Actualité
Appels à contributions
L’imaginaire nobiliaire de la littérature moderne : 1900-1950

L’imaginaire nobiliaire de la littérature moderne : 1900-1950

Publié le par Sarah Lacoste (Source : David Martens)

L’imaginaire nobiliaire de la littérature moderne : 1900-1950

Colloque international – s. dir. Ben De Bruyn & David Martens (MDRN/KULeuven)

21-22 Mars 2013, Leuven, Belgique

 

La noblesse, fort bien, mais qu’est-ce ?

Djuna Barnes, Nightwood (1937)

 

De nos jours, l’aristocratie souffre souvent d’une réputation peu flatteuse. Se définissant comme une élite, elle se constitue par conséquent selon une distinction qui la place au sommet de la hiérarchie sociale. D’un point de vue historique, héritière de la société féodale, cette supposée supériorité des membres de la noblesse s’est traduite dans l’occupation traditionnelles des fonctions de pouvoir, par une reconnaissance symbolique, ainsi que par le bénéfice de privilèges particuliers. Ce n’est qu’à la faveur de transformations civilisationnelles qui ont bouleversé le paysage sociopolitique de l’Europe, notamment la Révolution française de 1789, que l’aura de la noblesse, en même temps que sa mainmise sur l’appareil politique et social, se sont progressivement réduites en même temps que se mettaient en place les structures de l’État démocratique moderne. Ainsi que l’a souligné l’historien Arno Mayer, la véritable rupture résiderait à cet égard non tant à la fin du XVIIIe siècle qu’au début du XXe. La Grande Guerre constitue une coupure historique à partir de laquelle il semble que l’aristocratie ne joue plus un rôle décisif sur les scènes politique, sociale et artistique du monde occidental.

En ce sens, la première moitié du XXe siècle constitue une période clé dans l’histoire de la noblesse européenne en même temps que pour l’idée de noblesse en tant que telle. En dépit (ou plutôt à cause) de cette transformation socio-culturelle, cette période, l’entre-deux-guerres en particulier, paraît traversée, en Europe, par une préoccupation marquée pour la noblesse. En témoigne par exemple, en France, la fondation de l’Association d’entraide de la noblesse française (1932). Dans le même temps, de nombreuses publications, dans le domaine des sciences humaines (des sciences sociales et de l’histoire, en particulier), placent cette classe en apparence désuète au centre de leurs préoccupations et développent une réflexion concertée sur son rôle historique (Marc Bloch, Norbert Elias, Maurice Halbwachs, José Ortega y Gasset,…). Enfin, un large pan de la littérature européenne de la première moitié du XXe siècle semble marqué en profondeur par un imaginaire nobiliaire à plusieurs facettes, qui exerce une fascination, profonde et structurante, sur le travail des écrivains, contribuant à déterminer l’identité du discours littéraire et à orienter ses dynamiques mutationnelles pendant la période.

Guidés par un attrait (ou une répulsion) pour les formes de vie de l’élite et, plus largement, sur ce qu’elle représente sur le plan historique, mais aussi social et moral, des auteurs de différents pays contribuent à un débat implicite sur ce que l’on pourrait qualifier de « question aristocratique ». De Marcel Proust et Virginia Woolf à Robert Musil en passant par José Ortega y Gasset, T. S. Eliot, W. B. Yeats ou Montherlant, maints écrivains européens de la période ont publié des ouvrages qui touchent, implicitement ou explicitement, à la nature et au statut de l’aristocratie dans la société moderne. Corollairement, le paradigme nobiliaire constitue une métaphore morale fréquemment mobilisée à cette époque de vifs débats sociaux et politiques. Elle contribue à constituer des systèmes de valeurs (« noblesse de coeur », « esprit noble », etc.), mis en oeuvre pour rendre compte non seulement des enjeux sociétaux brûlants de la période, mais aussi de ceux qui régissent le fonctionnement du champ littéraire.

Si la noblesse a été relativement bien étudiée en sociologie et en histoire, l’imaginaire nobiliaire de la littérature moderne demeure encore méconnu. En dépit de son caractère prégnant, il n’a encore été que peu étudié de façon spécifique et systématique. Afin de remédier à ce manque dans le paysage de la critique, le groupe de recherche MDRN (www.mdrn.be) organise, dans le cadre du programme de recherche de l’Action de recherche concertée (GOA) « La littérature et ses multiples identités », un colloque international réunissant des spécialistes de différentes littératures européennes (allemande, anglaise, française, espagnole, italienne, néerlandaise…). Sa finalité consiste à rendre compte des enjeux de l’imaginaire nobiliaire ainsi que de son impact sur les modes de fonctionnement du discours littéraire durant la première moitié du XXe siècle. Dans cette perspective, il s’agira de se demander non seulement comment l’aristocratie (et ses membres) sont dépeints dans productions littéraires de la période (romans, poèmes, pièces de théâtre, essais…), mais aussi comment les nobles écrivent et, enfin, comment et selon quelles finalités la littérature moderne se constitue en mobilisant le paradigme de la noblesse.

Quels sont les rôles conférés aux personnages de nobles dans les oeuvres de fiction ? Quel impact ont eu les deux conflits mondiaux dans les représentations des élites sociales et du modèle nobiliaire, sur le plan moral en particulier (question essentielle dans la mesure où le commandement, dans les métiers d’arme a longtemps été l’apanage de la noblesse) ? Comment la noblesse, et plus largement le référent nobiliaire entrent-t-il en relation avec la représentation des classes moyennes et des classes populaires ?

Dans la mesure où la noblesse apparaît comme une survivance du passé de l’Europe, il importe de se demander comment l’imaginaire nobiliaire s’articule-t-il aux représentations de la littérature en général et de l’histoire littéraire en particulier ? Ainsi, les écrivains qui mobilisent le paradigme nobiliaire s’inscrivent-ils (socialement et artistiquement) dans une perspective traditionnaliste, conservatrice, voire réactionnaire (d’« arrière-garde » (William Marx) ou développent-ils au contraire une littérature à vocation innovante (moderniste, avant-gardiste, etc.).

Que ce soit par appropriation ou, au contraire, par prise de distance, et aussi bien du côté des membres de la noblesse que de ceux qui ne lui appartiennent pas, l’identité noble constitue fréquemment, dans la littérature moderne, un enjeu dans la constitution de l’image auctoriale publique. Dès lors, en quoi et comment les écrivains se positionnent-ils en fonction de ce référent nobiliaire ? Comment rendre compte de la constitution de postures (Jérôme Meizoz) ou d’éthé (Dominique Maingueneau) spécifiques en regard du modèle nobiliaire.

En quoi la référence à la noblesse a-t-elle une incidence sur le système des genres littéraires, son évaluation et ses transformations ? Ainsi, pour ne prendre que l’exemple du roman, si son développement est traditionnellement perçu comme coïncidant avec l’émergence de la classe moyenne, force est de constater qu’il apparaît dans le même temps comme le lieu d’une fascination marquée pour les figures d’aristocrates ainsi que pour les pratiques qui lui sont traditionnellement associées.

Sur un plan sociologique, durant cette période, nombre d’aristocrates sont écrivains, certains figurant parmi les auteurs en vue, qu’ils le soient demeurés (Montherlant, d’Annunzio, Lampedusa), ou aient été relativement oubliés (Anna de Noailles, la Princesse Bibesco, Robert de Montesquiou). En conséquence, l’étude de l’imaginaire nobiliaire dans la littérature de la première moitié du XXe siècle suppose une prise en considération des pratiques littéraires effectives de ses membres, notamment en termes de choix génériques, d’options esthétiques, ou encore de fréquentions de réseaux de sociabilités, etc.

Enfin, en quoi la noblesse motive-t-elle les modalités de justification et de positionnement des écrivains ? Comment la dimension morale du paradigme nobiliaire est-elle mobilisée au cours de cette période, non seulement dans les discours et débats relatifs aux options idéologiques particulièrement contrastées (fascisme, nazisme, socialisme, communisme…) du moment, mais aussi en ce qui concerne le domaine artistique et tout spécialement la littérature ?

 

*

*     *

 

On le voit, la diversité des paramètres mis en jeu par l’imaginaire nobiliaire de la littérature moderne implique de facto une mise en perspective plurielle, qui fasse droit à la complexité et aux différentes facettes de la problématique envisagée. C’est dire que le congrès se fondra sur des approches inter- et transdisciplinaires impliquant, en particulier, les apports de l’histoire, de la sociologie, de l’anthropologie, des études culturelles et de la philosophie.

Les propositions et les communications (30 minutes) se feront en anglais ou en français, au choix. Les propositions (max. 300 mots), accompagnées d’une brève bio-bibliographie, sont à envoyer à ben.debruyn@arts.kuleuven.be (anglais) et david.martens@arts.kuleuven.be (français) pour le 30 juin 2012. Les réponses seront adressées le 1 septembre 2012.