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L’epos à l’écran - interactions génériques entre littérature et cinéma

L’epos à l’écran - interactions génériques entre littérature et cinéma

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Saulo Neiva)

Journée d’études

L’epos à l’écran - interactions génériques entre littérature et cinéma

 

Lundi 25 novembre 2013

Maison des Sciences de l’Homme, s. 220

4 rue Ledru 63000 Clermont-Ferrand

 

Responsables scientifiques :

Saulo Neiva (Université Blaise Pascal Clermont II / CELIS EA1200)

Benjamin Thomas (Université de Strasbourg / ACCRA EA3402)

 

Comité scientifique :

Nathalie Bittinger (Université de Strasbourg / ACCRA EA3402)

Florence Goyet (Université Stendhal Grenoble 3 / R.A.RE EA3017)

Alain Montandon (CELIS / IUF)

 

Cette journée d’études se penchera sur les interactions entre les codes génériques de la poésie épique et les codes relatifs aux écritures cinématographiques. Elle relève du programme Dynamique des genres littéraires du CELIS EA1002 et prolonge notamment les réflexions qui y ont été menées sur les rapports entre épopée et modernité (Neiva, 2008, 2009a, 2009b). Plus précisément, nous souhaitons explorer les nombreuses contradictions qui relèvent des convergences entre les écritures cinématographiques et ce genre littéraire,  problématique indissociable de la pluralité d’acceptions que le terme « épique » apporte avec lui au cinéma.

Dans la Poétique, Aristote signale que l’épopée, compte tenu de son caractère narratif, peut « raconter plusieurs parties de l’histoire qui se réalisent simultanément » (1459b 26-27, trad. Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot), représentant ainsi des épisodes concomitants et différents. Si ce procédé ne peut que difficilement être utilisé dans la tragédie ­‑ qui, au lieu de faire le récit d’une action, est conçue pour être mise en scène, et qui « donne à voir » le personnage en action ‑ il contribue, dans le cas de l’épopée, à « accroître son étendue » (1459b 22) et à « [augmenter] l’ampleur du poème » (1459b 28). Il permet également d’étayer un élément caractéristique de l’épopée, que la critique mettra en avant par la suite : son aspect « fédérateur », d’un discours qui propose une réflexion sur le présent à travers une tentative de dire la totalité d’une époque ou d’un espace. Genre doté d’une capacité à représenter la simultanéité dont le drame semble être dénué, qui a pendant des siècles été perçu comme une « somme » de tous les autres, genre dont le caractère majestueux est étayé par le recours à un registre élevé ‑ le gravis stylus que la roue de Virgile associe à l’Énéide ‑, « l’épopée déploie la somptuosité d’une histoire et d’une imagerie, hypnotise un auditoire, assouvit l’avidité onirique d’une collectivité » (Madelénat, 1986 : 14). Elle est aussi, comme nous le rappelle Florence Goyet, un genre qui, en effectuant un récit du passé, permet de réfléchir à l’histoire sans faire appel aux concepts : l’épopée « pense […] en-dehors des concepts figés, et des a priori de l’époque, qui ne permettent pas de sortir de la confusion intellectuelle » (F. Goyet, in Neiva, 2008 : 332). Grâce à ce « travail épique », le récit que l’épopée fait du passé lui permet de réfléchir sur sa propre époque, ce genre exerçant donc à la fois la fonction de discours fondateur pour la communauté dont elle émerge et d’outil permettant de confronter « les visions du monde disponibles à son époque ».

Dès les années 1920, Ricciotto Canudo présente le cinématographe comme un médium capable de créer des « univers en miniature » (Canudo, 1995), en lui attribuant ainsi une dimension cosmogonique, que des théoriciens et des cinéastes, pour des raisons diverses, convoqueront par la suite. Sur un mode moins grandiloquent, plus précis, Christian Metz rappelle, à la fin des années 1960, que le cinéma, à travers son dispositif même – « ségrégation » forte entre espaces diégétique et spectatoriel, mais aussi entre la salle et le monde – permet au film de fiction de « se constituer en monde » (Metz, 2002). L’usage du langage cinématographique qui s’impose dès le milieu des années 1910 implique une tendance à ne pas entraver, voire à décupler cette puissance de « faire monde ». Avec D. W. Griffith notamment, y compris à travers la Naissance d’une nation (1915) ‑ à la fois première pierre du classicisme hollywoodien et fresque épique dont la coloration idéologique est explicite ‑, il s’agit de multiplier les points de vue, d’augmenter les virtualités du champ, de déployer pleinement le montage alterné, de faire en sorte que tout soit potentiellement visible. Le cinéma s’approprie ainsi en quelque sorte le dispositif de simultanéité qu’Aristote avait associé à l’épopée pour la distinguer du drame.

Mais le film narratif de fiction canonique développera cette potentialité de « faire monde » par le mode de l’« évidence » des codes d’un art (Bellour, 2002) – celui du cinéma hollywoodien classique ‑ tourné vers l’invisibilité de ses propres artifices, l’imperceptibilité du montage et des effets, la discrétion de l’auteur. Autrement dit, il s’agit de donner au monde qui se déploie devant l’objectif un caractère d’« objectivité ». C’est ainsi en somme que, pour s’approprier l’épique qui, mieux que le dramatique, correspondait à ses projets, le cinéma a laissé de côté l’une des caractéristiques importantes de l’épopée, puisque cette forme raconte et rappelle sans cesse qu’elle raconte, là où le film narratif de fiction canonique efface ses propres marques d’énonciation (Metz, 2003)…

Les epic films, dans la définition qu’en entérine le cinéma américain - films d’ampleur, narrant la trajectoire d’un héros ou d’une communauté qui se confond, d’une manière ou d’une autre, à l’édification d’un monde, ou prennent des accents mythologiques - sont comme des mises en abyme de ce projet visant à « faire monde » par le mode de l’évidence. Cette filmographie dialogue avec un imaginaire sur le passé historique fourni bien entendu par la poésie épique mais aussi par l’opéra, le théâtre, la peinture, le roman-feuilleton, le roman historique – et dont la pertinence archéologique et le souci de véracité en termes historiques sont souvent en tension directe avec les principes d’une vraisemblance faite de fantaisie, didactisme et divertissement. Nous avons ainsi affaire à une « Antiquité fantasmatique » (Aziza, 2008), dont les enjeux esthético-industriels sont indissociables de la portée idéologique.

Ce répertoire est constitué par les fameux « films à l’antique » du cinéma italien des premières décennies : c’est le cas bien sûr de Giovanni Pastrone, Cabiria (1914), où la collaboration avec D’Annunzio nous intéresse d’autant plus qu’à l’époque le poète composait également ses Chants de la guerre latine ; mais aussi, Filoteo Alberini, La Prise de Rome (1905), Carmine Gallone, Scipion l’Africain (1937).

Si ces films ont parfois recours, plus ou moins directement, à une réécriture d’épopées classiques, ils mettent alors en avant le choix de la thématique historico-mythologique, sans faire l’économie de l’aspect grandiose qui caractérise ce genre littéraire : Giuseppe di Liguoro, LInferno (1911) ; Manfred Noa, Hélène de Troie (1924) ; Alexander Korda, La Vie privée d’Hélène de Troie (1927) ; Mario Camerini, Ulysse (1954) ; Teinosuke Kinugasa, La Porte de l’enfer (1953) ; Kenji Mizoguchi, Le Héros sacrilège (1955) ; Robert Wise, Hélène de Troie (1956) ; Giorgio Rivalta, Conquérants Héroïques (1963) ; Peter Brook, Mahabharata (1991), Wolfgang Petersen, Troie (2004). C’est le cas également d’un cinéma qui, au long de décennies, continue de puiser ses trames dans les récits bibliques – Cecil B. DeMille, Les Dix Commandements (1923, puis 1956), Samson et Dalila (1949) ; Richard Fleischer, Barrabbas (1961) ; Martin Scorcese, La dernière Tentation du Christ (1988).

Un spectacle qui se doit de se renouveler d’un film à l’autre – nous avons ainsi un répertoire où paradoxalement la représentation du passé collectif est sans cesse associée à l’avènement de nombreuses nouveautés techniques : nous y trouverons le premier long-métrage de l’histoire du cinéma (Enrico Guazzoni, Quo Vadis, 1912), le premier travelling (Cabiria, 1914), le lancement du CinemaScope (La Tunique, d’Henry Koster, 1953), les débuts du VistaVision (Les Dix Commandements, 1956). Grâce à ces éléments, notamment dans les années 1950, cette production se différenciait clairement de la télévision (Russel, 2007 : 9), en rappelant ainsi au public la puissance du film à se constituer en monde, ce qu’il avait tendance à oublier à cause de la concurrence séductrice du petit écran.

Chez certains cinéastes cependant, dont l’esthétique ne partage pas la transparence des codes du film narratif de fiction canonique, cette représentation du passé collectif devient épique au sens où Brecht conçoit son « théâtre épique » : celui d’un drame accompagné de la narration, celui qui propose une représentation traversée par la distanciation et qui pousse le spectateur au questionnement et à la réflexion. Certains de ces cinéastes ne rechignent pas à citer Brecht, tels Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, revisitant en cinéma Antigone de Sophocle ou les personnages de Moïse et Aaron. Pasolini - qui a théorisé le « cinéma de poésie », un cinéma lyrico-subjectif - lorsqu’il revisite l’épopée, par exemple dans Médée (1969), le fait lui aussi à l’encontre du cinéma épique dans la lignée nord-américaine. C’est le cas également de Manoel de Oliveira, dont le dialogue avec Les Lusiades, dans Non, ou la vaine gloire de commander (1990), débouche sur un récit du passé national qui privilégie une perspective nettement critique. Songeons aussi au Mahabharata (1991), de Peter Brook, où la mise à l’écran de l’épopée classique constitue une sorte d’aboutissement d’un processus qui passe par la réécriture en prose qu’en a fait Jean-Claude Carrière et par la mise en scène théâtrale. Évoquons enfin le refus de la transparence des codes qui est présent dans les relectures burlesques des thèmes et textes épiques – depuis la parodie d’Intolérance de Griffith, dans Les Trois âges (1923) de Buster Keaton, jusqu’à l’aggiornamento de l’Odyssée auquel se livrent Joel et Ethan Coen dans O Brother, Where Art Thou? (2000).

Ces cas nous font comprendre qu’il y aurait deux lignées bien différentes résultant de la rencontre de l’epos et du cinéma, nous invitant à interroger la catégorie dont se satisfait la typologie hollywoodienne. En développant le dispositif de simultanéité caractéristique de l’épopée, ces différentes écritures cinématographiques proposent un traitement empathique des thèmes héroïques, des personnages d’ampleur et d’une esthétique « grandiose » ou, au contraire, les modulent par une mise à distance critique.

Bibliographie

AZIZA Claude (2008), Guide de l’Antiquité imaginaire. Roman, cinéma, bande dessinée, Paris, Les Belles Lettres.

BELLOUR Raymond (2002), « L’évidence et le code », dans L’Analyse du film, Paris, La Différence.

CANUDO Ricciotto (1995), L’Usine aux images, Paris, Seghers.

GOYET Florence (2006), Penser sans concepts : fonction de l’épopée guerrière, Paris, Honoré Champion.

MADELÉNAT Daniel (1986), L’épopée, Paris, Presses Universitaires de France.

METZ Christian (2002), Essais sur la signification au cinéma, Paris, Klincksieck.

METZ Christian (2003), Le Signifiant imaginaire, Paris, Bourgois, 2003.

NEIVA Saulo (2008), Déclin & confins de l’épopée au XIXe siècle, postface Florence Goyet, Tübingen, Gunter Narr, coll. « Études Littéraires Françaises », n° 73.

NEIVA Saulo (2009a), Désirs & débris d’épopée au XXe siècle, postface Daniel Madelénat, Berne, Peter Lang.

NEIVA Saulo (2009b), Avatares da epopeia na poesia brasileira do final do século XX, trad. Carmen Cacciacarro, préf. Ivan Teixeira, Recife, Massangana / Fundação Joaquim Nabuco.

RUSSELL James (2007), The Historical Epic and Contemporary Hollywood, New York-Londres, Continuum.

 

Propositions à envoyer avant le 14 juillet 2013 à eposecran@gmail.com :

brève présentation de la problématique (10 lignes) et note bio-bibliographique (5 lignes)