Une autre critique consiste à leur reprocher de sombrer dans un exhibitionnisme « malsain », de flirter avec l'« obscène », si bien que ces oeuvres ne sont plus envisagées que dans une perspective « morale », déconnectée du politique. D'autres auteurs encore voient dans cet intime instrumentalisé et surexposé jusque dans les oeuvres d'art, une extension au domaine de la culture des formes d'autocontrôle d'une société gouvernée par une « intimité panoptique[1] ». L'art « intimiste » serait alors symptomatique d'une colonisation des individus par le pouvoir (conçu comme un dispositif d'emprise sur les corps et les esprits) et d'une disparition du politique (entendu comme action libre).

Or, parallèlement à ces critiques, d'autres voix se font également entendre, qui proposent un regard différent sur l'intime et peut-être une réévaluation de ce dernier, s'efforçant de ne pas le réduire à « l'intimité gastrique[2] ». L'intime peut en effet être appréhendé comme le refuge d'une subjectivité face au pouvoir, une brèche offrant un espace pour élaborer d'autres possibles, voire des utopies : dans la mesure où il se soustrait à la société, l'intime est, de fait, à même de constituer une interruption, un décalage, un anachronisme, présentant d'autres perspectives, par rapport à l'ordre établi. Quand l'art met de l'intime en scène, quand il en redessine à sa manière les contours et le fait passer de l'ombre à la lumière, il « publicise » cet intime susceptible d'entrer en tension avec la société[3] : l'oeuvre d'art « intimiste » pourrait donc être considérée comme un lieu de (re)conquête de l'intime et de sa potentialité politique, sous le signe du dissensus[4]. L'accent mis sur l'intime dans la littérature et les arts contemporains, loin de signifier quelque escapisme, désignerait ainsi un territoire permettant le déploiement d'autres points de vue, sur un mode polyphonique, qui préfigurerait un monde commun travaillé de l'intérieur par la présence de l'hétérogène et de la conflictualité. En ce sens, il ne serait pas « l'autre de l'espace public », mais il deviendrait « une condition de [son] émergence dans le monde moderne[5] ».

L'intime dans la littérature et les arts contemporains serait-il, par conséquent, symptomatique d'un repli sur soi régressif ou plutôt, au contraire, synonyme d'une réinvention du politique à une toute petite échelle ? « L'art le plus apparemment intimiste » pourrait-il être envisagé comme « un art éminemment politique ; politique, non au sens des grands appareils, des institutions, des partis, mais au sens d'une politique du quotidien, plus imperceptible, plus minoritaire[6] », prenant corps au coeur des subjectivités ?

Ce colloque, tout en étant à l'initiative de germanistes, en collaboration avec des anglicistes, ne souhaite pas se limiter à une aire géographique ou linguistique déterminée, mais voudrait, au contraire, affirmer son caractère à la fois transversal et transdisciplinaire, en accueillant des participants de tous les horizons.

Axes de travail :

· figures de l'intime et figures du politique dans des oeuvres contemporaines.

· démarches artistiques « intimistes » et leur articulation au politique (relations s'instaurant entre ces oeuvres et leur public ; échanges, réversibilité et fusion entre le regardeur et le regardé...)

· spécificités des configurations de l'intime et du politique selon les arts (littérature, arts de la scène, arts visuels, arts plastiques…) ; devenir de ces distinctions face aux phénomènes d'hybridation dans la création contemporaine ; place à accorder aux expérimentations artistiques autour des nouvelles technologies.

· les oeuvres « intimistes » en contexte (dans le cadre des mutations de l'intime et du politique) : perspectives historiques et théoriques, actuelles (re)définitions de frontières/ (re)déterminations de territoires (confusion du public et du privé ? disparition de l'intime ?)

Les propositions (1500 signes maximum), accompagnées d'une brève biobibliographie, sont à envoyer par mail avant le 30 septembre 2009 à Florence Baillet, Karin Maire-Parienti ou Arnaud Regnauld :

Florence.baillet@gmail.com ou Karin@parienti.org ou aregnauld@univ-paris8.fr

Ce colloque international est organisé dans le cadre de l'Equipe d'Accueil 1577 « Les mondes germaniques : régions, histoire, cultures, sociétés » de l'Université de Paris 8, en partenariat avec la Maison Heinrich Heine.

Il aura lieu le 3, 4 et 5 juin 2010 à la Maison Heinrich Heine (Cité internationale, Paris 14ème). Une publication des actes est prévue.

Langues de travail : français (souhaité), allemand, anglais.

Pour avoir davantage de précisions sur ce colloque, consulter :

http://kleinkram.org/l-intime-et-le-politique/index.php?title=Accueil


[1] Magali Uhl, « Intimité panoptique. Internet ou la communication absente », in : Cahiers internationaux de sociologie n°112, Paris, PUF, 2002, pp.151-168.

[2] Jean-Paul Sartre, Situations philosophiques, Paris, Gallimard, 1990, p.10.

[3] Pour Hannah Arendt, « la réaction de révolte contre la société au cours de laquelle Rousseau et les romantiques découvrirent l'intimité était dirigée avant tout contre le nivellement social, ce que nous appellerions aujourd'hui le conformisme inhérent à toute société ». Hannah Arendt considère en effet qu'à l'époque moderne, la société a envahi le domaine public, si bien que « le domaine social et le domaine politique sont beaucoup moins distincts » : la société correspondrait, selon elle, à une forme d'extension du fonctionnement de la famille, qui relève en réalité de la sphère privée, à la sphère publique, laquelle deviendrait alors une sorte de « gigantesque administration ménagère », loin de la vision antique du politique, développée par ailleurs par la philosophe. Cf. Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, trad. de Georges Fradier, Paris, Calmann-Lévy, 1961, p.78, p.71 et p.66.

[4] Selon Jacques Rancière, « la politique » consisterait justement « à reconfigurer le partage du sensible qui définit le commun d'une communauté, à y introduire des sujets et des objets nouveaux, à rendre visible ce qui ne l'était pas et à faire entendre comme parleurs ceux qui n'étaient perçus que comme animaux bruyants. Ce travail de création de dissensus constitue une esthétique de la politique (…) ». Cf. Jacques Rancière, Malaise dans l'esthétique, Paris, Galilée, 2004, pp.38-39.

[5] Michaël Foessel, La privation de l'intime – Mises en scène politiques des sentiments, Paris, Seuil, 2008, p.70.

[6] Pierre Zaoui, « Deleuze et la solitude peuplée de l'artiste (sur l'intimité en art) », in : Elisabeth Lebovici (dir.), L'Intime, Paris, Ecole nationale supérieure des Beaux Arts, 2004 (2ème édition), pp.43-58. Ici, p.58.