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L’école linguistique de Genève

L’école linguistique de Genève

Publié le par Marc Escola (Source : C. Puech/C.Forel)

 

 

L’école linguistique de Genève

Responsables Scientifiques : C. Forel et C. Puech

 

 

Jeudi 25 juillet  

10h15 -10h30

 C. Forel et C. Puech : accueil / présentation.

 

I. Une école en elle-même et hors d’elle même?

(Présidence : K. Velmezova).

 

10h30-11h

Christian Puech.

(Sorbonne nouvelle Paris 3, UMR 7597 « histoire des théories linguistiques »,  Cercle F. de Saussure de Genève).

Ouverture. La notion ‘d’école linguistique’ : unité, singularité, pluralité.

La notion d’école linguistique qui pré-suppose la pluralité est paradoxale.

Au XX° siècle, son usage statistiquement important est contemporain de l’unification (au moins projetée) des principes de description des langues. C’était là le thème imposé du premier Congrès International des Linguistes tenus à La Haye en 1928, et au cours duquel, justement, « l’Ecole de Prague » se fit reconnaître en tant que telle.

Copenhague, New-york (dans une certaine mesure) suivirent. Leipzig précéda (de peu) avec l’école néo-grammairienne. Si l’on parle d’Ecole de Paris, c’est de manière plus discrète pour désigner rétrospectivement de jeunes chercheurs regroupés autour de la Société Linguistique de Paris et de M. Bréal et ayant, pour la plupart, suivi les enseignements de ferdinand de Saussure à l’E. P. H. E. Quant à Genève, cet atelier devrait permettre de préciser, sinon les traits d’une école, du moins les paramètres d’un regoupement possible.

Entre unité et pluralité, l’école de Genève désigne sans doute une unité de lieu (mais quelques contributions suggèrent des expansions géographiques possibles), une unité de temps ( mais laquelle ?), une unité de doctrine ( ?), la référence commune à un père fondateur propre à toute école de pensée (jusquà quel point ?).

Ce sera l’enjeu de cet atelier de déterminer plus précisément dans quel mesure, jusqu’à quel point et de quelle manière une école de linguistique est une école au sens où l’on parle d’école esthétique, caractérisée par un « style », d’école de pensée religieuse, caractérisée par un dogme et une othodoxie, une école philosophique, caractérisée par une doctrine et un fondateur. Y a-t-il des écoles scientifiques en physique, en chimie, en mathématiques …? Quelles relations entretient la notion d’école avec celle – tellement galvaudée - de paradigme ? Quels liens le développement des sciences du langage entretient-il avec un lieu, une doctrine, un fondateur ? Hier. Et aujourd’hui ?

 

11h-11h30

Didier  Samain.

(Université Denis Diderot, UMR 7597 « Histoire des théories linguistiques »). 

Portrait de Saussure en jeune grammairien

La place de Saussure dans l’imaginaire linguistique francophone, associée aux clichés propagés par Meillet sur la « linguistique allemande », ont parfois conduit à sous-estimer ce que le linguiste genevois partage avec ses maîtres de Leipzig. Cette proximité est bien sûr directement visible dans le cas du Mémoire, où Saussureapparaît comme un néogrammairien exceptionnellement doué, poursuivant la dématérialisation du phonème entamée par Osthoff, et en discussion critique avec les savants de son temps. Mais il arrive en revanche qu’on oublie que la plupart des thèses du CLG — concernant le statut du système en synchronie, la défense d’une conception strictement non finaliste de l’évolution, mais aussi une conception sociale de la langue, une approche différentielle du signe, etc. — se retrouvent chez les « néogrammairiens ». Ajoutons que, parallèlement à leurs travaux proprement descriptifs, ces derniers furent aussi les auteurs de textes-manifestes dont le caractère programmatique n’est pas sans évoquer le ton du CLG. On se propose donc de documenter rapidement cette filiation de Leipzig à Genève.

 

 

11h30 -12h

Dan Savatovky. (Université Sorbonne nouvelle Paris 3, Umr 7597 « Histoire des théories linguistiques »):

L’école de Genève avant l’Ecole de Genève

Lors du 10e congrès des orientalistes, qui s’est tenu à Genève en 1894 et où Saussure assurait – avec Paul Oltramare - les tâches de secrétaire du comité d’organisation, Michel Bréal évoque l’existence d’une «  École genevoise de linguistique » (voir Redard, 1982, p. 1), la première (?), par conséquent. On s’attachera à tracer les contours de cette école, puis on s’interrogera de façon plus large sur les conditions auxquelles des savants réunis autour des mêmes visées scientifiques et/ou des mêmes stratégies de carrière doivent souscrire, fin XIXe- début XXe siècle, pour constituer une « École » de linguistes.

Références

Actes du 10e Congrès international des orientalistes. Session de Genève – 1894, E. J. Brill, Leyde, 1897.

Redard, Georges, «Charles Bally disciple de Ferdinand de Saussure», Cahiers Ferdinand de Saussure 36, 1982, pp. 1-24.

Savatovsky, Dan, « Comment faire École ? Saussure à Paris, II », Cahiers Ferdinand de Saussure 56, 2003/2004, pp. 311-329

 

12h – 12h30

 Giuseppe D’Ottavi: (Université de la Calabre / Institut des Textes et Manuscrits Modernes, Paris). 

Aux sources d’une école ; notes du maître et cahiers d’étudiants

Selon le paradoxe notoire, Charles Bally et Albert Sechehaye n’ont pas suivi les cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure, le coup d’envoi idéal de l’École de Genève, de laquelle ils se présentent comme les premiers témoins.

Bally et Sechehaye ont, en revanche, fréquenté les divers cours donnés par Saussure en tant que professeur d’histoire et de comparaison des langues indo-européennes et de sanscrit.

Notre hypothèse de travail se fonde sur deux prémisses : des vues générales sur le langage se cachent dans et se diffusent à travers la pratique de l’enseignement des disciplines linguistiques singulières et spécialisées, et les notes préparatoires aux cours et les cahiers d’étudiants représentent le précipité analysable de leur émergence d’une part, et de leur transmission et réception de l’autre.

Nous nous proposons ainsi de revenir sur les bancs et de retracer le développement des grands thèmes de la linguistique genevoise à travers l’observation de matériaux manuscrits, dans l’intention de fournir un complément à la définition de l’histoire et de la cartographie de l’École linguistique de Genève. La prise en compte et l’analyse des notes manuscrites de ses exposants – en tant que maîtres et disciples – pourra permettre, en outre, de jeter un regard sur ce genre particulier de documents et d’en dresser une typologie.

 

(Suite de la première partie. Présidence C. Forel).

 

16h30 – 17h

Claudia Stancati. (Université de Calabre)  :

Entre unité et pluralité

À l’époque de Saussure la question de la classification des sciences est centrale et la place de la linguistique fait l’objet des réflexions des linguistes  à partir de Ferdinand de Saussure pour qui  la tâche de la linguistique est celle de se délimiter et de se définir elle-même en dessinant en particulier les "limites" qui la distinguent irréductiblement des autres sciences. Cette préoccupation est manifeste au début de l’édition que Bally et Séchehaye nous ont donné du Cours de linguistique générale c’est-à-dire du texte qui a construit la grille théorique qui agit comme une sorte de cadre implicite pour les études linguistiques du vingtième siècle, même chez les auteurs qui ont quitté ses méthodes et son objet et dont  l'appareillage technique est totalement différent.

Le thème sur lequel on se propose de vérifier l’unité de l’école de Genève et ses rapports avec Saussure est celle de la définition de la linguistique et de son paradigme et de la collocation de la linguistique dans les classification des sciences, questions centrales à cette époque mais qui conserve une importance même aujourd’hui, alors que que les sciences du langages sont déclinées au pluriel.

Le programme consistant à désigner le domaine de cette nouvelle science générale du langage semble être affiché dans tous les textes des maîtres de l’École de Genève, au moins de la génération qui accompagne ou qui

 

suit de près l’enseignement saussurien. Dans quelle mesure cette idée de délimitation d’un champ pour la linguistique a-t-elle été appliquée jusque au bout par Bally, par Séchehaye, par Frei ou par Meillet ?

Il me semble que les travaux des membres de l’École de Genève portent plutôt sur les liens que la linguistique entretient avec les autres sciences qui s’occupent des langues ou du langage. Ainsi ils sont amenés a étudier les rapports de la linguistique avec la sociologie, la psychologie sociale, l’anthropologie, la philologie, etc. et à multiplier les perspectives sur l’objet en reliant la langue saussurienne à d’autre phénomènes. Si la définition de la linguistique générale suit souvent de près celle dessinée par Saussure, et suit les ‘coupures’ que le fondateur indique, les membres de l’École ont fini par chercher tour à tour ce qui unit certaines disciplines à la linguistique plutôt que ce qui les sépare.

Finalement cette multiplicité a trouvé sa réalisation dans l’histoire qui a formé une sorte «’d’unité paradoxale’. À partir de l’époque où Saussure y enseigne, et  pendant presqu’un siècle, Genève a été l’un des centres majeurs pour l’étude du langage dans toutes ses formes : en tant que système sémiologique, en tant que langue écrite et littérature, en tant que fondement de la cognition humaine, en tant que modèle des réalités symboliques, des structures de signification que les acteurs sociaux construisent et partagent entre eux. Le langage est ainsi un objet majeur du travail et des intérêts de recherches non seulement de l’École linguistique de Genève, mais des  autres écoles  qui ont travaillé à Genève au XXème siècle.

 

17h – 17h30.

Proposition de discussion : Qu’est-ce qu’un fondateur ? Une doctrine linguistique? En quoi la linguistique générale esquissée dans le Cours où dans les cours où dans les prémices des cours de Saussure était-elle à même de fédérer ?

 

II. Identité et décentrement de l’Ecole de genève.

(Présidence C. Forel).

 

17h30- 18h

Pierre-Yves Testenoire (Sorbonne nouvelle Paris 3) :

 L’Ecole de Genève vue de la Société Linguistique de Paris.

La présente proposition entend contribuer à la réflexion sur les caractéristiques de l’école linguistique de Genève, par le biais d’un regard extérieur. C’est en effet depuis la Société de Linguistique et de Paris et de son organe, le Bulletin de la SLP, que nous nous proposons d’observer la linguistique genevoise de la première moitié du XXe siècle.

La Société de Linguistique de Paris et l’école de Genève ont évidemment partie liée. Elles partagent de nombreux postulats et un héritage commun, quoique plurivoque : l’enseignement saussurien. Les points de contact et les passerelles entre les deux écoles ne manquent pas : Charles Bally et Albert Séchehaye sont membres de la SLP, le romaniste Jules Ronjat, proche de Maurice Grammont, est privat-docent à Genève. Reconnait-on pour autant, au sein de la Société de linguistique de Paris, une spécificité ou une cohérence propre à l’approche linguistique développée à Genève ? Y a-t-il entre les élèves directs et indirects de Saussure à Paris et ses disciples genevois le constat de différences, de désaccords ?

La méthode retenue pour apporter à ces questions des éléments de réponses reposera sur un dépouillement des Bulletins de la Société de Linguistique de Paris et tout particulièrement de sa section de comptes rendus. La période considérée couvrira grosso modo l’entre-deux guerres ; elle ira de 1913, date de la mort de F. de Saussure dont le Congrès célèbre le centenaire, jusqu’aux années 1940-1941, qui voient la suspension des activités de la Société de Linguistique de Paris et la création de la Société Genevoise de Linguistique et de sa revue, les Cahiers Ferdinand de Saussure. Jusqu’à cette date, qui semble marquer une autonomisation, tout du moins institutionnelle de l’école de Genève, il s’agira d’observer les modalités de réception par la SLP des travaux des linguistes genevois. Sans prétendre à l’exhaustivité, on s’attachera à déterminer si, quand, et selon quels traits, se dessine la perception d’une linguistique spécifiquement genevoise. C’est l’étude de la formation de ce regard porté sur l’école de Genève par une Société, qui en est à la fois distincte et constitutive, que nous soumettons à la discussion dans le cadre de cet atelier.

 

 

 

 

18h – 18h30

Lorenzo Cigana  (Université de Calabre).

The linguistic crucible : the role of the 2ème Congrès International des Linguistes (Genève) in Hjelmselv’s glossematic.

In describing the so-called “linguistique des cercles” we can probably employ just the linguistic metaphor of a “correlative system”: a unitary theoretical structure –the common development of a “general linguistics” – which could be broken down into differential components, the different historical trends between Prague, Geneva, Copenhagen, Paris. In Hjelmslevian Glossematics we may find a theme which plays the double role of differentiating Copenhagen’s approach to general linguistics from others models (for instance: functionalism, phonology) and of constituting a “glossematic school” whose existence is in our opinion barely recognized by historiographical reconstruction: the distributive laws underneath the linguistic correlative system of opposition are quite a distinctive feature of Glossematics and were adopted in many grammatical descriptions by other scholars besides Hjelmslev (Hans Christian Sørensen, Jens Holt, Knud Togeby, Hans Jørgen Uldall, Una Canger). In the elaboration of this model, Hjelmslev explicitly quotes the decisive contribution given in particular by Karcevsky, but we could probably extend this “informal” (and, in some cases, indirect) support to other members of both Prague and Geneva. It seems that the “linguistique des cercles” plays a role quite fundamental in setting the conditions for the autonomous theoretical trend taken by  Copenhaguen’s linguistic in respects of others approaches.

References

L. T. Hjelmslev, «Structure générale des corrélations linguistiques» , Travaux du Cercle Linguistique de Copenhague, XIV (1933), pp. 57-98.

Actes du Deuxième Congrès International de Linguistes - Genève, 25-29 Aout 1931, Paris, Maisonneuve, 1933.

 

 

Vendredi 26 juillet   

 

II. Identité et décentrements de l’Ecole de Genève (suite): thèmes, membres, visibilité.

(Présidence P. Y. Testenoire)

 

10h30 – 11h

Valéry Kouznetzov

(Université de Moscou, Cercle Ferdinand de Saussure).

 Les débuts de l’œuvre scientifique de Louis Hjelmslev

Le premier grand ouvrage de L. Hjelmslev «Principes de grammaire générale» (1928)  a  été  écrit en français pendant son séjour à Paris (1926-1927)  où  il  fréquentait les cours de A. Meillet et de J. Vendryes. Hjelmslev portait  un  intérêt particulier pour les idées des autres linguistes français et suisses – successeurs de F.de Saussure : M. Grammont et surtout A. Sechehaye. E. Fisher-Jørgensen a écrit que  L. Hjelmslev avait gardé toute sa vie l`amour de la langue et de la culture française et était resté attaché aux idées  de la linguistique française.

Le choix du thème de l`ouvrage a été motivé par les tentatives de la linguistique du début du XX-e siècle de mettre au point une théorie de la langue qui traiterait son objet en de manière autonome (F. de Saussure, A. Sechehaye, O. Jespersen). Le titre même de l`ouvrage témoigne que son auteur s`est inspiré  des grammaires universelles françaises des XVII-XVIII siècles.      

Après Saussure qui appelait grammaire «la description d`un état de langue»,  Hjelmslev pensait que la grammaire ne pouvait être que synchronique. Comme Saussure, il niait la grammaire historique. Il s`associait au point de vue de Ch. Bally selon lequel l`évolution d`un fait de grammaire s`explique par des oppositions synchroniques lors les différentes phases de son évolution.

Hjelmslev croyait que les résultats des recherches synchroniques pourraient contribuer aux études diachroniques. La justesse de ces idées peut être illustrée  par l`hypothèse de H. Frei selon laquelle l`apparition des pronoms indéfinis dans les différentes langues est due à la transposition des pronoms interrogatifs  lors  du fonctionnement de la langue. La méthode de recherche de Frei était basée  sur le transfert des faits synchroniques observables sur l`axe de la diachronie.

Hjelmslev mettait la grammaire générale en corrélation avec la notion de panchronie proposée par Saussure, cette dernière  est basée sur le rapport du général (universel) et du particulier. Après  Sechehaye, il a proposé  de considérer la panchronie non pas comme une nécessité mais comme une possibilité générale.  En se référant à l`ouvrage de Bally «La pensée et la langue» (1922)  Hjelmslev n`acceptait pas la distinction entre la morphologie et la syntaxe. Il n`était pas d`accord avec Saussure qui incluait la lexicologie dans la grammaire. Hjelmslev indiquait que sa conception de la  grammaire par rapport au mot était conforme à celle professée par Sechehaye.

Ainsi, de même que Saussure et ses disciples genevois, Hjelmslev définissait la grammaire comme une science de l`organisation générale de la langue, la description des langues basée sur les rapports paradigmatiques et syntagmatiques.

Hjelmslev partageait la définition de la forme élaborée par Sechehaye qu`il rapprochait de celle utilisée en  glossématique. Selon lui, c`est l`ouvrage  «Programme et méthode de la linguistique théorique» (1908)  de   Sechehaye  qui  a exercé  l’influence la plus importante sur la formation de sa conception linguistique. De même que Sechehaye, Hjelemslev assignait à la linguistique la tâche de devenir une science des lois ayant  un caractère panchronique et universel.

Références

Bally Charles (1922). La pensée et la langue. Bulletin de la Société de linguistique de Paris. T. XXIII : 1-6.

Fischer-Jørgensen Eli (1965). Obituary. Louis Hjelmslev. Acta linguistica Hafniensia. 1965. V. 9. № 1 : 3-22.

Frei Henri (1940). Interrogatif et indefini.  P. Geuthner.

Hjelmslev Louis (1928). Principes de grammaire générale. København, Bianco Lunos.

Meillet Antoine (1926, 1936). Linguistique historique et linguistique générale. T.I, II.  P., Champion, Klincksiek.

Sechehaye Albert (1908). Programme et méthodes de la linguistique théorique. Psychologie du langage.  P. ; G. Champion.

 

11h -11h30

Kalevi Kull et Ekaterina Velmezova (Université de Tartu et Université de Lausanne) :

De l’héritage intellectuel genevois dans les recherches des sémioticiens de Moscou et Tartu : les signes.

Dans leurs réflexions au sujet des signes et de leurs structures, les savants de l’Ecole sémiotique de Moscou et de Tartu ont subi une forte influence de plusieurs linguistes genevois, parmi lesquels F. de Saussure et S. Karcevski. En particulier, dans une série d’interviews, plusieurs protagonistes de cette école (comme V.V. Ivanov, B.A. Uspenskij, etc.) affirment devoir leur goût pour les recherches sémiotiques en général à leur lecture du Cours de linguistique général, ainsi qu’à leur intérêt pour la «sémiologie» saussurienne. (Pourtant, ils désignaient cette «sémiologie» comme «sémiotique», sans sous-entendre en même temps une opposition entre les approches de F. de Saussure et de Ch.S. Peirce.)

D’autre part, une forte influence saussurienne se laisse voir entre les lignes des travaux des sémioticiens de Moscou et de Tartu qui mettaient au centre de leurs réflexions sémiotiques le modèle binaire du signe linguistique, directement emprunté au CLG. Ce fait est d’autant plus manifeste que parfois les définitions mêmes des signes données par les sémioticiens russes sont explicitement basées sur le modèle présenté dans le Cours. Et pourtant, malgré cela, dans quelques cas particuliers (dont nous donnerons des exemples) et visiblement sans s’en rendre compte, les sémioticiens russes abandonnaient le modèle du signe présenté dans le CLG, en préférant les modèles ternaire ou quaternaire.

De la même façon, les réflexions sur le caractère arbitraire des signes qui sont présentes dans le Cours sont implicitement remises en question par les sémioticiens de Moscou et de Tartu, ce qui est surtout manifeste dans leur intérêt pour la sémantique et la sémiotique des noms propres: dans ces recherches, les significations particulières pouvaient être attribuées à des structures formelles des noms propres étudiés. Les résultats des certaines de ces recherches s’inscrivent dans un projet intellectuel d’envergure qui suppose la reconstruction des « mythes de base » de la mythologie slave et indo-européenne. Mené essentiellement par les sémioticiens de Moscou, ce projet est considéré comme l’une des directions les plus fortes de leurs recherches, et cette fois parmi leurs précurseurs intellectuels est explicitement mentionné S. Karcevski: en premier lieu, les idées de ce dernier au sujet du caractère asymétrique du signe linguistique, vues comme une continuation des réflexions sur les signes présentées dans le CLG.

En analysant, en premier lieu, les références explicites à des linguistes genevois (en premier lieu, F. de Saussure et S. Karcevski) qu’on trouve chez les sémioticiens russes, nous essaierons, en même temps, de mettre en lumière leurs désaccords implicites avec la «linguistique genevoise». Finalement, dans une partie de notre exposé, nous proposerons une réponse à la question de savoir pourquoi les réflexions sémiotiques des autres intellectuels qu’on classe souvent parmi les représentants de l’«Ecole de Genève» étaient beaucoup moins connues que celles de F. de Saussure et de S. Karcevski, et ceci aussi bien à Moscou qu’à Tartu.

Références bibliographiques (quelques travaux des sémioticiens de l’Ecole de Moscou et de Tartu)

Lotman Yu.М., Uspenskij B.А., 1973: “Mif – imya – kul’tura”, Trudy po znakovym sistemam, 1973, VI, 282-303.

Ivanov Vyach.Vs., 1973: “Znachenie idej M.M. Bahtina o znake, vyskazyvanii i dialoge dlya sovremennoj semiotiki”, Trudy po znakovym sistemam, 1973, VI, 5-44.

—, 1976: Оcherki po istorii semiotiki v SSSR. Мoskva: Nauka.

—, 1978: Chet i nechet. Asimmetriya mozga i znakovyh sistem. Мoskva: Nauka.

—, 2008. Dual’nye struktury v antropologii. Kurs lektsij. Moskva: Izdatel’stvo RGGU.

Ivanov Vyach.Vs., Toporov V.N., 1974: Issledovaniya v oblasti slavyanskih drevnostej. Moskva: Nauka.

Nikolaeva Т.М. (ed.), 2001: Imya: vnutrennyaya struktura, semanticheskaya aura, kontekst. Tezisy mezhdunarodnoj nauchnoj konferentsii, 1-2. Моskva: Izdatel’stvo Instituta slavyanovedeniya RAN.

― (ed.), 2007: Imya: semanticheskaya aura. Мoskva: Yazyki slavyanskih kul’tur.

― (ed.), 2010: Semantika imeni (Imya-2). Moskva: Yazyki slavyanskih kul’tur.

Toporov V.N., 1969: “K rekonstruktsii indoevropejskogo rituala i ritual’no-poeticheskih formul (na materiale zagovorov) (K stoletiju so dnya smerti A.Shleihera)”, Trudy po znakovym sistemam, 1969, IV, 9-43.

Tsiv’yan T.V., 1990: Lingvisticheskie osnovy balkanskoj modeli mira. Moskva: Nauka.

―, 1999: Dvizhenie i put’ v balkanskoj modeli mira. Моskva: Indrik.

Uspenskij B.А., 1976: “Historia sub specie semioticae”, in Bazanov V.G. (ed.), Kul’turnoe nasledie Drevnej Rusi (Istoki, stanovlenie, traditsii). Moskva: Nauka, 286-292.

―, 2007: Ego loquens. Yazyk i kommunikatsionnoe prostranstvo. Moskva: Rossijskij gosudarstvennyj gumanitarnyj universitet.

Uspenskij F.B. (ed.), 2003: Imenoslov. Zametki po istoricheskoj semantike imeni. Moskva: Indrik.

 

11h30 – 12h

Dominique Klingler et Daniel Georges Véronique  (Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et DILTEC, Université de Provence) :

La stylistique de Ch. Bally et H. Frei et l’identité de l’école de Genève

Bally et Frei, liés par des relations de maître à disciple explicitement revendiquées, inscrivent une partie de leurs travaux en linguistique dans le cadre d’une stylistique. La stylistique constitue en effet l’un des axes du programme formulé par Bally alors que Frei s’inscrit plutôt dans le cadre d’une linguistique des besoins, dont celle d’expressivité, et se revendique d’une linguistique fonctionnelle. Nous nous proposons de montrer la continuité existant entre la stylistique de Bally et la démarche de Frei, telle qu’elle se manifeste dans la Grammaire des fautes et dans Le livre des deux mille phrases.

Bally et Frei proposent des classements notionnels des faits de langue fondés sur une « stylistique » de la langue définie comme l’étude du « langage spontané, naturel, parlé, émanation de la vie réelle » (Bally, 1935 / 1965 : 74). Quelle est la place de la « stylistique » au sens de Bally (cf. Chiss & Puech, 1995) et de Frei dans l’Ecole de Genève ? Comment cette  « stylistique » fait-elle avancer la question du traitement du sens qui préoccupe ces deux auteurs ?

Bally et Frei font l’un et l’autre référence à Saussure, dans leurs travaux respectifs. Frei considère qu’il appartient à sa manière à l’école de Genève. D’ailleurs la première partie des Deux mille phrases est une version remaniée d’un article paru dans les Cahiers Ferdinand de Saussure 1, en 1941. Il apparaît que l’ouvrage Livre des deux mille phrases I. La méthode des dictionnaires de phrases. II. Questionnaire de deux mille phrases selon le parler d’un Parisien (Genève, Droz, 1966) de Frei est l’aboutissement d’un projet d’« enquête sur les faits d’expression » esquissé dans un chapitre de Le langage et la vie de Charles Bally (1935-65). Il est dédié à la mémoire de ce dernier. La justification de la démarche de Frei qui s’ensuit est fondée sur une thèse saussurienne énoncée au début des du Livre des deux mille phrases :

« Si […] la langue constitue une « forme », c’est-à-dire un équilibre d’éléments non   substantiels, la connaissance de chaque pièce implique celle de tout le reste et il suffira donc de matériaux en nombre limité. […] A l’ouïe de quelques mots seulement, nous reconnaissons immédiatement telle ou telle langue que nous avons l’habitude de pratiquer. N’est-ce pas parce que le système se retrouve dans la moindre parcelle, comme une goutte de pluie implique tous les facteurs du phénomène pluie ? »

            (Le livre des deux mille phrases, 1966 : 11-12).

Frei s’inspire de la « sélection de vocabulaire pratiquée par les Anglo-Saxons pour l’enseignement de la langue maternelle aux étrangers » (p.13), mais également de Bally  (Traité de stylistique, 1909). L’entrée notionnelle ou idéologique est retenue à des fins pratiques, celle de l’expression et / ou de « l’expressivité », déjà revendiquée comme un « besoin » dans sa Grammaire des Fautes (Klingler & Véronique, à paraître) alors que Bally parle davantage de « mécanisme » (Le langage et la vie, Genève, Droz, 1965 : 75). Pour Frei, il ne s’agit cependant pas de mettre en place un système notionnel tel que l’ont fait Hallig et Wartburg, mais des rester fidèle à la leçon

 

saussurienne. Notre contribution tentera d’éclairer l’approche notionnelle et fonctionnaliste de Bally et Frei dans sa relation à la langue saussurienne et l’arbitraire du système notionnel.

Références

BALLY, Charles, 1935, Le langage et la vie, édition de 1965, Genève Droz

BALLY, Charles, 1921, Traité de stylistique française, Heidelberg, Carl Winter’s Universitätsbuchhandlung

CHISS, Jean-Louis & PUECH, Christian, 1995, « Charles Bally. La stylistique comme discipline et comme enjeu », in Langages 118, pages 97-108

FREI, Henri. 1929. La grammaire des fautes. Paris, Geuthner. Kündig, Genève.  Réédition  2007, Ennoia, Rennes

FREI, Henri, 1967, Le livre des deux mille phrases, Genève, Droz

HALLIG Rudolph & WARTBURG Walther, 1963, Begriffssystem als Grundlage für die Lexikographie / Système raisonné des Concepts pour servir de base à la lexicographie, Berlin, Akademie-Verlag

HUOT, Hélène (1991) La grammaire française entre comparatisme et structuralisme 1879-1960, Paris, Armand Colin.

KLINGLER, Dominique & VERONIQUE, Georges Daniel, à paraître,

MOURELLE-LEMA, Manuel (1969) «The Geneva School of linguistics: A Biobiographical Record», in GODEL, Robert ed. A Geneva School Reader in Linguistics, Bloomington, Indiana University, p. 1-25.

 

12h – 12h30

Marina de Palo  (Université La Sapienza) 

 L’intelligence et le langage: linguistique et psychologie chez Saussure et Bally

Dans mon exposé je voudrais envisager quelques thèmes de psychologie du langage chez Saussure et Bally.

Bally tend à s’écarter de Saussure qui, selon lui, « était un intellectualiste convaincu» (Bally, 1926:157) pour mettre en avant l’expressivité et  la subjectivité du langage. Mais « si la prédominance d’éléments affectifs et subjectifs de la pensée dans les formes du langage que nous étudions a peut-être créé l’illusion que l’intelligence ne joue aucun rôle dans les opérations linguistiques, une pareil assertion fait sourire […] Or, tout effort d’organisation repose sur une opération intellectuelle. Il y a donc une intelligence au cœur des phénomènes du langage comme dans ceux de la vie. Seulement, répétons-le, cette intelligence est moyen et non, comme l’on a cru, en soi» (Bally, 1926:22).

En dessinant l’activité du sujet dans la langue, Bally développe plusieurs questions psychologiques esquissées par Saussure (l’inconscient, la mémoire et le champ associatif, le rôle à la fois passif et actif des sujets parlant, l’asymétrie de la parole du point de vue du sujet parlant et du sujet entendant) dans le but de faire ressortir les aspects strictement linguistiques.

Le sujet parlant donne aux mouvements de l’esprit tantôt une forme objective, intellectuelle, aussi conforme que possible à la réalité; tantôt, et le plus souvent, il y joint, à doses très variables, des éléments affectifs; tantôt ceux-ci reflètent le moi dans toute sa pureté, tantôt ils sont modifiés socialement par des conditions tenant à la présence réelle ou à la représentation d’un ou de plusieurs autres sujets (Bally, 1909:12).

La stylistique vise à décrire le savoir langagier des sujets parlants dans la mesure où elle établit des distinctions et des tendances générales, en constatant consciemment ce que l’esprit des sujets parlants sent inconsciemment (Bally,1909:12). Bally (1940:195), qui a emprunté la notion saussurienne de « rapport associatif, propose une anticipation intéressante de la théorie des champs sémantiques: il traite le concept de champ comme un phénomène psychique et se concentre sur les processus de motivation. Il admet la nature « élastique » du champ associatif: le champ associatif est un halo qui entoure le signe et dont les franges extérieures se confondent avec leur environnement. Le champ associatif chez Bally, comme chez Saussure, qui dans les ELG remplace la notion de système avec la notion flou de « jeu de signes », est par définition ouvert, suspendu entre langue et parole, dans le sens où certaines associations sont subjectives, même si les plus centrales sont dans l’ensemble les mêmes pour la plus grande partie des locuteurs. Selon Coseriu (1965-6 in Geckeler 1971, cap. III) la conception du champ de Bally, ne possédant pas une totale validité inter-subjective, est sujette à trois critiques: 1) les associations sont infinies; 2) les associations sont individuelles, 3) les associations ne sont pas purement linguistiques. Mais annuler ces points de vue signifie mettre une camisole de force à des concepts dynamiques et éliminer leur matrice saussurienne.

 

Bibliographie

Bally Ch. (1940), “L’arbitraire du signe. Valeur et signification”, Le Français moderne, vol. 8, pp. 193-2006.Bally Ch., [1909] (19513), Traité de stylistique française, 2 voll., George-Klincksieck, Genève-Paris.

Bally Ch., [1926] (19523), Le langage et la vie, Droz-Giard, Genève-Lille.

Coseriu E. (1965-6), Romanische (insbesondere französische) Semantik, Vorlesung, gehalten an der Universität Tübingen im Wintersemester 1965/6, in Geckeler H. (1971), Strukturelle Semantik und Wortdelftheorie, München, W. Fink Verlag.

14h – 14h30.

(Présidence : R. de Angelis)

 

Discussion : Saussure sous  « bénéfice d’inventaire ».

Comment une pensée génère-t-elle des filiations partielle ? La dispersion de l’héritage s’explique-t-elle par le statut – toujours précaire – du corpus saussurien ? Comment expliquer que Bally aurait « censuré » dans l’édition du Cours ce qui était le plus favorable à son entreprise propre ? Qu’est-ce qu’acclimater des principes ? « Authenticité, fidélité, trahison… » sont-elles des catégories scientifique/historiographiques acceptables ?

 

III. L’Ecole de Genève à Genève

(Présidence M. de Palo).

 

14h30 - 15h

Annamaria Curea (Université de Cluj-Napoca, Roumanie) :

La problématique linguistique de l’expression à Genève entre 1900 et 1940: Ch. Bally, Ch.-A. Sechehaye, H. Frei.

Notre intervention s’inscrit dans l’axe proposant une réflexion sur l’homogénéité de l’école de Genève, et se fonde sur une analyse des productions scientifiques de Ch. Bally, Ch.-A. Sechehaye et H. Frei entre 1900 et 1940. Cette réflexion s’articule autour de trois points:

1. Existe-t-il des éléments théoriques ou des noeuds conceptuels autour desquels pourrait se coaguler une dynamique des idées parvenant à instituer un objet partagé, qui, pour être convenu et discuté, n’en est pas moins disputé? L’hypothèse que nous avançons, fondée sur l’étude d’un corpus formé par les travaux des trois linguistes entre 1900 et 1940, est qu’une problématique linguistique de l’expression, construite par chacun des trois linguistes, relève quelques points de convergence significatifs, qui produisent un effet d’homogénéité autour de la catégorie de l’expression (comportant deux volets, expressivité et exprimabilité). Trois axes communs se dessinent ainsi autour du statut d’une psychologie, de la valorisation de l’affectivité et des modes de conceptualisation du sujet parlant.

2. Comment mesurer la dette envers Ferdinand de Saussure dans le développement d’une problématique de l’expression? Quelle image du saussurisme surgit à une analyse comparative des productions scientifiques des trois linguistes? Quelles attitudes caractérisent leurs rapports au maître?

4. Quel enjeu pourrait avoir une telle réflexion pour une étude sur les écoles linguistiques et plus précisément pour l’histoire de l’école linguistique de Genève? Une relative homogénéité qui caractérise l’école genevoise de linguistique a été légitimée par le recours à un programme qualifié de « saussurisme minimum », par le recours donc à l’idée d’un héritage saussurien, selon Robert Godel (1961) et René Amacker (1975). Cette image d’un saussurisme minimal n’est pourtant pas considérée comme suffisamment apte à assurer une continuité conceptuelle, un degré suffisant d’interconnexion des idées à l’intérieur d’une « école ». Au contraire, la diversité qui se manifeste chez ses représentants, et leur attachement particulier à l’exploration de domaines nouveaux mettent en question leur saussurisme. D’un autre point de vue, celui de la sociologie des sciences, selon Amsterdamska (1987), la continuité au sein de l’école de Genève est légitimée surtout par le rapport au fondateur, Ferdinand de Saussure et par les conditions externes, tenant de l’organisation de la communauté scientifique, qui ont favorisé le déroulement de l’enseignement saussurien à Genève. Une analyse du composant théorique de leurs productions scientifiques permet de nuancer ce point de vue. Dans la perspective historique, l’investigation sur des théories élaborées à une époque et dans un espace déterminés ne saurait ignorer ni le point de vue extérieur, concernant le composant sociologique, ni le point de vue « du dedans », dans le travail de reconstruction d’une systématique conceptuelle. Les deux points de vue s’éclairent réciproquement, permettant

en même temps une mise en perspective qui diminue le risque de juger trop schématiquement les approches envisagées ou de les situer trop rapidement sous le même label.

Références

Bibliographie secondaire

AMACKER, R. (1975), Linguistique saussurienne, Genève : Droz.

AMACKER, R. (1991), « Charles Bally et la stylistique », in Huot, H., La grammaire française entre comparatisme et structuralisme, 1870-1960. Paris : Armand Colin, p. 115-154.

AMACKER, R. (1992), « Le combat de Bally », Cahiers Ferdinand de Saussure 46, p. 57-71.

AMACKER, R. (2000), « Le développement des idées sausuriennes chez Bally et Sechehaye », Historiographia linguistica, 27, p. 205-264.

AMACKER, R. (2001), « Charles Bally juge de La grammaire des fautes d'Henri Frei », Cahiers Ferdinand de Saussure 54, p. 5-20.

AMSTERDAMSKA, O.(1987), Schools of Thought. The Development of Linguistics from Bopp to Saussure, Dordrecht/Boston/Lancaster/Tokyo : D. Reidel Publishing Company.

CAUSSAT, P. (2001), « Charles Bally face à la psychologie allemande de la fin du siècle : le passage complexe et continu de la substance à la fonction », Cahiers Ferdinand de Saussure 54, p. 21-42.

CHISS, J.-L. et Puech, C. (1987), Fondations de la linguistique. Études d'histoire et d'épistémologie, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Wesmael, 2e édition remaniée (1997), Bruxelles : Duculot.

CHISS, J.-L. et Puech, C. (1999), Le langage et ses disciplines XIXe-XXe, Bruxelles : Duculot.

COMBE, D. (2006), « Situation de Charles Bally : linguistique, philosophie, psychologie, sociologie, anthropologie », Charles Bally (1865-1947). Historicité des débats linguistiques et didactiques, Louvain-Paris-Dudley : Peeters, p. 55-66.

FOREL, C. (2008), La linguistique sociologique de Charles Bally. Étude des inédits, Genève : Droz.

FRÝBA-REBER, A-M. (1994),  Albert Sechehaye et la syntaxe imaginative: contribution à l'histoire de la linguistique saussurienne, Genève : Droz.

FRÝBA-REBER, A-M. (2001), « La revanche de la stylistique : hommage d'Albert Sechehaye à son prédécesseur et ami Charles Bally », Cahiers Ferdinand de Saussure 54, p.125-144.

GODEL, R. (1961), « L’école saussurienne de Genève », repris in Cahiers Ferdinand de Saussure 38, 1984, Droz, Genève, p. 77-82.

GODEL, R. (1982), « Le souvenir de Charles Bally », Cahiers Ferdinand de Saussure 36, p. 55-61.

GODEL, R. (1947), « Charles Bally », Cahiers Ferdinand de Saussure 6, p. 68-73.

GODEL, R. (1974), « Problèmes de linguistique saussurienne »,  Cahiers Ferdinand de Saussure 29, p. 75-89.

NERLICH, B.(1990), « Thought and Language. The paradoxical relationship between linguistics and psychology », History and Historiography of Linguistics, edited by Hans-Josef Niederehe and Konrad Koerner, John Benjamins Publishing Company, 1990, p. 775-794.

PUECH, C. (2000), « L'esprit de Saussure – Paris contre Genève : l'héritage saussurien », Modèles linguistiques 20, P.U.L., p. 79-93 [disponible en ligne sur www.unice.fr, sous le titre « L'esprit de Saussure : réception et héritage (l'héritage linguistique saussurien : Paris contre Genève) »].

PUECH, C. (2006), « Pour une histoire de la linguistique dans l'histoire de la linguistique ? », Histoire Épistémologie Langage 28/1, p. 9-24.

REDARD, G. (1982), « Charles Bally, disciple de F. de Saussure », Cahiers Ferdinand de Saussure 36, p. 3-23.

SARFATI, G.-E. (2006), « Charles Bally : la stylistique, l'expressivité et l'usage. Les voies d'une analyse linguistique du sens commun », Charles Bally (1865-1947). Historicité des débats linguistiques et didactiques, Louvain-Paris-Dudley : Peeters, p. 155-168.

SEGRE, C. (1992), « Apogée et éclipse de la stylistique », Cahiers Ferdinand de Saussure 46, p. 3-13.

15h – 15h30

Jacques Philippe St Gérand  (Université de Limoges)

 « La Grammaire Des Fautes » d’Henri Frei (1929) et le traitement de la connectivité

Les débuts de la linguistique, à la fin du XIXe et au XXe siècle ont vu la généralité de celle-ci fracturée en diverses « écoles » ; dont l'École de Genève reste une des plus célèbres en raison de la personnalité de F. de Saussure et de ses plus immédiats élèves. Parmi ceux-ci, certains prirent quelque distance par rapport au maître pour des raisons généralement liées à l'orientation de leurs propres travaux. Henri Frei, moins connu que Bally (son directeur de thèse) ou Séchehaye, est évidemment l'un de ceux-ci. Le travail proposé ici ne prétend pas éclairer la totalité de la pensée et de l'oeuvre de Frei ; plus modestement et concrètement, puisque Frei a voulu appliquer des principes linguistiques à l'examen de faits de parole pour renouveler le sens de la grammaire et des

fonctions attachées à ses pratiques (rédaction, utilisation), il s'attache à envisager le traitement des faits de connexité transphrastique dans La Grammaire des fautes.

On définit traditionnellement cette connexité comme les relations linguistiquement marquées entre énoncés à l'aide de connecteurs pragmatiques (mais, et, car, donc, quand même, pourtant, etc.) dont la fonction est d'une part de relier des segments de discours (les énoncés), et d'autre part de contribuer à la constitution d'unités discursives complexes à partir d'unités discursives plus simples. Or, depuis les recherches faites pour sa thèse sur les correspondances de soldats prisonniers de la première guerre mondiale, Frei n'a cessé d'être intéressé par l'étude "des catégories grammaticales auxquelles ressortissent les éléments d'une phrase avec leurs rapports de mutuelle dépendance". En étudiant le traitement de ces catégories à la lumière des conceptions contemporaines des connecteurs logiques et non-logiques, je voudrais donc montrer le caractère novateur de la pensée de Frei.

En s'affranchissant sur quelques points du dogme figé dans l'apocryphe CLG de Saussure, notamment le psychologisme relayé par Bally, Frei ne cesse de plaider en faveur des métamorphoses de la sémiose linguistique et du caractère protéiforme des signes que l'on pourrait croire ou penser les plus rigides. Il réhabilite ainsi la notion décriée de faute en faisant de celle-ci l'indice d'un besoin que comblent les possibilités ouvertes par le français avancé. Pour parodier Pascal, on pourrait dire que les langues ont, en actes de parole, leur logique que la Logique ignore. Il en résulte un décalage constant entre la loi, résultant de l'observation naturelle des faits et la règle qui n'est que conventionnelle et imposée par les grammairiens. Et c'est dans ce décalage perpétuel que s'opposent les deux sens de l'incorrect : d'une part, un incorrect qui transgresse la norme collective (la faute), et d'autre part un incorrect qui n'est pas adéquat à une fonction donnée (l'indice d'un besoin). Mais c'est aussi dans ce décalage que Frei, au-delà du figement opéré par les éditeurs du CLG, retrouve finalement la dynamique du principe sémiologique de Saussure.

 

15h30 – 16h.

Rossana de Angelis Université de la Calabre/UMR 7597 « Histoire des théories linguistiques »/Cercle F. de Saussure.

L’ École sémiologique de Genève

La définition de sémiologie présentée dans le Cours de linguistique générale traverse à plusieurs reprises les différentes phases de réception de la pensée saussurienne (Puech 2000). Néanmoins, dans la deuxième partie du XXe siècle le terme sémiologie est saisi dans un combat inépuisable avec celui de sémiotique. Et finalement le terme sémiotique est institutionnalisé au détriment de l’autre. La médiation de la pensée saussurienne due à l’oeuvre de L. T. Hjelmslev permet de justifier ce choix. Au sein du système conceptuel mis en place par le linguiste danois, la sémiologie identifie une théorie de la langue et du langage (Hjelmslev 1943, 1954). Néanmoins, c’est le terme sémiotique qui s’impose dès la deuxième traduction anglaise des Prolégomènes (éditée par F. Whitfield en 1961) au détriment de celui de sémiologie. L’oeuvre de Hjelmslev se propose en fait comme un texte re-fondateur de la sémiotique contemporaine. La différenciation entre les termes sémiotique et sémiologie(que) s’avère être indicative de la réorganisation d’une partie des disciplines du langage. L’adoption du terme sémiotique répond à un effort d’émancipation de la linguistique ; en revanche l’adoption du terme sémiologie souligne cette filiation. L’ École de Paris trouve dans la dénomination de sémiotique le moyen de se distinguer de « l’ École de Genève », dont la dénomination de sémiologie(que) garde explicitement une filiation linguistique (De Angelis 2011). En tant que champ de recherche autonome, la sémiologie est présentée alors comme une filiation directe du projet saussurien, mais aussi comme un champ de recherche encore ouvert. Peut-on donc reconstruire l’identité d’une « École sémiologique de Genève » en suivant la réception des théories saussuriennes au cours du XXe siècle ? En analysant les entrées (signifiant/signifié, sémiologie/sémiologique, étc.) qui sont directement en rapport avec les notions propres à l’École sémiologique de Genève dans les dictionnaires publiés au sein des disciplines du langage concernées (Greimas & Courtés 1979, 1986 ; Sebeok éd. 1986), on peut enfin observer qu’une certaine réception de la pensée saussurienne s’affirme lentement et l’École sémiologique de Genève acquiert une identité spécifique. Dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage de Ducrot et Todorov (1972), l’une des écoles présentées juste au début de l’oeuvre était nommée « Saussurisme », alors que dans l’Encyclopedic Dictionary of Semiotics édité par Sebeok (1986) on parle couramment de la « Geneva school of semiotics » (Sebeok 1986 : 846) ainsi que de l’« École de Genève (sémiologie) » (Sebeok 1986 : 900). Au sein des études sémiotiques et sémiologiques, on regroupe alors sous le titre de École sémiologique de Genève les champs de recherche qui s’inscrivent dans le projet sémiologique saussurien. Et par conséquent les protagonistes de cette « filiation saussurienne », à savoir Eric Buyssens et Luis

J. Prieto. En suivant les traces de cette filiation, on propose alors une première synthèse des traits caractéristiques de ce qu’on peut reconnaître comme École sémiologique de Genève.

Bibliographie

Buyssens E., 1943, Le langage et le discours. Essai de linguistique fonctionnelle dans le cadre de la sémiologie,

Bruxelles: J. Lebègue.

Buyssens E., 1967, La Communication et l’articulation linguistique, Paris-Bruxelles: Presses Universitaires de France.

De Angelis R., 2010, «Il Vocabulaire des études sémiotiques et sémiologiques. Per una ricognizione delle prospettive e degli oggetti di ricerca contemporanei», in E/C, gennaio 2010.

De Angelis R., 2011, «L’Ecole sémiologique de Genève vue à travers des outils linguistiques contemporains», Cahiers Ferdinand de Saussure, n. 63 (2010), pp. 135-143

Ducrot O. & Todorov T., [1972] 1979, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris: Seuil.

Greimas A. J. & Courtés J., 1979, Sémiotique. Dictionnaire Raisonné de la Théorie du Langage, Paris: Hachette; tr.it. a cura di Paolo Fabbri, Semiotica. Dizionario ragionato della teoria del linguaggio, Milano: Mondadori,

[1986] 2007.

Greimas A. J. & Courtés J. éds., 1986, Sémiotique. Dictionnaire Raisonné de la Théorie du Langage. Tome II

(Compléments, débats, propositions), Paris: Hachette.

Hjelmslev L. T., 1943, Omkring Sprogteoriens Grundlæggelse, Copenhagen: Ejnar Munksgaard; nouvelle édition traduite du danois par U. Canger avec la collaboration de Annick Wewer, 1971.

Hjelmslev L. T., 1954, «La stratification du langage», Word n. 10, pp. 163-188 ; in L. T. Hjelmlsev, Essais

linguistiques, édité par F. Rastier, Paris: Minuit, 1971, pp. 44-76

Puech C., 2000, «Saussure: réception et héritage. L’héritage linguistique saussurien: Paris contre Genève», Modèles linguistiques, t. XXI, fasc. 1, pp. 79-93.

Prieto L. J., 1966, Messages et signaux, Paris: PUF; tr. it. par S. Farè, L. Ferrara degli Uberti, Lineamenti di

semiogologia. Messaggi e segnali, Roma-Bari: Laterza, 1970.

Prieto L. J., 1968, «La sémiologie», Encyclopédie de la Pléiade, vol. XXV, Paris: Gallimard, pp. 93-144.

Prieto L. J.,1971, «Prefazione», in ID., Lineamenti di semiologia, Bari: Laterza, pp. 5-22; tr. fr. «Sémiologie de la communication et sémiologie de la signification», in ID., Etudes de linguistique et de sémiologie générale,

Genève: Droz, 1975, pp. 125-141.

Prieto L. J., 1975, Pertinence et pratique, Paris: Minuit; tr. it. par D. Gambarara, Pertinenza e pratica, Milano:

Feltrinelli, 1976.

Prieto L. J., 1982, «Semiologia», Enciclopedia del Novecento, vol. IV, Roma: Istituto dell’Enciclopedia Italiana, pp. 492-505.

Prieto L. J., 1987, «Une sémiologie: problèmes et parcours», Degrés, nn. 49-50, pp. 1-12.

Prieto L. J., 1989a, «La sémiologie», Cahiers de la Faculté de Lettres, n. 2/2, pp. 11-14; Cahiers Ferdinand de

Saussure, n. 50/1997, pp. 17-20.

Prieto L. J., 1989b, Saggi di semiotica, vol. I – Sulla conoscenza, éd. par P. Molo, Parma: Pratiche Editrice.

Prieto L. J., 1991, Saggi di semiotica, vol. II – Sull’arte e sul soggetto, Parma: Pratiche Editrice.

Prieto L. J., 1995, Saggi di semiotica, vol. III – Sul significato, Parma: Pratiche Editrice.

Prieto L. J., 2006, Saggi di semiotica IV. Sulle lingue, Cosenza: Università della Calabria.

Sebeok T. éd., 1986, Encyclopedic Dictionary of Somiotics, 3 voll., Berlin-New York-Amsterdam: Mouton de Gruyter.

 

Samedi 27 juillet.

 

III. L’Ecole de Genève à Genève (suite)

(Présidence C. Puech)

 

8h30 – 9h

Emanuele Fadda. Université de la Calabre

L. J. Prieto, ou le dernier sémiologue structuraliste

Il n’y a que trois savants qui aient essayé de répondre au vœu saussurien d’une sémiologie d’une façon systématique (et, ici, ‘système’ indique d’abord la création d’un lexique-jargon de termes interdéfinis), avec des fortunes très différentes: L. T. Hjelmslev (souvent cité, mais en n’étant étudié vraiment que par les spécialistes), A. J. Greimas (qui  est à l’origine d’un courant d’études répandu et fécond, majoritaire parmi les sémioticiens post-saussuriens) et L. J. Prieto (dont les idées ultimes demeurent presqu’inconnues aujourd’hui). Ce dernier, comme on sait, est aussi le dernier titulaire de la chaire de Saussure à Genève. Mais peut-on dire qu’il est un représentant à bon titre de l’Ecole de Genève ? La réponse est incertaine. Si l’on parcourt la liste des sujets

 

suggérés comme base pour une comparaison avec Saussure, on les retrouve presque tous chez Prieto. Mais l’insertion de celui-ci dans une ligne directe qui découle de Saussure en passant par Bally, Sechehaye, Frei et d’autres ne serait pas aussi facile.  Cependant, tout en se réclamant des racines du structuralisme (Saussure, Trubetzkoij, Hjelmslev), Prieto dialogue aussi avec d’autres traditions (ce qui est le cas pourtant aussi de Hjelmslev et Greimas), et avant tout avec la philosophie analytique, dont son entreprise est affine sous plusieurs aspects, même au delà de sa volonté consciente (cf. Fadda : sous presse). Mais c’est justement en n’étant pas qu’un interprète de Saussure (tout comme Hjelmslev ou Greimas) que Prieto a pu construire sa sémiologie (qui reste à offrir à la connaissance du grand public), et a favorisé (bien que ses comportements n’aient pas permis la naissance d’une école) une génération de chercheurs saussuriens à la base de la renaissance saussurienne actuelle, et qui est engagée (et a engagé ses propres élèves) dans les projets sur Saussure qui animent la scène intellectuelle d’aujourd’hui. On pourrait dire donc que Prieto est à Genève ce que Hjelmslev est à Copenhague et Greimas à Paris, avec la différence que, en passant par Prieto, il est bien plus facile de retourner à Saussure et à son défi d’édification d’une sémiologie comme « science de l’humain », à partir de la linguistique (et des langues). Mais cela suffit-il à lui donner la citoyenneté (intellectuelle) genevoise ?

Références

E. Fadda, « L. J. Prieto, o lo strutturalista analitico », Versus 2/2012 (sous presse)

L. J. Prieto, Saggi di semiotica (III voll.), Parma, Pratiche, 1989-1995

 

9h – 9h30

Claire Forel

(Université de Genève, Cercle F. de Saussure).

Fermeture (provisoire) : l’Ecole de Genève et l’école. Une approche didactique saussurienne?

Pour expliquer le point de départ de la réflexion linguistique, il arrive que F. de  Saussure évoque le « contact avec les alloglosses qui [...] ouvre l’esprit sur le fait de la langue lui-même ».  E. Pichon en 1937 attribue pour sa part la thèse saussurienne de l’arbitraire du signe  à une forme de « cosmopolitisme » helvétique (forcément coupable) du linguiste genevois. Bally, quant à lui,  a des propos très durs pour critiquer le « bilinguisme comme moyen de former l'esprit ». Il va même jusqu’à parler d’ « effort cérébral inutile ». Sechehaye  consacre trois cours entre 1913 et 1915 à  « Quelques principes de linguistique théorique et leur application à l’enseignement des langues ». Henri Frei enfin,  avec sa Grammaire des fautes fait figure de précurseur de la notion d’ ‘interlangue’ qui va de soi aujourd’hui en pédagogie des langues étrangères.

Ce rapide inventaire pour souligner le fait que la question de la langue étrangère et de sa pédagogie semble trouver sa place  (même s’il s’agit d’un topos débattu) dans une approche issue de Saussure, et à Genève même.

L’exposé se centrera essentiellement sur ce que dit Bally de l’apprentissage d’une langue étrangère un peu particulière puisque qu’il s’agit du latin comme lieu où il convient de combattre les idées toutes faites afin de promouvoir une saine réflexion sur l’objet langue.

 

9h30 – 10h30

Proposition de discussion : Du particulier (grammaire des fautes, de l’expression, approche didactique) à l’universel : la sémiologie est-elle la mère où la fille de toutes les linguistiques ? Que serait une « linguistique mondiale », un linguiste « mondialisé » ? Genève, capitale de la linguistique ?

Discussion générale et clôture.