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L'évaluation scientifique (Revue ¿ Interrogations ?, n°11)

L'évaluation scientifique (Revue ¿ Interrogations ?, n°11)

Publié le par Florian Pennanech (Source : Brice Monier)

L'évaluation scientifique, Revue ¿ Interrogations ?, n°11

Le présent appel à contribution naît de questionsrécurrentes au sein du comité de rédaction (CR) de la revue ¿ Interrogations ? : Comment choisirles « meilleurs » textes pour faire le « meilleur » numéro de revue possible ?Comment un CR sélectionne-t-il les textes qu'il va publier dans ses colonnes ?Pourquoi – au nom de quoi – en éliminer certains ? Pour ce faire, une revue estobligée d'évaluer les articles et, pour une revue scientifique, il va de soique le seul critère qui vaille est la scientificité du texte. D'où la questioncentrale de cet appel : qu'est-ce que l'évaluation scientifique ?

La question est en fait au moins quadruple. Elle implique,en premier lieu, que l'on s'interroge sur la procédure d'évolution d'uneproduction à prétention scientifique. Comment reconnaît-on la scientificité ?Qu'est ce qui confère ou non un statut scientifique à une production oucontribution cherchant à se faire reconnaître comme tel ? Si une évaluationscientifique semble être l'analyse de la science se faisant à partir de lascience faite, un petit tour du côté de la littérature semble montrer que nousfaisions preuve d'une certaine naïveté… La scientificité d'un texte et sonévaluation scientifique ne se recouvrent que partiellement.

Sokal a montré, en déclenchant l'affaire qui porte aujourd'huison nom, qu'un texte inepte , pour peu qu'il soit jargonnant et écrit par unscientifique reconnu, peut être publié. Si, comme Pierre Bourdieu , nouspouvons y voir la puissance d'un nom dans un champ particulier, l'affaire Sokalpose aussi la question du travail d'évaluation et de la légitimité desévaluateurs. A priori, en ce qui concerne Sokal, il n'y a pas eu d'évaluation.Mais, quand un tel travail a lieu, l'évaluation est-elle pour autant toujoursdétachée de l'auteur du texte ? Si Passeron, Vinck ou Latour, si Changeux ouFargot-Largeault, nous proposent un texte, quel statut aura-t-il ? Quel accueillui sera-t-il réservé ? La question doit d'autant plus se poser qu'il arrive àdes auteurs de prétendre se soustraire à la procédure d'évaluation au nom… deleur nom.

Une évaluation en aveugle semble être la solution. Bien querendre anonyme un texte soit très difficile : il ne suffit pas de retirer lenom de l'auteur encore faudrait-il retirer toutes les références qu'il fait àses anciens travaux. Et cela reviendrait à transformer la contribution, ce quiest impossible…

Par ailleurs, comment choisir les évaluateurs du texte ?Qui, par exemple, est légitime pour juger de la qualité d'une recherche menéepar des auteurs de référence dans le domaine ? Un scientifique, spécialiste dudomaine concerné par la recherche à évaluer, fera-t-il un meilleur évaluateurqu'un non-spécialiste ? Ici l'évaluation touche au domaine de l'expertise.

De surcroît, quels sont les critères d'évaluation retenus ?Sous l'angle de la vérité dans les sciences , cette question n'est absolumentpas nouvelle. Dans les SHS, nous ne pouvons pas refaire l'expérience pour lavalider ou l'infirmer. Passeron l'a bien écrit , il ne s'agit pas ici d'uneaffaire de tout ou rien, de vrai ou de faux mais de plus ou de moins. Dès lorscomment juger de la validité ou de l'inanité d'une recherche ? La science estcollective, nous n'écrivons jamais sur une page blanche disait Michel DeCerteau dans L'invention du quotidien. Dès lors la publication sert avant toutà partager nos résultats, pour les donner à voir à la communauté scientifiquequi va s'en saisir et les évaluer. L'évaluation serait une sanction, positiveet négative, visant à déclencher une controverse légitimant ou non les résultats.La question de cet appel à contribution serait-elle alors bien pensée ? Celasert-il à quelque chose de tenter d'évaluer la scientificité d'un texte sic'est l'évaluation qui le rend scientifique ? La preuve est-elle apportée parl'auteur ou la démonstration n'est-elle probante qu'une fois passée par le feude la critique ?

Cependant, cette approche idéale de la science est largementmise à mal à la lecture d'un texte de Bruno Latour visant à montrer que lepartage des résultats a plus pour but d'écraser la concurrence que de fairenaître de fécondes controverses scientifiques . Des contributions pourraientainsi se pencher sur la manière (les procédés rhétoriques, les dispositifsinstitutionnels, les relais médiatiques, etc.), dont certains paradigmes,certaines écoles voire certains auteurs se sont imposés, en imposant leurcritères de scientificité et leurs modes d'évaluation scientifique, par lamarginalisation des paradigmes, écoles et auteurs concurrents. Autrement dit,comment fait-on référence dans le domaine des SHS jusqu'à y faire modèle descientificité ?

La question est, en second lieu, celle du statut même de lascientificité dont se réclament les Sciences Humaines et Sociales (SHS) ;statut auquel elles prétendent légitimement mais qu'elles se voientrégulièrement dénié. Ce qui conduit à s'interroger sur les différents modes deconstruction d'un périmètre de scientificité, d'une ligne de démarcation entrece qui relèverait de la science et ce qui n'en relèverait pas mais qui serait,selon le cas, du domaine de l'opinion, de la croyance, de l'idéologie, de lareligion, etc. Il n'est pas question pour la revue ¿ Interrogations ? derouvrir la sempiternelle confrontation entre paradigmes qui traverse etquelquefois déchire les SHS mais, plus radicalement, de s'interroger sur lamanière dont une production dans le domaine des SHS, quel que soit sonparadigme de référence, se confronte à la question de ses rapports et, plusexactement, de sa séparation d'avec la non-science. Dans ce sens, nous attendonsdes contributions à caractère et portée épistémologiques. Notre CR accueilleraaussi volontiers des articles qui reviendraient de manière réflexive surquelques « affaires » ayant fait problème ou polémique et dans lesquelles setrouvait directement soulevée la question de la scientificité. Par exemple lerejet des écrits révisionnistes (minimisant, relativisant voire niant leprocessus génocidaire dont ont été victimes juifs et tsiganes de la part dupouvoir nazi et de certains de ses alliés pendant la Seconde Guerre mondiale)par la communauté des historiens ; ou encore la polémique provoquée, parmi lessociologues, par la soutenance de la thèse d'Elisabeth Tessier en 2001.

Une troisième manière d'aborder la question est des'interroger sur les spécificités de l'évaluation scientifique. Il seraitillusoire, en effet, de croire que seules les SHS ou, plus largement, seule lascience se confrontent à ce genre de problème. La recherche médicale, parexemple, s'évalue à l'aune de l'« Evidence Based Medecine » (EBM). Cependant il existe des domaines médicaux oùcet EBM ne peut avoir cours (la psychiatrie, les soins palliatifs, lagérontologie) ; et, pourtant, on y fait de la recherche. Est-ce à dire qu'ilexisterait dans les sciences une recherche non-scientifique ? La tentation estsouvent de faire revêtir à toutes ces recherches les atours présumés de lascience. Ainsi en est-il parfois de l'utilisation des statistiques dans les recherchesqualitatives. Au niveau de la construction sociale de nos représentations de lascience, nous sommes encore beaucoup à voir dans la mathématique La scienceabsolue, ses dérivés étant de moins en moins scientifiques au fur et à mesureque nous nous éloignerions de la matrice originelle.

Mais les questions précédentes relatives à l'évaluationscientifique gagneraient peut-être à se confronter à celles que soulèvel'évaluation dans d'autres domaines qui n'ont rien à voir avec la science apriori. Pour Christophe Dejours, l'évaluation objective d'un travail en généraln'est pas possible ; qu'en est-il alors pour un travail scientifique ? Unjugement sur la beauté de l'ouvrage – c'est-à-dire un jugement sur la facturedu travail – est-il suffisant ? Faut-il lui adjoindre un jugement d'utilité ?Et que penser du jugement artistique qui confère le statut d'oeuvre d'art à uneproduction prétendant précisément atteindre un pareil statut ? Nerencontre-t-on là encore toute la complexité des déterminants de laconstruction à la fois mentale et sociale de l'évaluation ?

Par ailleurs, une quatrième manière d'aborder l'évaluationscientifique consiste à interroger quel sens – comme direction ou commesignification – peut-elle donner au travail scientifique. Autrement dit,quelles incidences l'évaluation scientifique peut avoir sur « le sens pratique» du chercheur, sur ses activitésquotidiennes de recherche (publication, communication, enseignement, formation,etc.) ? Comment les différentes formes d'évaluation scientifique (del'évaluation collégiale à l'évaluation externalisée de la science via desagences comme l'AERES) structurent, déstructurent ou restructurentl'organisation du champ scientifique et ses différents microcosmes aussi bienque l'illusio du chercheur (ses stratégies, ses engagements, sa perception dela science et de la discipline, sa « libido dominandi » tout comme sa « libidosciendi », etc.) ? Sur ce point, une problématisation critique de l'évaluationscientifique peut être empruntée (à la condition, bien entendu, que lepositionnement critique donne lieu à une meilleure compréhension del'évaluation scientifique et ne se réduise pas à une simple intention dedénonciation). Ainsi, pour paraphraser Michel Foucault, l'évaluationscientifique constitue-elle un « ordre du discours » scientifique, basé surl'exclusion ou le déni de l'implication du scientifique ? Ce qui renvoiel'évaluation scientifique à un « acte politique » qui impose la neutralité duchercheur. En effet, si on s'inspire des propos peu orthodoxes de Theodor W.Adorno, on peut craindre que l'évaluation scientifique n'engage le chercheurdans la voie du « scepticisme positiviste » si elle pose comme critèrenécessaire sa neutralité, car, « tout comme l'apathie politique, la neutralitéscientifique s'avère un acte politique quant à son contenu social. DepuisPareto, le scepticisme positiviste s'accommode du pouvoir existant, même celuide Mussolini. »

A la lecture des lignes précédentes, on aura compris que lestextes que la revue ¿ Interrogations ? aimerait publier n'ont pas à secantonner au monde des revues scientifiques, le monde de la recherche nousintéresse tout autant. Les analyses n'ont pas à porter uniquement sur lesecteur des SHS. Deux précisions cependant :

1/ Les textes acceptés par la revue ne peuvent être que defacture réflexive de nature académique. Le débat autour du classement desrevues est un débat qui nous intéresse, cependant ce débat est très largementpolitique et même si la dimension politique n'est pas absente ni antinomique dela dimension scientifique, la revue ¿ Interrogations ? n'a pas pour vocation àprêter ses colonnes à la polémique. Si des articles adoptant un positionnementcritique concernant l'évaluation scientifique peuvent être acceptés, c'est à lacondition qu'ils se consacrent essentiellement à son analyse, en recourant àune méthodologie rationnelle (un travail du concept, concernant lescontributions philosophiques) et/ou expérimentale (un recueil de données,concernant les contributions provenant des SHS).

2/ Comment évaluer des articles sur « L'évaluationscientifique » après avoir mis en avant toutes nos interrogations, toutes nosincertitudes quant à une évaluation vraie ? En se protégeant derrière nosprocédures. Celles-ci sont publiées sur notre site et vous pouvez les consulterà l'adresse suivante : http://www.revue-interrogations.org/revue.php

Les propositions d'articles répondant au précédent appel àcontribution doivent être adressées à M. Florent Schepens, coordinateur dunuméro 11, avant le 1er juin 2010 et à l'adresse électronique suivante :schepens point f at wanadoo point fr. Il va de soi que ces articles devrontêtre rédigés aux normes de la revue.

En dehors des articles répondant à l'appel à contributions,la Revue ¿ Interrogations ? accueille volontiers des articles pour ses autresrubriques. Ces articles ne dépendent pas de l'appel à contribution en cours,par conséquent, ils peuvent traiter de tout autre thème. Pour cette mêmeraison, ces articles ne sont soumis à aucun délai quant à leur réception.

♦ La rubrique « Des travaux et des jours » est destinée àdes articles présentant des recherches en cours dans lesquelles l'auteur metl'accent sur la problématique, les hypothèses, le caractère exploratoire de sadémarche davantage que sur l'expérimentation et les conclusions de son étude.Ces articles ne doivent pas dépasser 20 000 signes.

♦ La rubrique « Fiches techniques » est destinée à desarticles abordant des questions d'ordre méthodologique (sur l'entretien, larecherche documentaire, la position du chercheur dans l'enquête, etc.) outhéorique (présentant des concepts, des paradigmes, des écoles de pensée, etc.)dans une visée pédagogique. Ces articles ne doivent pas non plus dépasser 20000 signes.

♦ Enfin, la dernière partie de la revue recueille des «Notes de lecture » dans lesquelles un ouvrage peut être présenté de manièresynthétique mais aussi vivement critiqué, la note pouvant ainsi constituer uncoup de coeur ou, au contraire, un coup de gueule ! Elle peut aller jusqu'à 10000 signes.

Le Comité de Rédaction

• Pour plus d'informations sur la revue, voir :

http://revue-interrogations.org

• Concernant les normes de rédaction de la revue, voir :

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• Concernant la ligne éditoriale et le protocole d'expertisede la revue :

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