Questions de société

"l'Hadopi pourra-t-elle lire vos e-mails ?" (Rue 89 29/04/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Rue 89:

Piratage : l'Hadopi pourra-t-elle lire vos e-mails ?

Par François Krug | Eco89 | 29/04/2009 | 19H08

Les opposants au projet de loi Hadopine se font pas d'illusions. Présenté une seconde fois à l'Assembléenationale, le texte devrait être adopté. Mais ses adversairess'interrogent notamment sur une étrange formule pouvant autoriser lecontrôle des e-mails, au nom de la lutte contre le téléchargementillégal.

Le texte, rejeté le 9 avril en raison de l'absentéisme des députés UMP,revient dans une version évoquant à plusieurs reprises les services de« communications électroniques ». A priori, une formule inoffensivepour décrire le champ de compétence de la future Haute autorité pour ladiffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet. Mais comme l'a signalé PC Inpact, elle peut être interprétée de différentes manières.

Qu'est-ce qu'une « communication électronique » ?

Cette formule peut aussi bien concerner les réseaux « peer-to-peer »- la principale cible du projet de loi - que les messageriesélectroniques. Elle a provoqué un vif débat au sein de la commissiondes Lois, comme en témoigne le compte-rendu disponible sur le site de l'Assemblée nationale.

Là où le texte initial évoquait les « services de communication enligne au public », la version actuelle y ajoute cette notion de« communications électroniques ». Notamment dans l'article 6, qui rendles internautes responsables de l'utilisation qui est faite de leurordinateur et de leur connexion :

« La personne titulaire de l'accès à des services decommunication au public en ligne ou de communications électroniques al'obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l'objet d'uneutilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise àdisposition ou de communication au public d'oeuvres ou d'objets protégéspar un droit d'auteur ou par un droit voisin sans l'autorisation destitulaires des droits (…). »

Une simple question de vocabulaire, sans importance ? C'est l'avisdu rapporteur du texte, l'UMP Franck Riester. Mais pas celui dusocialiste Christian Paul, qui a expliqué devant la commission deslois :

« En étendant les dispositions de l'article 6 auxcommunications électroniques, on demande aux internautes de surveillerégalement les e-mails, c'est-à-dire la correspondance privée. (…) Sivous visez maintenant la correspondance privée, c'est que vous savezbien que les internautes l'utiliseront bientôt massivement pourpartager les oeuvres musicales ou audiovisuelles. Vous êtes déjà obligéde colmater les brèches de votre projet ! »

« Créer un climat dissuadant les pirates »

La Verte Martine Billard s'est également emportée :

« Comment pourrait-on retenir la responsabilité dutitulaire de l'accès si quelqu'un a fraudé en utilisant sa messagerie ?Et comment savoir si une messagerie a été utilisée pour un échange defichiers illégaux sans surveiller ce qui constitue l'équivalent ducourrier privé, surveillance qui suppose une décision de l'autoritéjudiciaire ? Quel dérapage ! »

Devant la commission, la ministre de la Culture a relativisél'importance de ce léger changement dans son texte. Mais ChristineAlbanel a reconnu au passage que le projet de loi ne prenait pas encompte toutes les techniques de piratage :

« J'ai dit clairement que tout n'avait pas été prévu. Ilexiste bien sûr plusieurs façons de pirater, mais l'utilisation desmessageries est assez marginale et l'essentiel des téléchargements sefait sur les sites de peer to peer (…). Créer un climat dissuadant lespirates, tel est notre objectif. »

L'offensive des anti-Hadopi de droite

La ministre de la Culture devra aussi répondre aux critiques venues de son propre camp. Trois des opposants UMP au projet de loi,Lionel Tardy, Alain Suguenot et Jacques Remiller, vont déposer unesérie d'amendements aux articles mentionnant les « communicationsélectroniques ». Eco89 en a obtenu une copie :

« La notion de “communication électronique” est très maldéfinie et élargit de manière importante le champ déjà couvert par lesservices de communication au public en ligne. »

« Les termes “communications électroniques” peuventlaisser à penser que l'accès à la messagerie électronique pourraitégalement être suspendue, ce qui pose de très graves problèmes et rendla sanction totalement disproportionnée et inacceptable. »

« Si les spécifications fonctionnelles devaientégalement concerner les communications électroniques, il y aurait deforts risques d'inconstitutionnalité pour violation de lacorrespondance privée. »

Première reculade

Le sujet est sensible. Juste avant le début des débats ce mercredi, Franck Riester a introduit un amendement supprimant une des références aux « communications électroniques »,dans l'article 2 du projet de loi, portant sur l'obligation desurveiller l'usage qui est fait de sa connexion à Internet. Explicationdu rapporteur UMP :

« La référence à l'utilisation frauduleuse de l'accès auservice de communication électronique fait peser une légitimeinterrogation sur une éventuelle obligation pour ce même abonné desurveiller les correspondances électroniques de son entourage pour sedédouaner de sa responsabilité.

« Tirant les conséquences des débats menés au sein de lacommission des Lois, cet amendement vise à lever toute ambiguïté en lamatière en supprimant la référence subsistante à une utilisationfrauduleuse de l'accès au service de communication électronique. Ainsi,il est très clair que les abonnés ne seront pas astreints à un contrôledes communications électroniques de leur entourage. »

Les débats s'annoncent aussi animés que lors du premier passage dutexte à l'Assemblée. Mais cette fois-ci, les surprises devraient êtreplus rares : rappelés à l'ordre par l'Elysée, les députés UMP nedevraient pas s'absenter au moment du vote.

Mis à jour le 29/04/2009 à 20h après le commentaire de Lurker et le dépôt de l'amendement de Franck Riester.

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