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L'Illisible : Lieux et enjeux modernes et postmodernes

L'Illisible : Lieux et enjeux modernes et postmodernes

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Hédia Abdelkéfi)

Colloque international pluridisciplinaire

« L’illisible : Lieux et enjeux modernes et postmodernes »

(7-10 mars 2012, Tunis)

 

Responsable scientifique : Prof. Hédia Abdelkéfi (abdelkefi.hedia@gmail.com

Université de Tunis El Manar)

 

Aujourd’hui plus que jamais, l’univers est saturé de signes, les signes séduisent, fascinent, troublent, rebutent, résistent à l’intelligence. Pour les uns, ils signalent la fin du monde, pour les autres ils annoncent le début d’une ère nouvelle, « Ere du vide » (G. Lipovetsky ), « temps des tribus » (M. Maffesoli), du « citoyen sentimental » (G.E. Marcus ), de « la sainte ignorance » (O. Roy ), du « vouloir fou » (M. Guérin), de « la crise du sens » (J-F. Mattéi), de l’« entrée dans le monde de l’illisible » ( Libération, 3 mai 2011).

Qu’il se définisse comme négation du lisible, défaut de lisibilité, résistance au sens et paradoxalement condition même du lisible, l’illisible n’épuise pas le questionnement : « signe d'une époque », « mode d'une saison » ou « symptôme d'une crise » (J. Derrida ), l’illisible est-il lié à l’univers visible matériel ou s’inscrit-il dans l’invisible spirituel de notre réalité ? Relève-t-il du phénoménal ou du nouménal ? En prendre conscience revient-il à reconnaître à la raison humaine ses limites ou au contraire son triomphe sur l’opacité de « la Babel sombre » (Ch. Baudelaire)? En convenir consiste-t-il à inscrire l’illisible dans le processus de banalisation imputable à la montée en force de l’arbitraire ? Y adhérer vise-t-il à le réhabiliter comme ressource contre « la valeur négative » du lisible (R. Barthes) ?

Ces questions et bien d’autres encore incitent à baliser le champ d’investigation sur l’illisible en l’ouvrant à plusieurs époques et domaines de spécialités. Aussi le Département de français et l’Equipe de Recherche en Poétique et Sémiotique (ERPOS) de l’Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis sont-ils heureux d’annoncer le colloque international à vocation pluridisciplinaire qu’ils organisent du 7 au 10 mars 2012, à l’Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis en collaboration avec l’Association pour la Culture et les Arts Méditerranéens (ACAM) et plusieurs Laboratoires de Recherches tunisiens et français, et en vue duquel elle lance le présent appel à communication.

Cette manifestation a l’ambition d’aller au-delà du simple état des lieux du schisme lisible/ illisible en se donnant pour objectif de poursuivre le « vaste chantier » ouvert par Bertrand Gervais sur « l’impasse dans la sémiose ». C’est ainsi qu’elle se propose d’interroger les lieux et les enjeux de l’illisible à partir d’approches variées et complémentaires en faisant appel à des spécialistes dans diverses disciplines de sciences humaines (sciences du langage, sciences de la communication, sémiotique, pragmatique, civilisation, psychologie, sociologie, histoire, histoire de l'art et de l'architecture, histoire de la médecine, études urbaines, études sur le genre, littérature) travaillant à partir de sources françaises, arabes ou anglaises.

Axes proposés :

Le monde illisible. Ecrire/lire l’illisible : l’illisible comme po(ï)étique ; sémio-linguistique et pragmatique de l’illisible.

 

 

Description des axes 

Le monde illisible.

Il se définit a priori comme un espace aporétique dans lequel l’esprit ne peut évoluer sans une certaine démarche dictée par le désir de décryptage ou de décodage nécessaire à la clarté de la compréhension. A ce niveau-là, il pourrait être appréhendé selon diverses appellations qui offriraient ainsi matière à nombreuses réflexions :

- L’illisible ou l’aspect insolite d’un univers codé ;

- L’illisible ou le masque de l’implicite ;

- L’illisible ou l’imaginaire de l’inconscient ;

- L’illisible ou l’esthétique du mystère ;

- L’illisible ou la sémiotique de l’inadéquation ;

- L’illisible ou l’état transitoire d’une conscience ; 

- L’illisible ou l’utopie de la raison ;

Tout en admettant l’importance prépondérante d’une actualité internationale profondément marquée par des événements devenus des séismes planétaires, on peut se demander si l’entrée dans le monde de l’illisible ne vaut que par référence à notre « condition postmoderne » (J-F. Lyotard). Force est de rappeler que dans la diversité des interrogations qui traversent l’histoire de l’humanité, la question de l’illisible n’a cessé d’inquiéter les esprits de tous bords. Aussi, lorsqu’elle se pose de manière cruciale dans le sillage des grandes mutations géopolitiques et idéologiques inhérentes à la « mondialisation triomphante aux prises avec elle-même » (J. Baudrillard),ce n’est que pour conforter le sentiment humaniste séculaire que « le monde est un livre dont chaque pas nous ouvre une page » (A. Lamartine), et que c’est peut-être moins le lisible que l’appel de l’illisible qui donne sens à l’existence humaine. 

Tout en participant de l’aventure du langage, l’appel de l’illisible a ses lieux d’ancrages et ses réalités dans toutes les cultures et les civilisations. L’intérêt serait de les étudier non seulement pour en explorer la nature et l’origine, mais encore pour en cerner l’impact sur les différents domaines de la vie et plus particulièrement sur la relation de l’homme avec le monde. Désiré ou craint, arbitraire ou convenu, visible ou lisible, apparent ou caché, réel ou fictif…l’illisible fait la part belle au silence, à l’indicible, au non-dit, à l’inter-dit, « au-je-ne-sais-quoi »…et ramène le questionnement sur l’être et le paraître, le Moi et l’Autre, la vie et la mort…

Synonyme d’indéchiffrable, il relève pourtant du domaine de la relativité car n’est incompréhensible à l’homme que ce que l’esprit n’arrive point à saisir momentanément voire à accepter. Ainsi dans le domaine de l’art, les exemples ne manquent point pour vérifier l’idée de rejet de tout ce qui est nouveau insolite inacceptable et par conséquent illisible. (Que dire des impressionnistes relégués au salon des refusés ? Que dire des grands peintres convertis au non-figuratif et dont les oeuvres soulevaient des réactions presque épidermiques avant que la conscience n’ait appréhendé finalement la vraie valeur de leurs créations ? La réception de la musique elle-même présente des exemples de ce caractère transitoire de l’illisible devenu symboliquement une étape aporétique de l’esprit humain. Longtemps l’opéra Carmen de George Bizet s’est vu refusé, jugé comme inacceptable indéchiffrable par des mélomanes frappés de cécité temporaire. Aujourd’hui reconnu comme un chef d’oeuvre, cette oeuvre témoigne d’un génie exceptionnel.)

Ecrire/lire l’illisible : l’illisible comme po(ï)étique. 

L’illisibilité est une notion bien complexe. Pour aller dans le sens de la typologie qui, pour la cerner, la rattache au « préjugé laxiste de la clarté » à « une limite transcendantale » et à une « nature philologique » (F.Rastier), disons qu’elle élit ses territoires dans toutes sortes de perturbations graphologiques et de troubles de la compréhension. Indice de la mise en crise du sens, l’illisible existe depuis l’aube des temps. Lié ou non à des périodes de crises, il a ses manifestations dans la littérature et les arts. En littérature, ses inscriptions de choix lui sont données par les textes modernistes dont les valeurs esthétisantes ne sont pas sans remettre en cause la valeur littéraire. Plus tard, l’essor des tendances pluridisciplinaires sur un fond de crise globale socio-économique et politique qui affecte les idéologies et les discours de certitude, l’ouverture des frontières, l’éclatement des critères de jugement, l’hybride, et la bigarrure vont faire brèches au lisible. En effet, à la déroute du sens cultivée par quelques poétiques anticonformistes, la postmodernité vient apporter sa contribution en poussant l’oeuvre de sape à son paroxysme par une sorte de complaisance dans le déni du sens. De ce fait, il y a lieu de se demander si l’illisible −  jusque-là perçu par les uns comme constitutif de toute écriture, et par les autres comme ce qui rompt avec nos habitudes de lecture et d’écriture − n’est pas inhérent au sentiment que « tout vrai langage est incompréhensible » (A. Artaud), sinon à l’idée que tout l’art consiste soit à en démultiplier les stratégies à l’infini, soit à en préserver l’existence pour éviter que « la lecture s’arrête un jour dans une compréhension absolue » (F. Rastier). En ce sens il serait juste d’examiner les différentes idées relatives à l’écriture et au langage. La théorie de Barthes selon laquelle « La langue, comme performance de tout langage, n'est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à dire » confirme cette approche paradoxale d’une écriture en quelque sorte contrefaite pour un intérêt bien spécial. Selon l’ouvrage de Lorraine Piroux relatif à un essai sur l’illisibilité, la lisibilité serait un piège, « parce que le lisible nous fait miroiter, en vain, la signification absolue, donc le moment où la littérature prétend rejoindre la réalité ». Il s’agirait de « l’illusion réaliste », qui refuserait ses lettres de noblesse à l’écriture considérée parfois comme un leurre pour la conscience. Dans cette optique l’illisibilité s’affirme comme source première de la poïétique puisqu’elle serait l’espace dans lequel le sens s’ordonnerait paradoxalement à ce qui serait au départ le non-sens.

A ce niveau, il serait bon d’élaborer sa réflexion sur les axes suivants :

-Les stratégies de l’écriture de l’illisible ;

-Les approches du lisible/scriptible (études de Barthes et d’Umberto Eco) ;

- L’illisible source de poïétique.

- La psychanalyse comme déchiffrage de l’inter-dit…

III. Sémio-linguistique et pragmatique de l’illisible 

La problématique sémio-linguistique et pragmatique de l’illisible peut être cernée entre deux « bornes épistémologiques » : L’ordre sémiotique (univers des signes dans les structures codifiées du système), et l’ordre sémantique (pratiques discursives mettant en scène des mécanismes de lisibilité et des défis d’illisibilité). Ces deux ordres renvoient à la « double signifiance » propre aux langages naturels, telle qu’elle a été mise à jour par Benveniste, et développée par la suite par les différents courants de l’analyse du discours.

    Dans ce cadre axiomatique, on peut envisager les questions et hypothèses de travail suivantes :

1. En linguistique, dans quelle mesure les modèles proposés par les sciences du langage ont-ils été, comme métalangages, des codes satisfaisants de lisibilité de leurs objets (les systèmes linguistiques) ? Cette question théorique pose le problème des limites des démarches déductives et transcendantales confrontées à la saturation des modèles et la résistance des faits observés. La lisibilité de l’ordre sémiotique (les codes) demeure un problème, ce qui amène à réfléchir sur la « légitimité » et la validité des théories linguistiques. Cette question générale pourrait donner lieu à des approches évaluatives et critiques touchant à des aspects particuliers en syntaxe, en sémantique ou en lexicologie.

En sémiotique et rhétorique (La « nouvelle rhétorique ») : Dans l’ordre sémantique du discours (et selon la nature du code sémiologique : verbal, iconique, gestuel, visuel etc.), comment problématiser l’illisible dans le champ heuristique de l’intelligible ? Que l’on se situe au niveau d’une poétique du sens (connotation, polysémie, subjectivité), au niveau d’une rhétorique de l’image (mentale ou visuelle) ou d’une logique conversationnelle, (paraverbal, non-dit, implicite), l’illisible semble faire partie des conditions de l’interprétation. Il aurait ainsi un statut à définir, surtout dans le contexte moderne de la communication de masse et des stratégies de manipulation et de dissimulation qui orientent et « fabriquent » le sens dans l’espace public. Quelle serait alors la part de l’illisible dans la « construction » du sens, quand celui-ci est brouillé par les signes mêmes qui sont censés le donner et l’ordonner comme représentation mentale, ou quand il est objet de censure ou de tabous ? L’immanence du lisible est ainsi battue en brèche par l’intrusion de l’illisible, dans la mesure où la configuration discursive ne coïncide pas toujours, et même souvent, avec l’intelligibilité des messages communiqués. En pragmatique : Dans le modèle inférentiel de la pragmatique cognitive, l’illisible semble au coeur du dispositif interprétatif construit autour de la « loi de pertinence ». Le paradoxe apparent est : Comment comprendre des énoncés qui ne sont pas fait pour être compris ? Les langues naturelles étant « défectueuses », il s’agirait, dans tout acte de langage (surtout indirect), de juger de la pertinence énonciative en fonction des « efforts » cognitifs et des « effets » contextuels. Les paramètres de la communication changent ainsi radicalement. Il ne s’agit plus de comprendre ce que quelqu’un dit, mais ce qu’il veut dire. C’est dans ce « vouloir dire » (intention communicative » que l’illisible s’incruste pour nous jouer des tours. Il est là sans être là.  Il serait intéressant d’examiner les différentes hypothèses théoriques qui fondent le dispositif pragmatique cognitif (psychologie des facultés, système modulaire, théorie de l’esprit, stratégie de l’interprète), et le rôle de la « mémoire » cognitive dans la lisibilité de l’illisible. Dans ce cadre, on pourrait s’interroger aussi sur la place et la fonction des « lois du discours » dans la régulation de la communication (verbale et non verbale). Ces « lois » semblent constamment déjouées par l’illisible (bruit sémantique, malentendus, silences, opacité etc.)

Par Hédia Abdelkéfi et Othmen Ben Taleb

 

III. Renseignements pratiques 

Le colloque international se déroulera du 7 au 10 mars 2012, à l’Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis. Il comprendra :

  • Trois journées de communications et de débats ;
  • Une rencontre « Jeune chercheurs » :
    • Concours du meilleur poster ;
    • Conférence de Gérard Figari : "A la recherche de la lisibilité d'une thèse ou d'un mémoire ?"
  • Un volet culturel.

Les communications, en français, en arabe ou en anglais, dureront 20 minutes et feront l'objet d'une publication, après avis du comité scientifique. Les propositions − accompagnées d'un résumé et d'une courte notice biographique (500 mots maximum, 3000 signes) − sont à adresser avant le 30 novembre 2011 par e-mail : colloqueillisible@gmail.com

Principales échéances :

  • 30 novembreoctobre 2011 : rentrée des propositions de communications et préinscription.
  • 31 décembre 2011 : notification par mail de la liste des propositions de communication acceptées.
  • 15 janvier 2012 : publication du programme sur le site web et inscriptions définitives.
  • 31 janvier 2012 : rentrée des textes provisoires pour les pré-actes et clôture des inscriptions définitives.

Droit d'inscription

Un droit d'inscription forfaitaire de 150 dollars (200 dinars tunisiens) sera demandé aux participants qui nécessitent un hébergement. Ce droit d'inscription inclut :

  • Le programme du colloque ;
  • Le recueil des résumés ;
  • L’hôtel en demi-pension pendant les 4 jours du colloque ;
  • La pause-café ;
  • La participation à la rencontre « Jeunes chercheurs » ;
  • Le programme touristique.

Les doctorants qui désirent participer à la rencontre « Jeunes chercheurs » et/ ou au concours du meilleur poster seront invités à s’inscrire avant le 31 décembre 2011. Les propositions de poster doivent impérativement comporter les éléments suivants :

• nom et prénom, adresse électronique, coordonnées téléphoniques et postales ;

• statut professionnel, institution de rattachement de l’auteur/des auteurs ;

• 200 mots maximum en langue française, en langue arabe, ou en langue anglaise précisant la problématique de la thèse, les données utilisées et la méthode.

Comité scientifique

Hédia Abdelkéfi (Université de Tunis El Manar) ; Abdelmagid Bekri (Peintre) ; Othman Ben Taleb (Université de Tunis El Manar) ; Rim Boujedra Triki (Université de Tunis El Manar) ; Mohamed Chagraoui (Université de Tunis El Manar) ; Camille Dumoulié (Université de Paris X - Nanterre) ; Noureddine Ennaifer (Université de Tunis El Manar) ; Gérard Figari (Université de Grenoble II) ; Joëlle Gardes Tamine (Université de Paris IV-Sorbonne) ; Michel Guérin (Université de Provence) ; Saida Hamzaoui (Université de Tunis El Manar) ; Karl Canvat (Université de Lorraine-IUFM/U. Nancy 1) ; Abdallah Khlaifi (Université de Tunis El Manar) ; Abdelwaheb Mahjoub ((Université de Tunis El Manar) ; Dominique Maingueneau (Université Paris-Est Créteil et Institut Universitaire de France) ; Mansour Mhenni (Université de Tunis El Manar) ; Eléni Mitropoulou (Université de Franche-Comté) ; Pierre Molinier (Université de Toulouse II) ; Samir Triki (Université de Tunis).

Comité de pilotage

ERPOS (Université de Tunis El Manar), LASELDI (Université de Franche-Comté), CIMEOS (Université de Bourgogne), l’Equipe d’Accueil «Littérature et poétique comparées » (Université de Paris X - Nanterre)…

Comité d’organisation : Coordinateur : Othman Ben Taleb (bentalebothmen@yahoo.fr Université de Tunis El Manar)

Sabeh Ayedi (Université de Tunis El Manar) ; Zouhour Ben Aziza (Université de Tunis El Manar) ; Saida Hamzaoui (Université de Tunis El Manar) ; Samira Mechri (Université de Tunis El Manar) ; Hela Ouardi (Université de Tunis El Manar) ; Halima Ouanada (Université de Tunis El Manar) ; Hafedh Sfaxi (Université de Tunis El Manar) ; Houssine Souadni (Université de Tunis El Manar).

Contact: colloqueillisible@gmail.com

Institut Supérieur des Sciences Humaines,  26 avenue Dargouth Pacha – 1007 Tunis.