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L'image du maître spirituel

L'image du maître spirituel

Publié le par Perrine Coudurier (Source : François Raviez)

L’image du maître spirituel

Université d’Artois, les jeudi 15 et vendredi 16 mai 2014

Si saint Augustin estime, au Ve siècle de notre ère, que Dieu seul peut être appelé Maître, il n’en reste pas moins que les hommes ont souvent éprouvé le besoin de suivre des instructeurs, des guides, des intercesseurs qui apparaissent, à travers les siècles et les cultures, comme autant d’incarnations de la figure du maître spirituel. Directeur de conscience ou gourou, père spirituel ou intellectuel, le maître captive et capture. Face à lui, le fidèle abdique-t-il sa personnalité ou, au contraire, progresse-t-il dans sa quête du salut ?

Quelle que soit la tradition dans laquelle il s’inscrit, le maître est d’abord celui qui transmet : les formes religieuses, les textes, les méthodes, mais aussi l’exemple, l’esprit, la flamme, l’influx spirituel que les Tibétains appellent le wang, le « pouvoir » qui dans le bouddhisme tantrique légitime l’accès à telle ou telle pratique.

Les formes par lesquelles s’opère cette transmission peuvent être très codifiées, consacrées par le temps et par l’usage, mais certaines échappent à ce déterminisme : l’inspiration spirituelle se nourrit aussi bien de petits faits de la vie quotidienne que d’expériences visionnaires et de miracles. Qu’on songe par exemple à l’émerveillement d’Arjuna contemplant, dans la Bhagavad-Gîtâ, la « forme cosmique » revêtue par son cousin Krishna, qui vient de lui révéler qu’il est l’incarnation du dieu Vishnou. Plus modestement, le transmission passe parfois par le simple sentiment d’une présence : celle du Christ accompagnant ou précédant Thérèse de Lisieux dans l’exploration de sa « petite voie », ou celle des « maîtres » de la théosophie, sous la dictée desquels Hélène Blavatsky et quelques autres se targuent d’avoir écrit des textes curieusement syncrétiques.

Les aspects que revêt le maître sont donc des plus variés. Ces manifestations qui pour les disciples éblouis ont le caractère d’une révélation unique et sans exemple, ces manifestations marquées au sceau de l’absolu obéissent pourtant à des lois contingentes : si spontanées soient-elles, jaillies en un éclair du plus intime de l’être ou de l’essence même du divin, l’expérience intérieure n’en procède pas moins de conditionnements socio-culturels qui jouent également un rôle important dans les descriptions dont elle fait l’objet. Les biographies des maîtres tibétains, les namthar, sont ainsi plus ou moins calquées sur les « douze grands actes » qui, dans la littérature mahâyânique, marquent les grandes étapes de la vie du Bouddha : à date ancienne, l’individu s’efface derrière le modèle qu’il est chargé d’incarner, et derrière une vision idéale tissée de lieux communs. Ces topoi ont imprégné durablement les mentalités, mais le passage du temps n’en induit pas moins certaines variations. Ainsi les figures des grands maîtres spirituels se sont-elles construites et reconstruites au fil des siècles : nous ne cessons de retoucher l’image du Christ ou celle du Bouddha, pour les rendre plus proches de nous, et pour trouver en eux des réponses aux interrogations de notre époque.

Si les adeptes de la modernité ont cru tuer le Maître, après avoir constaté la mort de Dieu, force est de reconnaître que celui-ci s’est empressé de ressurgir sous de nouveaux masques. Il est des maîtres à penser dont les moindres formules sont scrutées à l’égal d’un texte sacré. Il est des écrivains portés aux nues par leur époque ou transformés en icônes par les générations futures. L’emprise d’un Barrès au début du XXe siècle, la popularité d’un Hermann Hesse promu initiateur emblématique du mouvement hippie, ou d’un Antonin Artaud cumulant les prestiges de la drogue, de la quête chamanique et de la folie, témoignent de la nécessité de suivre, sinon une doctrine, du moins un homme. C’est alors une personnalité qui séduit, c’est un style que l’on adopte. Phénomène de mode, certes, reconnaissance d’une originalité en phase avec le présent, mais aussi mimétisme inspiré par une inquiétude profonde, dans une démarche qui s’apparente à une véritable recherche du salut : comment penser, comment vivre dans un monde où les valeurs et les modèles traditionnels sont devenus obsolètes ? Quelle « solution » trouver au « problème » de l’existence ? Les enfants perdus ont plus que jamais besoin de guides qui leur montrent la voie, et certaines individualités puissantes deviennent, pour reprendre l’expression de Baudelaire, des « phares » qui nous éclairent dans la nuit des temps.

« Vous voulez un maître ? Vous l’aurez. » La réplique de Jacques Lacan renvoyant les turbulents étudiants de Vincennes à leur désir inconscient souligne l’ambiguïté de toute position magistrale. Même si l’action du maître n’a théoriquement d’autre objectif que de conduire le disciple sur le chemin de l’autonomie, la question du pouvoir est au cœur d’une relation qui tourne parfois à la relation d’emprise, et il est plus d’un exemple de magister ayant viré au dominus. La voie de l’abandon aux volontés d’un maître conçu comme omniscient, voire omnipotent, est d’ailleurs souvent idéalisée dans les religions et les cursus traditionnels.

Tels sont les thèmes qui pourraient être abordés lors de ces journées consacrées à l’image du maître spirituel. Prophète, inspiré, staretz, « délivré vivant », bodhisattva, saints de légende dorée, figures sublimes ou familières, figures de l’inversion, Antechrist, antipape, papesse, gourous entraînant dans la mort des fidèles hypnotisés par leur discours…, il ne s’agit pas de juger, mais de prendre en compte la diversité des regards, singuliers ou codifiés, portés au fil des cultures et des époques sur les maîtres spirituels ou sur ceux qui en tiennent lieu. Regard confiant du disciple ravi en extase et proposant en exemple sa croyance au monde entier, regard bienveillant du sympathisant (Romain Rolland reconstituant la vie de Râmakrishna) mais aussi regard de l’observateur extérieur plus ou moins sceptique ou fasciné (Flaubert soulignant le vide spirituel de l’abbé Bournisien, ou Huysmans nous contant avec délectation les agissements sulfureux et somme toute décevants du chanoine Docre), voire parfois regard iconoclaste du révolté (Antonin Artaud publiant dans le n° 3 de La Révolution surréaliste une Adresse au Pape  incendiaire). Peut-on cependant imaginer une vie où l’on n’aurait, comme le chante Léo Ferré, « ni dieu, ni maître » ?

 

Comité scientifique :

Katia Buffetrille, École Pratique des Hautes Études

Georges Kliebenstein, Université de Nantes

François Raviez, Université d’Artois

Myriam White, Université d’Artois

Modalités

Les propositions de communication sont à envoyer, accompagnées d’un court résumé, avant le 15 juin 2013 à francoisraviez@gmail.com. Textes et Cultures prend en charge l’hébergement (nuit du 15 au 16 mai), ainsi que les deux repas du midi ; les frais de déplacement restent à la charge des participants ou de leur centre de recherche.

François Raviez, Université d’Artois (UFR de Lettres et Arts), Textes et Cultures – EA 4028 « TransLittéraires »