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L'énigmatique à la Renaissance : formes, significations, esthétique

L'énigmatique à la Renaissance : formes, significations, esthétique

Publié le par Olivier Guerrier

L'Association "Renaissance, Humanisme, Réforme" (RHR) organise un colloque sur

"L'énigmatique à la Renaissance : formes, significations, esthétique".

Date et lieu prévus : les 8, 9 et 10 Septembre 2005, à Lyon.

Esquisse de la problématique :

    Il paraît souhaitable d'ouvrir un champ d'investigations très large, et surtout étranger aux démarcations traditionnelles entre disciplines (car la question a trait à la philosophie et à l'exégèse aussi bien qu'à la littérature et aux arts, aux savoirs et langages ésotériques aussi bien qu'aux jeux de société) mais selon une visée assez précise pour que l'objet ne devienne pas protéiforme et finalement trop flou pour donner lieu à une véritable recherche. A cette fin, nous proposons que, par convention, le colloque ait trait non pas à ce qui est énigmatique (car tout, ou presque, peut être considéré comme tel), mais à ce qui est donné pour énigmatique dans les oeuvres littéraires, picturales, plastiques, philosophiques, théologiques ou scientifiques de la Renaissance, et dans les pratiques culturelles qui s'y rapportent. A quoi pourrait être ajouté ce qui a été notoirement tenu pour tel par le public de la même époque dans les oeuvres qui lui étaient alors présentées.
    La première tâche, et non la moindre, sera de répertorier, dans la mesure du possible, les indices de l'énigmatique, depuis les plus explicites (le terme d'"énigme" lui-même, ses dérivés et ses voisins sémantiques, du mystère à l'entend-trois) jusqu'aux plus discrets (l'anomalie graphique qui signale une anamorphose, l'élément insolite qui intrigue dans une représentation allégorique, l'illogisme qui fait postuler une signification seconde, sans la dévoiler). Il conviendrait de prendre en compte le cadre dans lequel s'inscrit l'objet à considérer : certains schémas narratifs (la "quête", le "songe"...) peuvent prescrire silencieusement une activité de décryptage. Cette prospection (qui pourrait être l'objet d'un travail collectif préliminaire au colloque) devrait permettre à la fois de préciser la notion et de déterminer ses fonctions et ses aspects divers ainsi que ses rapports avec les modes d'expression connexes.
    Il faudrait en effet définir les relations entre énigme et allégorie, entre énigme et "hiéroglyphe" (selon Colonna entre autres), entre énigme et emblème, entre énigme et ekphrasis de "merveille"... la liste est incomplète à dessein, de ces types d'expression qui ont partie liée avec l'énigme sans se confondre avec elle, de sorte que leurs analogies sont aussi significatives que leurs différences. Il serait bon aussi de repérer quelques territoires privilégiés de l'énigme : les savoirs ésotériques sans doute, et les spéculations scientifiques modelées sur eux, mais aussi l'exégèse orthodoxe ou hasardeuse des "figuratifs" (per speculum in ænigmate), les répertoires de pédagogie populaire (les devinettes), les codes de groupes sociaux accessibles par initiation (place des énigmes dans les divertissements de cour)... Cela pourrait donner les moyens de s'interroger sur la concurrence possible entre les virtualités ludiques de l'énigme (jusqu'à la mystification) et ses fonctions hiératiques (langage des mystères de toute espèce, déroutant le profane et confirmant l'initié), sans négliger les cas (les plus intéressants peut-être) où le partage est indécis.
    Avec cette distinction pourrait se combiner l'opposition entre deux façons de percevoir l'énigme : comme menace (de non-sens, ou d'inaccessibilité fonctionnant comme un interdit signifié au profane) et comme promesse (de "plus haut sens", ou de plaisir intellectuel de la découverte, proposé à qui jouera le jeu). La question ne se pose pas seulement pour la réception des formes énigmatiques par un public averti ou naïf ; elle peut concerner la transmission ou même l'élaboration des énigmes, qui ne présupposent pas nécessairement la maîtrise totale de l'opération : peuvent être tenues pour énigmatiques et privilégiées en raison même de leur obscurité des configurations héritées de cultures lointaines dans le temps ou l'espace, dont le sens originel n'est plus clairement perçu par ceux-là mêmes qui les mettent en oeuvre.
    Il serait aussi utile d'esquisser une typologie des langages énigmatiques, à répartir selon les obstacles qu'ils présentent au déchiffrement : obscurité par défaut (une partie du message est escamotée ou faussée) ou par excès (significations parasitaires, brouillant les traits) ; polysémie réelle (lorsque l'énigme comporte effectivement plusieurs significations concurrentes, avec invitation à s'interroger sur leurs points de croisement) ou fallacieuse (lorsqu'une seule est entièrement vérifiée). Autres distinctions également efficaces : entre une conception extensive de l'énigme, qui lui reconnaîtrait la propriété de ménager des suspens dans le texte pour l'ouvrir sur une prolifération de sens possibles, et une conception restrictive (celle que retiennent les traités de rhétorique et de poétique, comme les prétendus systèmes de déchiffrement des figures hiéroglyphiques), qui l'enferme dans la formulation d'une question indiquant obliquement tous les éléments nécessaires à la réponse (fonctionnant comme interprétants). Plus large encore, serait pertinente à la plupart des champs d'investigations l'opposition entre forme close (le scripteur connaît la solution et agence méthodiquement les indices et les agents brouilleurs en une "stéganographie" ; la solution est alors réductrice) et forme ouverte (l'invite au déchiffrement n'implique pas une connaissance préalable du sens supposé encodé dans les données représentées ; la solution est expansive).
    En deçà de ces analyses descriptives, et sur un plan différent, il serait utile de s'interroger sur ce que signifie le décalage, caractéristique de l'énigme, entre significations immédiatement lisibles et significations à déchiffrer : ce qui pourrait conduire à établir des rapports entre ce dispositif et l'esthétique maniériste (dans la mesure où celle-ci problématise les processus d'accueil aussi bien que d'élaboration) ainsi qu'à examiner les emplois de l'expression énigmatique pour les communications confidentielles (avec procédés de codage et de décodage) et pour les méditations sur l'inexprimable (dans la spiritualité chrétienne, judaïque ou néo-platonicienne). Il faudrait examiner selon cette perspective les pratiques propres à favoriser la production ou la lecture des oeuvres énigmatiques : développement et ambitions de la glose humaniste, techniques nouvelles de figuration et de composition, problèmes des relations ou interférences entre les arts, divulgation et distorsion de symboles codifiés (dans la lecture des mythes et de leurs représentations picturales) etc.
    Ces remarques trop formelles ne tendent qu'à préciser l'objet du colloque. Elles ne limitent en rien les investigations sur les arrière-plans historiques des oeuvres et pratiques à étudier, sur leurs sens et sur les ambitions dont elles témoignent ; si ces dernières questions, les plus importantes sans doute, ne sont pas abordés ici, c'est qu'il paraît difficile et peut-être nocif, d'en traiter par cosidérations générales. Tout au plus semble-t-il possible de souhaiter qu'à leur propos soient dégagés les traits qui ressortiraient spécialement à "la culture de la Renaissance" ; car la catégorie de "l'énigmatique" se retrouve à toutes les époques et dans toutes les cultures, et nos travaux ne seront pleinement justifiés que s'ils font apparaître ce qui singularise à cet égard le champ de recherche la culture européenne, du milieu du XVe siècle au début du XVIIe dont nous nous occupons.