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L'écrivain journaliste : jeu d'interactions et d'influences réciproques entre la littérature et la presse (Sfax, Tunisie)

L'écrivain journaliste : jeu d'interactions et d'influences réciproques entre la littérature et la presse (Sfax, Tunisie)

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Mustapha Trabelsi)

Université de Sfax (Tunisie)

Faculté des Lettres et Sciences Humaines

Laboratoire de Recherche Interdisciplinaire en Discours, Art, Musique et Economie

(LARIDIAME, LR18ES23)

Colloque international

Appel à communications

L’écrivain journaliste : jeu d’interactions et d’influences réciproques entre

 la littérature et la presse

Les 4, 5 et 6  février  2021

 

Depuis le début du XIX e  siècle, quasiment tous les auteurs sont hybrides. Ils sont à la fois journalistes et écrivains. En fait, Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Guy de Maupassant, Georges Simenon, Henri Calet, François Mauriac, Albert Camus, Amine Maalouf, Kamel Daoud, etc. ont cherché, pour certains tout au long de leur existence, à gagner leur vie grâce à leur collaboration avec des revues et des quotidiens. En effet, «dans l’état nouveau issu de la Révolution, l’écrivain n’est plus, comme le signale Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, cet aristocrate doté de revenus qui lui permettraient de vivre. […] Sans ressources autres que son travail, l’écrivain trouve dans le journal un exutoire naturel. » (L’écrivain-journaliste au XIXe siècle : un mutant des Lettres, Saint-Étienne, Éditions des Cahiers intempestifs, Collection Lieux littéraires/6, 2003, p. 7). Certes, certains auteurs rejettent ce nouveau moyen de communication qu’ils considèrent éphémère, peu fiable, peu noble. Tel le cas de Flaubert qui affirme « Oui, j’ai un dégoût profond du journal, c’est-à-dire de l’éphémère, du passager, de ce qui est important aujourd’hui et de ce qui ne le sera pas demain. » (À Louise Colet, 26 août 1846). Il dit encore : « Le journalisme ne vous mènera à rien, qu'à vous empêcher de faire de longues œuvres et de longues études. Prenez garde à lui. C'est un abîme qui a dévoré les plus fortes organisations. » (À Mlle Leroyer de Chantepie, 1er mars 1858). D’autres auteurs, comme Stéphane Mallarmé ou Élémir Bourges, partagent ce point de vue : « Le journalisme est le bubon de la littérature » (Élémir Bourges, Le Mercure de France, décembre 1927). Camus déclare lui-aussi : « Je n’ai donc jamais été satisfait de mes travaux de journaliste : 1) parce qu’ils exigent une rapidité d’exécution qui me gêne toujours et qui implique pour moi l’impossibilité à peu près constante de revoir ma pensée […] (Albert Camus éditorialiste à l’Express, p. 193). Cependant, l’attitude de ces écrivains envers la presse peut évoluer. Flaubert n’hésite pas à affirmer avec enthousiasme vingt ans plus tard : « Il y a des jours où je brûle d'être journaliste, pour épancher ma bile, ou plutôt pour dire ce qui me semble la justice. » (A sa nièce Caroline, 30 octobre 1873).

 

En fait, le journal a offert aux écrivains un moyen de diffusion de leurs œuvres leur permettant  ainsi de toucher aisément le grand public. De plus, confrontés à l’actualité, aux événements, les auteurs expriment librement, dans leurs articles, leur point de vue envers les questions qui agitent la société. Ils se métamorphosent en sociologues, en critiques littéraires, en penseurs et intellectuels engagés. Emile Zola nous offre un bel exemple du journaliste moderne. Son article « J’accuse », publié le 13 janvier 1898, en première page du journal L’Aurore sur six colonnes à la une, révèle l’injustice subie par le capitaine Alfred  Dreyfus accusé de haute trahison. Zola le journaliste emprunte à la littérature ses moyens d’action poétique et rhétorique et ses effets ; il met ainsi sa plume de romancier au service de son combat contre l’iniquité, l’intolérance et contre la terrible machine judiciaire. L’analyse des liens qui se tissent entre l’écriture littéraire et l’écriture journalistique chez un même écrivain, le chassé-croisé qui articule journalisme et création littéraire constituent un champ d’analyse  intéressant et peu exploré. C’est pourquoi les chercheurs ne sont pas conviés, dans le cadre de notre colloque, à s’intéresser uniquement aux textes journalistiques des écrivains. Le nombre des travaux et des thèses qui leur est consacré est considérable. Citons, à titre d’exemple, Roland Chollet, Balzac journaliste, le tournant de 1830,  Classiques Garnier, 2016,  Michel Brix, Nerval journaliste "1826- 1851" : Problématique. Méthodes d'attribution, Presses universitaires de Namur, 1986, Gérard Delaisement, Guy de Maupassant, journaliste et chroniqueur, Éditions Albin Michel, 1956, Maria Santos-Sainz, Albert Camus journaliste, Reporter à Alger, éditorialiste à Paris. Essai, Editions Apogée, 2019, etc.

L’apport de ces études est important ; elles ont permis, grâces aux diverses approches adoptées, de mieux connaître les œuvres journalistiques des écrivains du XIX e et du XX e siècle, d’analyser leurs contenus, leurs formes  et leurs esthétiques et de  découvrir l’importance du  rôle des écrivains journalistes dans la multiplication des revues et des quotidiens et dans le développement des diverses rubriques (reportages, chroniques, critique d’art, études de mœurs, débats politiques ou éthiques, etc.).

Ce colloque n’a pas donc pour but de reprendre les résultats de ces recherches, ni de réexaminer les divers itinéraires journalistiques  des écrivains, il se propose plutôt d’explorer le jeu d’interactions et d’influences réciproques entre la littérature et la presse et d’analyser les transferts et surtout la circulation des pratiques journalistiques vers les œuvres narratives, poétiques et dramaturgiques et des pratiques littéraires vers les écrits de presse. Jean-Yves Guérin, dans « Jalons pour une lecture politique de La    Peste », a souligné les interférences entre Ni victimes Ni bourreaux et le récit de Tarrou. Jacqueline Levi-Valensi, dans son commentaire de La Peste, a montré que la consonance de la pensée entre Combat et l’œuvre littéraire s’exprime en des formulations soit en écho, soit quasi identiques (cité par Marie-Louise Audin, « Camus : journaliste-écrivain ? », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 1996, N°48, p. 143)

En effet, les textes journalistiques des écrivains sont contaminés par la littérature. Ils développent «  un style mosaïque  reposant sur une prédilection pour l’anecdote fictionnalisée, et davantage encore pour la conversation, le dialogue. » (Marie-Eve Thérenty, La littérature au quotidien, poétique journalistique au XIX e siècle, Seuil, 2007, p. 242). Les chroniques sont ainsi traversées par des fragments narratifs, des dialogues, des anecdotes, des apologues, des  souvenirs, des descriptions  de paysages ou de personnages (« La vie d’un paysagiste », « Tunis », « « Alger à vol d’oiseau » de Maupassant, « Chroniques algériennes » de Camus). La chronique ne peut pas être du coup considérée comme un sous–genre journalistique marginalisée, elle se présente comme une œuvre littéraire et comme « comme un creuset générique, où l’auteur mêle et condense des formes de discours et des types de textuels variés. » (Denis Labouret, « La chronique de presse selon Giono : un genre antimoderne ? »,  dans La Chronique journalistique des écrivains "1880-2000", direction A. Schaffner et B. Curatolo, Éditions Universitaires de Dijon, collection « Écritures », 2010, p. 95).

De même, les œuvres littéraires sont contaminées par les textes journalistiques. Plusieurs écrivains exploitent  les faits divers publiés dans les quotidiens et les exploitent dans leurs récits  soit comme une riche matière narrative (Madame Bovary  de Flaubert), soit comme un modèle d’écriture à imiter (le roman feuilleton), soit comme un fait social réaliste à signaler (Gustave Geffroy, L'Apprentie). Au XXIe siècle, Régis Jauffret  va encore plus loin dans la narrativisation des faits divers : Sévère (2010) est inspiré de l’affaire d’Édouard Stern assassiné par sa maîtresse alors que les aventures de Dominique Strauss-Kahn  sont à l’origine  de Ballade de Rikers Island (2013). Un écrivain ne peut pas  publier  pendant plusieurs années dans un journal sans être influencé par le contenu et la forme imposée par ce support. Les récits brefs  sont inscrits dans un réseau d’échos avec des drames violents, des évènements exceptionnels, des polémiques et des faits divers évoqués à la même page du quotidien.

Mieux encore, la presse n’a pas uniquement un effet sur le contenu narratif, mais également sur les modes d’écriture adoptés. Manifestement, la brièveté est liée à l’implication des écrivains dans le champ journalistique. N’ayant pas eu la possibilité d’occuper à leur guise l’espace du journal, ils sont  conduits à se plier au nombre de colonnes qui leur sont imparties. Rien d’étonnant dès lors à ce que la presse soit, pour Daudet, Maupassant, Gautier et bien d’autres écrivains un laboratoire, un espace idéal d’expérimentation et d’apprentissage de l’art d’écrire. C’est là qu’ils ont acquis les divers modes d’écriture brève. C’est là aussi qu’ils se sont adaptés à l’exigence du resserrement de la matière narrative et à l’obligation d’aller à l’essentiel.

La presse a également permis la naissance de nouveaux genres au XIX e siècle : le roman feuilleton, le poème en prose, le roman policier et elle a entraîné un bouleversement des modes d’écriture et de lecture traditionnels.  Si certains écrivains utilisent la littérature comme une redoutable arme afin de « déconstruire la machine journalistique, son écriture, son idéologie » (Marie-Eve Thérenty, La littérature au quotidien, poétique journalistique au XIX e siècle, Seuil, 2007, p. 243-244), d’autres écrivains utilisent la presse pour bouleverser les certitudes génériques des lecteurs. Certains récits brefs s’avèrent ambigus : ils sont considérés par des critiques comme des contes et par d’autres comme des chroniques journalistiques. « Un drame vrai » de Maupassant est considéré par Louis Forestier comme un conte et il l’intègre au tome II des Contes et nouvelles de la Pléiade alors que d’autres éditeurs identifient ce texte comme une chronique.

 Nous voudrions, à l'occasion de ce colloque,  mettre en perspective les diverses représentations des liens entre la littérature et la presse. Quels sont les effets de la pratique journalistique sur la créatique littéraire et de l’écriture littéraire sur les frontières entre ces deux formes de publication.. Dans quelle mesure le journal est-il un espace idéal d’invention artistique ? En quoi est-il un laboratoire de création littéraire ? Le journaliste et l’écrivain coexistent-ils chez le même auteur ou sont-ils amenés à se confronter ? L’écriture littéraire peut-elle échapper à l’écriture journalistique ? Quels sont les effets des nouveaux moyens d’information sur la création artistique ? Le grand progrès dans le domaine du  numérique permet-il une libération des auteurs de l’édition traditionnelle ?  Aboutit-il à une  facilité  d’accès aux livres et  à une utilisation au gré de chacun des œuvres mises en ligne ?   Permet-il la naissance de nouveaux modes d’écriture et de réception des œuvres littéraire ?

Les propositions de communication, d’environ une demi page, (titre et résumé) accompagnées d'une courte notice biographique sont à envoyer uniquement par voie électronique avant le 30/07/2020, aux deux adresses suivantes :

ecrivainjournaliste20@gmail.com

benarselene@gmail.com

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Les frais de participation pour les étrangers seront de 80 euros, ou leur équivalent en dinars tunisiens. Les participants tunisiens seront redevables de 120 dinars. 

- L’hébergement : La réservation à l’hôtel pour les chercheurs tunisiens et étrangers  sera assurée par le comité d’organisation. Mais le payement sera effectué à l’hôtel par les participants tunisiens et étrangers eux-mêmes.

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Quelques repères bibliographiques :

  • L’Écrivain journaliste, Littératures contemporaines, n° 6, Paris, Klincksieck, 1989.
  • Marc Angenot, « La Chose imprimée contre le livre », Romantisme, juin 1964.
  • Paul  Aron  (direction), Les écrivains journalistesTextyles, n° 39, 2010.
  • Myriam Boucharene, L’Ecrivain-reporter au cœur des années trente, Presses Universitaires du Septentrion, 2004.
  • Curatolo Bruno et Alain Schaffner (direction), La Chronique journalistique des écrivains (1880-2000),  Editions Universitaires de Dijon, Collection Ecritures, 2010.
  • Christophe Charle, Le Siècle de la presse, 1830-1939,  Seuil, 2004.
  • Gilles Feyel, La Presse en France des origines à 1944, Histoire politique et matérielle, Ellipses, 1999.
  • Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty, Alain Vaillant, (direction), La civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au xixsiècle, Paris, Nouveau Monde Éd., coll. Opus Magnum, 2011, 1760 p.
  • Laurent  Martin, La Presse écrite en France au XXe siècle, Paris, Livre de Poche, 2006.
  • Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, L’Écrivain-journaliste au XIXe siècle : un mutant des Lettres, Saint-Étienne, Éditions des Cahiers intempestifs, Collection Lieux littéraires/6, 2003.
  • Marie-Eve Thérenty, La Littérature au quotidien, poétique journalistique au XIX e siècle, Seuil, 2007.
  • Marie-Ève Thérenty, Mosaïques : être écrivain entre presse et roman (1829-1836), Champion, 2003.
  • Marie-Ève Thérenty, «Presse et littérature au XIXe siècle. Dix ans de recherche. Bibliographie», COnTEXTES [En ligne], 2012.
  • Marie-Ève Thérenty, Femmes de presse, femmes de lettres de Delphine Girardin à Florence Aubenas, CNRS Editions, 2019.
  • Presse, nations et mondialisation au XIXe siècle, sous la direction de Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, Nouveau Monde éditions, 2010.
  • Presse et Plumes. Journalisme et littérature au XIXe siècle, sous la direction de Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, Paris, Nouveau Monde éditions, 2004.

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Comité scientifique:

Badreddine Ben Henda, Mohamed Chagraoui, Arbi Dhifaoui, Sonia Fitouri-Zlitni, Kamel Gaha, Pierre Garrigues, Sana Ghouati, Monia kallel, Foued Laroussi, Kamel Skander, Abderrahman Tenkoul, Marie-Ève Thérenty, Mustapha Trabelsi et Naima Tlili.

Comité d’organisation :

Ons Affes, Arselène Ben Farhat, Taieb Haj Sassi, Inès Hamed, Sonia Meziou, Zouhour Barkallah Rebai, Mouna Sassi, Mohamed Amin Kacem.

Calendrier

30/ 07/ 2020 : réception des propositions de communication
30/ 09/ 2020 : notification aux auteurs
Les  4, 5 et  6   février  2021 : Colloque international

Juin 2022 : publication

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Responsables : Arselène Ben Farhat et Mustapha Trabelsi

Laboratoire de Recherche Interdisciplinaire en Discours, Art, Musique et Economie (LARIDIAME)

Adresse :   Faculté des Lettres et Sciences Humaines - Sfax (Tunisie)