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L’être de langage, entre corps et technique : nouvelles données, nouvelle donne?

L’être de langage, entre corps et technique : nouvelles données, nouvelle donne?

Publié le par Romain Bionda (Source : Université Paul Valery)

« Humain 2.0 », « hybridé » ou « augmenté », « post/transhumanisme », « artefacts robotiques » du comportement de l’homme communiquant et agissant, foisonnement d’interfaces tactiles : nombreux aujourd’hui sont les « avatars » humanoïdes et autres simulacres de présence humaine. Autant d’enjeux d’identité et d’image de soi, avec, aux deux pôles, une valorisation ou une altération des corps. Autant de questions impliquant, également, les rapports des discours au corps et des sujets au langage.

Ce colloque vise à établir un dialogue entre les sciences humaines, les neurosciences et les sciences de l’ingénieur. Le rapprochement entre ces disciplines s’inscrit de fait dans une certaine urgence sociétale : à fragmenter les approches du corps, ne fragilise-t-on pas aussi l’unité de l’homme et de ses conceptions ? Dans le prolongement de précédentes manifestations reliées à des thèmes proches (Chercheur/se in situ Immersion par corps, Normes et déviances, Montpellier, 2014 ; Interacting bodies – corps en interaction, Lyon, 2005), ces rencontres internationales proposent d’aborder le rapport entre corps, langage et technique, dans le cadre d’un dialogue interdisciplinaire inédit.

Dans cette perspective, parce qu’elle s’intéresse aux manifestations langagières dans leur rapport à l’action sociale, y compris les savoir-faire technologiques (DURANTI, 2002 ; FORNEL, 1994 ; GOODWIN, 2000), dans sa diversité (BORNAND & LEGUY, 2013 ; LAFONT, 2004 ; LONDEI & SANTONE, 2013), l’anthropologie linguistique est centrale, qui postule une continuité des corps communiquant, percevant, éprouvant, pensant, interagissant avec les environnements naturels ou artificiels, dans une perspective analytique qui vise à éviter l’atomisation des objets d’étude et leur déracinement contextuel. Par la nature interdisciplinaire qui la caractérise, cette approche est ainsi à même de faire dialoguer les différentes démarches. Ainsi, les études du domaine, parce qu’elles s’ancrent toujours dans un contexte ethnographique, interrogent les expressions de la rationalité et des praxis (GOODY, 1996/1999), en particulier dans les domaines d’investigation sur l’affect et les troubles du développement (OCHS, 1989 ; OCHS & SOLOMON, 2010), l’intentionnalité (DURANTI, 2015) et les interactions médiatisées (JONES et SCHIEFFELIN, 2009 ; VERDIER, 2014). À coup sûr, les modèles développés dans les neurosciences de l’action ainsi que les travaux menés en ingénierie et en robotique gagnent à être discutés au prisme de ces approches contextualistes (KOCKELMAN 2013).

Sont vivement encouragés à participer les chercheurs qui questionnent le rapport des discours au corps dans le cadre des interactions homme-machine (SUCHMAN, 2007) : par exemple, les travaux menés en philosophie (ANDRIEU, 2008 ; ANDRIEU & BERTHOZ, 2011), en sociologie (LE BRETON, 2013), en sciences de la communication (RENUCCI, 2014) ou dans les neurosciences (DAMASIO, 2010)… On s’attachera ainsi à croiser les recherches sur les techniques du corps – dont relève la pratique langagière – et sur le geste, la mimique ou la voix du corps vivant et du corps vécu. En dialogue avec les travaux sur l’enaction (VARELA & al., 1991 ; BOTTINEAU 2010) et l’émersiologie (ANDRIEU, 2015), il s’agira de discuter la manière dont les interactions sociales s’articulent aux ressources linguistiques et assurent l’existence humaine à travers l’intrication du monde corporel et de sa pensée.

Outre les conférences (de B. ANDRIEU, É. CHAUVIER, A. DURANTI, E. OCHS, B. TRAIMOND…), les ateliers et les tables rondes autour des problématiques suscitées par les interactions homme-machine, à l’inclusion de la relation entre le corps et le langage, mettront en présence des acteurs des sciences de l’ingénieur et des neurosciences avec des anthropologues, des linguistes, des philosophes et des psychologues. Les travaux pourront être soumis en fonction des différentes perspectives proposées dans les axes suivants :

Incorporations affectives et cognitives, anthropologie linguistique des interactions homme-machine, anthropologie des corps communicants, circulations discursives sur le corps et la technologie

CALENDRIER

ENVOI DESPROPOSITIONS : au plus tard au 15 décembre 2015

ACCEPTATION : 11 janvier 2016

DATES DU COLLOQUE : 23-25 mars 2016

PUBLICATION : un choix de contributions est prévu pour parution ultérieure dans divers recueils thématiques.

 

SOUMISSIONS

• Envoi des propositions pour expertise en double aveugle en français ou en anglais (350-400 mots, hors références bibliographiques) comme indiqué :

- préciser le ou les axes choisis (Arial 12, aligné à gauche) ;

- titre de la proposition, (Arial 12, aligné à gauche) ;

- nom prénom auteur(s), fonction(s), laboratoire(s), adresse mail (Arial 10, aligné à gauche) ;

- résumé 400 mots maximum et 5 mots-clefs (Times 12, justifié).

- format .doc ou .docx

• Dépôt des textes et compléments d’information sur : http://asl.univ-montp3.fr/rial2016/ (dès le 5/11/2015)

 

COMMUNICATIONS

• Interventions orales (20 minutes et 10 minutes de discussion) en français ou anglais ; des supports de présentation (exempliers, powerpoint) dans l’autre langue sont souhaitables.

• Des propositions de panel sont aussi attendues, en relation avec les axes thématiques retenus.

• AXE 1 : Incorporations affectives et cognitives Le vivant en nous communique avec le monde par son écologisation directe, spontanée et inconsciente. En s’auto-organisant, il fournit aussi à la conscience du vécu une part représentationnelle de ce qui a été éveillé lors de l’écologisation du corps dans le monde : le monde corporel (ANDRIEU, 2011). En autant d’échappées, gestes, postures et techniques animent le vivant de notre corps. Ce corps vivant, déjà en acte (BERTHOZ & ANDRIEU, 2011), coopère avec le corps vécu, en l’adaptant stratégiquement à l’action, sous le seuil de la conscience. Comment dès lors distinguer ce qui provient directement du corps vivant (et des données sensorielles et émotionnelles qui le régissent) de sa perception par le corps vécu ? Ce questionnement recoupe en partie celui des modalités par lesquelles le corps symbolique et communicationnel est régulièrement recouvert par le corps éprouvant et érotique (LAFONT, 1996), et plus largement concerne les discours sur le / du corps (PAVEAU, 2009). Plusieurs courants des neurosciences (néoconnexionnistes, énactivistes…) ont de plus intégré et popularisé l’idée que les fonctionnements mentaux ne se restreignaient pas à notre activité purement cérébrale mais sont incorporés et impliquent notre rapport à l’environnement (technologique ou pas). Assumant épistémologiquement ces constats, l’anthropologie linguistique a aussi fait recours à des modèles issus d’autres démarches théoriques et analytiques : ainsi, l’hypothèse localiste (PETITOT, 1989) souligne l’intégration des schèmes expérientiels, perceptuels et cognitifs dans les langues. LAKOFF & JOHNSON (1980), ont, par ailleurs, montré que les discours quotidiens convoquent l’expérience pratique du rapport au monde sous les métaphores du corps, en particulier dans l’expression des émotions, dont le schème du conteneur traverse les langues. Rapprochées de la cognition située (SUCHMAN, 2007) et distribuée (HUTCHINS, 1995), ces réflexions invitent à penser systématiquement reversions et échanges disciplinaires, au cœur de cet axe. Au corps communiquant situé, on associera le caractère animé et intersubjectif d’un corps orienté pour l’action et l’interaction : à l’heure d’une certaine tendance à « implémenter » les affects, sont aussi attendues pour cet atelier des contributions permettant de questionner les incursions vers cette « émotion artificielle » à partir d’observables anthropolinguistiques. À partir de ces mêmes acquis disciplinaires, on pourra de même rapprocher ce type de questionnements de la respécification par leur portée interactionnelle et sociale de fonctionnements cognitivo-affectifs tels que la planification (SUCHMAN, 2007) ou l’intentionnalité (DURANTI, 2015) dans des domaines et sur des terrains variés. Les techniques de la culture des corps (postures, gestes, mimiques, voix…) pourront également faire l’objet de contributions portant notamment sur la place respective et complémentaire, en inconscience ou pas, du somatique et du langage dans les logiques d’action et d’intention

 

. • AXE 2 : Anthropologie linguistique des interactions homme-machine La tradition anthropologique le rappelle avec force : « nous sommes nos outils » (SUCHMAN, 2011). Du reste, le problème anthropologique n’est-il pas fondamentalement adossé à la relation que les êtres humains entretiennent avec les objets et les choses ? Or dans ces rapports d’intrication et de dépendance mutuelle, notre quotidien est peuplé de machines et d’instruments avec lesquels interagit notre corps. En anthropologie, le domaine des interactions homme-machine est habituellement abordé dans le cadre de la cognition située (SUCHMAN, 1987/2007) ou réservé à la seule anthropologie cognitive (HEATH & LUFF, 1996 ; HOLLAN & AL., 2000). Si un certain nombre de travaux émergent dans ces domaines (KEATING & MIRUS, 2003 ; LICOPPE & VERDIER, 2015 ; MCINTOSH, 2010), il est temps que l’anthropologie, la linguistique en général et l’anthropologie linguistique en particulier, s’intéressent plus systématiquement à de telles problématiques, du fait des propriétés interactionnelles tout à fait particulières qui les caractérisent et des réflexions inédites qui en découlent. Certes, un tel objet de recherche peut susciter quelque réticence parmi les chercheurs travaillant dans le domaine de l’anthropologie linguistique car il ne semble pas avoir pour vocation de participer à l’élaboration de modèles théoriques dans ce cadre disciplinaire. La critique peut sembler justifiée si l’on s’en tient à l’examen des études consacrées aux interactions médiatisées. Cet axe se propose précisément de montrer, au travers de recherches innovantes dans le champ, tout l’intérêt de mener des recherches dans ces domaines pour aborder les questions sur le langage, le contexte social et l’interaction (HANKS, 2005 ; FORNEL, 2012) en rapport avec les objets techniques en général et les environnements numériques en particulier. Sans exclusive, deux grandes séries de considérations pourront être envisagées dans ce cadre : – L’homme avec la machine : aux prises avec les objets techniques, au travail, en activité ludique, dans les échanges privés ou public, comment saisir l’action des corps communiquant avec les interfaces numériques et leur écologie instrumentée ? – L’homme dans la machine : comment, sous les avatars et autres simulacres somatiques, les représentations d’agents humains induisent-elles une nouvelle forme, plus ou moins dématérialisée de délégation mnésique ou expérientielle ?

 

 • AXE 3 : Anthropologie des corps communicants La réalité n’apparaît à l’anthropologue que par le truchement du langage ou plutôt dans son utilisation. Elle apparaît dans les mots et les façons de les exprimer. Or le travail de l’anthropologue consiste à déjouer les pièges du langage en questionnant systématiquement les catégories pré-construites et autres « boîtes noires » imposées de l’extérieur au nom d’une fallacieuse « rupture épistémologique » mais aussi parfois mobilisées au cours des conversations. Afin d’éviter les saut-périlleux et les passages discutables des mots vers les choses (ou inversement) (CHAUVIER, 2014), l’anthropologue privilégie les paroles indigènes et les explicite en prenant en compte les déterminations qui contribuent à établir les propos enregistrés. Ce qui se dit n’est que pour une part infime déterminée par les convictions du locuteur et l’expression de ses expériences. Le rappel des conformités, la soumission aux normes sociales constitue l’essentiel des propos puisque, dans un entretien de recherche comme dans toute autre conversation, il s’agit de ne « pas rompre l’harmonie » (GOFFMAN, 1987). Dans ce travail de critique des sources orales, la pragmatique du langage est centrale. Elle peut être facilitée grâce à des techniques sophistiquées de prise de son (TRAIMOND, 2008) et d’images. L’anthropologue, « augmenté » de ces techniques d’enregistrement des voix et des corps, est alors en mesure de retrouver et de restituer de façon exacte les façons de parler des locuteurs ainsi que les marques des circonstances qui ont contribué à leur expression. À partir de communications centrées sur l’examen de situations d’interlocution survenues lors d’une enquête anthropologique, il s’agira de questionner la mise en œuvre d’une enquête de terrain qui donne toute sa place aux outils de la pragmatique du langage. Comment enquêter sur le terrain sans ne rien perdre des formes du discours et du contexte d’énonciation ? Quelles nouvelles pratiques de recherche et nouveaux objets a suscités et continue de produire le tournant linguistique en anthropologie ? En quoi l’examen circonstancié du langage permetil de questionner quelques poncifs épistémologiques de l’anthropologie et de renouveler les façons de faire, mais aussi de dire, de la discipline ?

 

• AXE 4 : Circulations discursives sur le corps et la technologie S’il a toujours été fondamentalement utile de penser voire de dire l’existence et le quotidien des hommes avec la technique, il devient complexe de les envisager sans. La place du rapport corps/ technologie demeure toutefois très variable d’une culture et d’une époque à l’autre : que peut asserter à ce sujet une anthropologie discursive qui ancre le placement des corps et leur inscription dans les formes d’énonciation ? Ainsi, entre la vogue actuelle (surtout occidentale, à vrai dire) prophétisant ou invoquant quelque posthumanisme et l’expérience de corps douloureux, marqués et diminués, se mesure l’écart entre des conceptions contemporaines du rapport au corporel mais encore entre les discours susceptibles d’être tenus sur la morbidité comme sur la quête de dépassement. De même, la pensée d’une créativité alternative (initiée par DELEUZE & GUATTARI, FOUCAULT, HARAWAY, LATOUR ou PRECIADO) fondée sur la tolérance et le métissage, s’esquisse aussi autour des discours liés à l’hybridité (comme à son expérienciation) et leur confrontation aux normes de la recherche d’un corps parfait. Cet atelier se veut espace de rencontre entre disciplines questionnant sous l’angle des intrications du corps et des techniques, les fonctionnements discursifs et interactionnels mais aussi la production/ partage du sens d’expressions circulantes (par exemple, à quoi renvoient des expressions actuellement circulantes du type « Robot presque humain » ou les discours médiatiques, médicaux, industriels sur la notion d’« électrosensibilité » ?, etc.). On pourra aussi interroger les verbalisations sous lesquelles les acteurs sociaux expriment leur rapport réflexif aux machines et aux techniques (SUCHMAN, 1987 ; 2007) et problématiser les incidences méthodologiques de l’accès à ces traces discursives. Entre autres angles d’approche, il est possible de rendre compte des manifestations du corps et de la parole dans les environnements technologiques : on pense à la spécificité des voix radiophoniques, par exemple mais aussi aux formes plus ou moins émergentes de reconnaissance/synthèse vocale ou encore au lexique des technolectes et du corps au travail.