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Appels à contributions
L'insecte au miroir des livres pour la jeunesse. Présences, représentations, discours

L'insecte au miroir des livres pour la jeunesse. Présences, représentations, discours

Publié le par Marc Escola (Source : CHRISTIANE CONNAN-PINTADO)

Appel à contributions

L’insecte au miroir des livres pour la jeunesse

Présences, représentations, discours

 

Regardez cette troupe infecte

Aux mille pattes, aux cent yeux :

Rotifères, cirons, insectes

Et microbes plus merveilleux

Que les sept merveilles du monde

Et le palais de Rosemonde !

Guillaume Apollinaire

« Orphée », Bestiaire, 1911

 

Dans le cadre du programme quinquennal de recherche « Des insectes et des hommes », porté par le CELIS à l’Université Clermont-Auvergne, cet appel à contributions propose de s’attacher à la présence des insectes, à ses modalités et à ses enjeux dans la littérature pour la jeunesse.

L’ouvrage sera soumis à expertise pour une publication dans la collection « Littérature » des Presses universitaires Blaise Pascal.

Abeilles, papillons, fourmis, coccinelles..., les insectes investissent les livres pour enfants dès qu’une production spécifique leur est adressée : en 1658, l’Orbis sensualium pictus de Comenius, largement diffusé à travers l’Europe, leur consacre plusieurs pages illustrées en distinguant « insectes volants » et « insectes rampants » ; en 1810, Le Petit Buffon illustré, réédité tout au long du XIXe siècle, puis régulièrement imité au siècle suivant, ne manque pas de développer un chapitre sur les insectes. Quant aux écrits de l’entomologiste Jean-Henri Fabre, qui marient approche scientifique et autobiographie, ils restent présents dans l’édition contemporaine pour la jeunesse[1]. Souvent classés comme « utiles » versus « nuisibles[2] », ces petites bêtes suscitent dans le domaine du livre de jeunesse la double réception mise en évidence par Apollinaire dans son Bestiaire : la profusion des insectes convoqués, fictionnalisés et magnifiés par l’iconographie fait davantage pencher la balance vers la fascination plutôt que vers la répulsion.

Alors que la présence animale s’affiche comme caractéristique majeure des livres pour la jeunesse, et en particulier lorsqu’ils s’adressent aux enfants, la catégorie des insectes n’a inspiré que quelques articles et n’a pour l’instant fait l’objet, en France, d’aucune étude monographique. Dans « Le petit zoo de l’enfance[3] » comme dans l’entrée « Animal » du Dictionnaire du livre de jeunesse[4],  Isabelle Nières-Chevrel ne mentionne que deux albums mettant en scène des insectes[5]. L’introduction du numéro des Cahiers Robinson consacré aux « Présences animales dans les mondes de l’enfance[6] » ne comporte aucune allusion à l’univers des insectes. Ces travaux rejoignent une tendance observable dans l’ample réflexion suscitée, ces dernières décennies, par la question animale : les insectes semblent se trouver à la marge de cette question, comme si ces « vivants minuscules[7] » représentaient la catégorie la plus excentrée de l’animal et du non-humain. D’où l’intérêt de questionner ces figures de l’altérité pourtant si présentes dans toutes les sphères de la représentation, et en l’espèce, dans les livres pour la jeunesse.

Les classiques de la littérature qui ont placé l’insecte au cœur de leur diégèse franchissent les frontières éditoriales à travers différentes formes d’adaptation ou de réappropriation : sont revisités, entre autres, Le Scarabée d’or d’Edgar Poe ou La Métamorphose de Kafka[8]. Du côté des classiques de l’enfance, s’imposent d’inoubliables personnages d’insectes qu’il convient d’interroger, jusque dans leurs figurations transmédiatiques : le grillon parlant de Pinocchio, les insectes croisés par Alice dans ses voyages Au Pays des Merveilles et De l’autre côté du miroir, Maïa l’abeille de Bonsels[9], les compagnons du jeune héros de James et la grosse pêche de Roald Dahl…

Dans un secteur dominé par l’intention éducative, les documentaires sont les premiers à s’emparer des insectes, mais, pour rendre le savoir aimable, ils inventent des dispositifs littéraires propres à divertir dans le même temps le jeune lecteur. En 1864, Zulma Carraud insère ses leçons sur les guêpes, cousins, forficules, mouches, dans des saynètes dont les protagonistes sont des enfants, et elle va jusqu’à donner la parole à la fourmi pour lui faire conter ses aventures[10]. Au XXIe siècle, Thierry Dedieu dissimule son statut d’auteur derrière la figure d’un savant japonais qui raconte avec humour la vie des insectes : la série des « Sciences naturelles du professeur Tatsu Nagata » convoque ainsi le pou, l’abeille, la fourmi, le phasme, le pyrrhocore...

Au-delà du documentaire fictionnalisé, les insectes circulent dans tous les genres littéraires adressés à la jeunesse, à commencer par les contes et les fables où ils sont soumis aux codes du merveilleux et/ou à la transmission d’un enseignement moral. Jean-Henri Fabre en convient lui-même lorsqu’il prend sa loupe pour relire « La cigale et la fourmi » : « La renommée se fait surtout avec des légendes ; le conte a le pas sur l’histoire dans le domaine de l’animal comme dans le domaine de l’homme. L’insecte, en particulier, […] a son lot de récits populaires dont le moindre souci est celui de la vérité[11] ». Les partis-pris iconographiques jouent leur rôle dans cette interprétation, telles les illustrations des Fables de La Fontaine, de Granville à Thierry Dedieu en passant par Boutet de Monvel et Félix Lorioux.

On trouve des insectes aussi bien en poésie – les Histoires naturelles de Jules Renard sont omniprésentes dans l’édition pour la jeunesse – qu’au théâtre (dans Prête-moi tes ailes et Un amour de Libellule, Dominique Paquet met en scène un dialogue philosophique entre enfant et insecte). Dans le domaine du roman, et singulièrement dans le roman policier, les aventures du scarabée-détective de Paul Shipton (Tirez pas sur le scarabée, Un privé chez les insectes), régulièrement rééditées, ont fait école. Les romans pour adolescents ou young adults qui relèvent des genres de l’imaginaire (science-fiction, dystopie, fantasy) font également un usage notable des insectes, dont la présence traduit les inquiétudes suscitées par l’avenir d’une planète et d’une condition humaine également menacées[12]. Enfin, les genres graphiques du livre de jeunesse – album, bande dessinée, manga – offrent d’étonnantes représentations de l’univers des insectes. Jean Perrot a consacré plusieurs articles au papillon, « insecte emblématique » dans lequel il voit « un objet hautement significatif et un "index", un indicateur mettant en lumière la cohérence des systèmes de pensée et de culture[13] ». Il s’est attaché à l’insecte cher à Nabokov à partir des albums de Frédéric Clément qui déploie dans ses images ses splendeurs diaprées et le phénomène de la métamorphose.

Pour étudier la problématique des insectes telle qu’elle se présente dans la littérature pour la jeunesse d’hier à aujourd’hui, diverses pistes et approches peuvent être envisagées.

À l’heure où la communauté scientifique s’alarme de leur disparition programmée, nombre de publications visent sans doute à éveiller chez le jeune lecteur une conscience écologique, qu’il s’agisse de la production à caractère documentaire – on privilégiera celle qui narrativise et fictionnalise la vie des insectes – ou de l’actualisation des textes patrimoniaux[14].

On pourra s’intéresser à la manière dont l’insecte est sollicité et considéré par les différents genres littéraires du domaine : mis en scène au théâtre, objet d’instantanés poétiques, de fantasmes romanesques… Une attention particulière sera accordée aux représentations iconographiques.

À travers la diversité des œuvres proposées, il faudra se demander si l’insecte intéresse en lui-même ou en tant que personnage symbolique : ainsi la métamorphose peut être envisagée aussi bien comme une question scientifique que comme un motif littéraire. Certaines fictions font de lui un substitut du héros enfant, et neutralisent sa différence, mais peut-être l’insecte résiste-t-il davantage à l’anthropomorphisme que d’autres espèces.

En tout cas, qu’il soit héros, compagnon ou comparse, apprivoisé ou maintenu dans sa radicale altérité, par son apparence et par son comportement individuel et social, l’insecte nous contraint au décentrement pour soupeser les notions de nature et de culture. Se pencher sur ces êtres si différents et d’une telle diversité dans l’ordre du minuscule questionne sans doute à la fois la condition humaine et la condition animale, comme l’écrivait Guillevic dans le poème conclusif du recueil Pas si bêtes !, consacré pour un tiers aux insectes :

De me voir devant vous,

Je suis seul tout à coup.

Je souffre d’être un autre

Et me voudrais des vôtres.

*

Les propositions de contribution – 400 mots, un titre et un corpus d’étude, ainsi qu’une brève présentation de l’auteur – seront transmises au plus tard le 1e septembre 2020, délai de rigueur, à christiane.connan-pintado@orange.fr

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Calendrier 

1e avril 2020               Appel à contributions

1e septembre 2020      Date limite d’envoi des propositions de contribution

1e octobre 2020          Réponse du comité scientifique

1e avril 2021               Date de remise des articles

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Comité scientifique

Pascale Auraix-Jonchière, Université Clermont-Auvergne, CELIS

Gilles Béhotéguy, Université de Bordeaux, TELEM

Christiane Connan-Pintado, Université de Bordeaux, TELEM, associée au CELIS

Virginie Douglas, Université de Rouen, ERIAC

Cyrille François, Université de Lausanne

Esther Laso y León, Université d’Alcalá de Henares, LIJEL-UAM et @ling-UAH

Francis Marcoin, Université d’Artois, Textes et cultures

Alain Montandon, Université Clermont-Auvergne, CELIS

Nathalie Prince, Le Mans Université, 3LAM

Catherine Tauveron, Université de Rennes, CELLAM, associée au CELIS

 

 

 

[1] Jean-Henri Fabre, Sylvie Bessard, Bestioles : bousier glouton, mante religieuse assassine, fourmi ravisseuse et autres souvenirs entomologiques, Toulouse, Milan, 2017.

[2] Guillemette Tison, « Le bestiaire des écoliers de la IIIe république », Cahiers Robinson, n° 34, 2013, p. 39-40.

[3] Isabelle Nières-Chevrel, Introduction à la littérature de jeunesse, Paris, Didier Jeunesse, « Passeurs d’histoires », 2009, chapitre 6, p. 139-154.

[4] Isabelle Nières-Chevrel, « Animal », Dictionnaire du livre de jeunesse, sous la dir. d’I. Nières-Chevrel et Jean Perrot, Éditions du Cercle de la Librairie, 2013, p. 33-37.

[5] Il s’agit de La petite chenille qui fait des trous d’Éric Carle (1969) et de Deux fourmis de Chris Van Allsburgh (1988).

[6] Florence Gaiotti, « Introduction », Cahiers Robinson, op. cit.,  p. 5-10.

[7] Le n° 803 de la revue Critique consacré aux « vivants minuscules » observe que « les insectes sont souvent aux marges de la question animale. […] C’est que l’insecte semble être un étrange oxymore : un vivant insensible, comme si quelque chose en lui était déjà mort. », p. 291, 2014.

[8] Voir l’étude du manga de Hideshi Hino, L’Enfant insecte par François Quet, « Devenir autre : l’instant de la métamorphose », dans Métamorphoses en culture d’enfance et de jeunesse, sous la dir. d’Anne-Marie Mercier-Faivre et Dominique Perrin, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, « Études sur le livre de jeunesse », 2020, p. 245-256. 

[9] Mathilde Lévêque, « Relire Maïa l’abeille aujourd’hui », Strenæ 5, 2013 https://doi.org/10.4000/strenae.1005

[10] Zulma Carraud, « Les aventures d’une fourmi », dans Métamorphoses d’une goutte d’eau, suivies des Guêpes, de La Fourmi, de La Goutte de rosée, etc., Hachette, 1864, p. 91-127.

[11] Jean-Henri Fabre, Mœurs des insectes, Morceaux choisis extraits des Souvenirs entomologiques, Paris, Delagrave, 1950, p. 1.

[12] On se souvient du rôle des fourmis dans le classique de la SF de Clifford D. Simark, Demain les chiens (1952).

[13] Jean Perrot « Du papillon. Contes et fables pour les enfants du XVIIe siècle à nos jours », Diogène, 2002/2 n° 198, p. 49-65. Article disponible en ligne à l'adresse : https://www.cairn.info/revue-diogene-2002-2-page-49.htm

[14] Voir l’actualisation du conte des Grimm, « La reine des abeilles » analysée par Dominique Peyrache-Leborgne, « Nature et spiritualité dans les contes des Grimm : prodromes d’une conscience écologique », dans Éco-graphies. Écologie et littératures pour la jeunesse, sous la dir. de Nathalie Prince et Sébastian Thiltgès, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Interférences », 2018, p. 52-61.