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L'écho du réel (Cité de la musique, Philharmonie de Paris)

L'écho du réel (Cité de la musique, Philharmonie de Paris)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Wilfried Laforge)

COLLOQUE INTERNATIONAL « L’ÉCHO DU RÉEL »

Philharmonie de Paris et Centre Pompidou, en partenariat avec l’Institut Acte, le Centre de Philosophie Contemporaine de la Sorbonne (PhiCo), axe Culture, Esthétique, Philosophie de l’Art (CEPA) du Centre de Philosophie contemporaine de la Sorbonne (Phico – ISJPS – UMR 8103), et l'ESÄ, École Supérieure d'Art du Nord-Pas de Calais Dunkerque/Tourcoing.

Jeudi 14 et vendredi 15 février 2019

Cité de la musique-Philharmonie de Paris Amphithéâtre - Cité de la musique, de 9h30 à 18h

 

PROGRAMME
JEUDI 14 FÉVRIER

08h45 ACCUEIL

09h15-9h30OUVERTURE

  • Cyril Crignon (ESÄ, École Supérieure d'Art du Nord-Pas de Calais Dunkerque/Tourcoing)
  • Wilfried Laforge (School of Visual Arts, New York/Institut Acte-Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
  • Pauline Nadrigny (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

09h30-11h05 ESTHÉTIQUES RÉALISTES ?

Modération : Cyril Crignon et Wilfried Laforge

  • Tom Sparrow (Slippery Rock University) : “Speculative Aesthetics as Everyday Aesthetics
  • Anna Longo (Institut Acte/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, California Institute of the Arts) : « Esthétique et spéculation : logique transcendantale des mondes possibles »
  • David Zerbib (HEAD Genève) : « Format et objet : la destitution esthétique de la forme » 

11h15-13h00 ESTHÉTIQUES RÉALISTES ? (2) 

Modération : Cyril Crignon et Wilfried Laforge

  • Elie During (Université Paris Nanterre) : « Actions à distance : à propos des objets furtifs »
  • Ludovic Duhem (ESAD Orléans/ESAD Valenciennes) : « Réalisme des relations esthétiques »

14h30-15h30 CONFÉRENCE PLÉNIÈRE DE JOCELYN BENOIST (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) :« De l’apparence à l’écho »

15h30-16h35 CAPTATION, CAPTURE, DOCUMENTALITÉ

Modération : Pauline Nadrigny

  • Maurizio Ferraris (Université de Turin) : “Metaphysics of Web
  • Frédéric Pouilleaude (Université Aix-Marseille) : « Quel réalisme pour les œuvres factuelles­ ? »

16h45-18h15 CAPTATION, CAPTURE, DOCUMENTALITÉ (2)

Modération : Pauline Nadrigny

  • Alexandre Galand (Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique) :  «Résonner avec le monde. Potentialités de l’enregistrement de terrain »
  • Rahma Khazam (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : “Sound and Image: Confronting the Real

VENDREDI 15 FÉVRIER

8H45ACCUEIL

09h-10h25 OBJETS, QUASI-OBJETS, HYPEROBJETS  

Modération : Cyril Crignon

  • Tonino Griffero (Université Roma Tor Vergata) : “Rest-Realism: Atmospheres and Quasi-Things
  • Jean-Michel Durafour (Aix-Marseille Université) : « Cinéma, figures et hyperobjets : ce que cachent les films »

10h25-12h30 QUE FAIRE DU RÉEL ?

Modération : Pauline Nadrigny

  • Bastien Gallet (Éditions MF) : « Le “réel” de l’art »
  • Elise Domenach  (ENS Lyon) : « Le réalisme esthétique de Cavell et sa portée pour une écocritique cinématographique »
  • Elise Marrou (Faculté des Lettres de Sorbonne Université) : « Réalisme(s) de la scène théâtrale »

14h00-15h05 NATURALISME ESTHÉTIQUE

Modération : Wilfried Laforge

  • Marina Seretti (UniversitéBordeaux 3 Michel Montaigne) : « Variations minérales »
  • Emmanuel Alloa (Université de Sankt Gallen) : « Coexistence des temps, coexistence des espèces, coexistence des êtres : le réel décentré »

15h15-16h45 NATURALISME ESTHÉTIQUE (2)

Modération : Wilfried Laforge

  • Flora Katz (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « Pierre Huyghe et le réalisme »
  • Esteban Buch (EHESS) : « Sur le jazz d’Adorno comme théorie sexuelle »

17h-18h CONFÉRENCE PLÉNIÈRE DE QUENTIN MEILLASSOUX (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « Reconstruire l’obstacle, esquisse d’une matrice de la corrélation »

18h-19h LA VIE DES IMAGES, table ronde

Animée par : Emmanuel Alloa, Jean-Michel Durafour, José Moure (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Benjamin Thomas (Université de Strasbourg).

 

ARGUMENTAIRE

Examiner à nouveaux frais la frontière entre art et non-art implique nécessairement d’interroger les rapports qui se jouent entre l’art et le réel, question déjà engagée en amont du passage à l’art contemporain. Ce type d’interrogation suppose plusieurs voies possibles : il s’agit en effet de se demander ce qui est en jeu lorsque certaines pratiques artistiques ou musicales s’exportent dans le réel, mais aussi lorsque le réel est importé au sein des oeuvres — opération qui conduit à une définition nouvelle de la notion de matériau, ou, à tout le moins, à la nécessité d’un réexamen de la notion d’autonomie de l’oeuvre. Que se passe-t-il en effet lorsqu’un élément extérieur à l’oeuvre et purement hétéronome surgit en elle sans avoir été préalablement mis en forme par un travail du matériau, ou lorsque — dans un mouvement inverse — l’art bascule dans le réel ? Quel est le statut des fragments de réalité empirique lorsqu’ils s’intègrent à l’économie de l’oeuvre ? Comment opérer une distinction entre les formes d’art qui basculent dans le réel en demeurant constructivistes, et celles qui témoignent d’une attitude « réaliste » ? Du réel à l’art ou de l’art au réel, il s’agit de comprendre ici une forme de réalisme qui paraît transformer en profondeur le legs historique des théories de la mimésis. Du côté des pratiques musicales et des esthétiques qui s’y dessinent, on prendra acte d'une certaine « voix du concret », voix critique, souvent polémique, persistante depuis les rumeurs futuristes jusqu'aux désirs d'un réalisme urbain propre à la noise... Voix alternative à une pensée de l'idée musicale et de son matériau, faux ami dont le nom recouvrerait non pas le concret sonore, mais un ensemble dialectisé de médiations historiques. Face à une approche dite « structurale », on engage alors les concepts de concret (musique concrète), mais également l’idée d'un retour à l’environnement sonore ambiant, à travers des pratiques de captation (fieldrecording) et d’écoute (deep listening). On associe retour à « la réalité sonore » et un certain naturalisme. Mais à quoi nous donnent réellement accès de tels choix esthétiques ? Et s’agit-il bien alors de penser pratiques musicales et écoute en terme d’accès au son, matériau concret et ductile, source à laquelle l’oreille se régénère, réalité sonore enfin retrouvée et opposée aux constructions de l'idée musicale ? La question est certainement moins de reconnaître le caractère toujours médiatisé du concret sonore, mais bien de se demander s'il convient d'identifier réel et concret. Du côté des arts plastiques, il s’agira d’explorer les voies singulières qui ont été tracées par certaines oeuvres, que celles-ci tiennent moins de la création que de la « capture » — pour reprendre la distinction opérée par Paul Valéry —, ou qu’elles s’inscrivent dans un régime de fiction qui nous fasse envisager le monde d’un point de vue non-humain. Nous devrons ensuite resserrer la focale sur les oeuvres d’artistes ou de designers contemporains recourant à des concepts opératoires issus du tournant spéculatif qu’a connu la philosophie d’orientation continentale. Songeons ici aux sculptures « orientées vers l’objet» ou « archifossiles » s’inscrivant dans une forme de renouveau du ready-made. Il faudra enfin se saisir des questions posées par certaines pratiques curatoriales et muséales (Speculative Tate Research) qui tendent quant à elles à repenser les liens entre réalisme spéculatif, esthétique, pratique plastique et force des images.

 

C’est ainsi que la théorie comme la pratique des arts accompagnent la tectonique qui affecte le paysage philosophique contemporain. Nous y voyons en effet émerger ce que nous pourrions appeler un « archipel conceptuel », qui se forme dans les eaux du « réalisme ». Il existe bien aujourd’hui un renouveau du réalisme en philosophie, et ce réalisme est pluriel. Les acceptions que reçoit ce vocable sont diverses, suivant les courants où il fait retour et les auteurs qui s’en saisissent : il revient dans des philosophies d’orientation analytique comme dans les élaborations post-phénoménologiques d’Étienne Bimbenet ; il resurgit aussi dans le sillage de la pensée wittgensteinienne de l’ordinaire, avec Jocelyn Benoist ; nous le retrouvons encore chez des penseurs qui, tel Manuel DeLanda, s’inscrivent dans une postérité deleuzienne ; il baptise enfin le mouvement du « réalisme spéculatif » où s’illustrent, en France, Quentin Meillassoux et Graham Harman aux États-Unis. Par-delà leurs désaccords, ces variétés de réalisme contribuent à un effort visant à penser le réel tel qu’en lui-même, en dehors des voies par lesquelles on y accède et des relations, tant cognitives que pratiques, que l’on entretient avec lui. Il s’agit autrement dit d’examiner les modalités d’un discours qui dise ce qui est indépendamment de la manière dont cela apparaît à une conscience ; ou, — pour le dire en termes plus kantiens — il s’agit de dire ce que sont les choses avant qu’une subjectivité transcendantale ne les constitue en objets de connaissance. Que sont les choses, en effet, en dehors des conditions que leur impose un sujet, et sous lesquelles des objets lui sont donnés dans l’expérience ? Il faudrait, pour ce faire, dissocier ce qui paraît indissociable, à savoir : l’être de ses modes de donation ; et dénouer le lien réputé inséparable entre le sujet et l’objet, ou entre la conscience et le monde. Cela requiert une pensée qui s’affranchisse de ce que Quentin Meillassoux nomme le « corrélationnisme », et qu’il définit comme « l’idée suivant laquelle nous n’avons accès qu’à la corrélation de la pensée et de l’être, et jamais à l’un de ces termes pris isolément ». Dans sa variante dite « spéculative », le réalisme a essaimé au-delà des simples limites du champ philosophique. Il s’exprime, notamment, dans la théorie et la pratique des arts, à telle enseigne qu’une « esthétique spéculative » (dont il faudra analyser les liens à la Bildakt) s’est développée outre-Atlantique. Cette esthétique spéculative n’est plus seulement un prisme par le biais duquel on analyse le rapport de certaines oeuvres au réel. Elle se conçoit davantage comme l’étude des images dans un contexte iconique élargi où l’on reconnaît pleinement leur indépendance, leur force et la manière dont elles migrent et dialoguent entre elles indépendamment de leur contexte d’apparition et de leur appartenance médiale. Cette manière de penser marque un pas de côté par rapport aux orientations qui ont prévalu en ces matières. Du ready-made de Marcel Duchamp à l’art conceptuel, en passant par la « poétique de l’oeuvre ouverte » qu’a célébrée Umberto Eco, comme à travers les phases de « dé-définition » (Harold Rosenberg) et de « dé-matérialisation » (Lucy R. Lippard) qu’il a connues au cours du XXè siècle, l’art semblait s’être durablement installé dans le « cercle corrélationnel » que décrit Quentin Meillassoux. Force est en effet de constater qu’il y fut beaucoup question de l’effet feedback que la réception pouvait avoir sur la création et de la part déterminante que l’instance interprétative (le « regardeur », le contexte, l’institution) prend à la production du sens de l’oeuvre, au point de rendre celle-ci indissociable d’une signification pensée comme construction. Nous pourrions ainsi estimer que l’art s’était, pour partie, désintéressé du réel, pour se recentrer sur les médiations conditionnant l’expérience et l’appréciation qu’un sujet peut avoir d’un objet attribuable à l’art. La relation semblait primer l’objet ; et voilà que l’art nous propose d’envisager le « Grand Dehors », tandis que le discours qui l’accompagne relève d’une « ontologie orientée objet » impulsée par Graham Harman. Ce colloque propose ainsi de cartographier l’archipel des réalismes contemporains en se rendant attentif à ses échos dans le champ des arts et de la pensée esthétique. D’une part, l’enjeu est de cerner et d’évaluer leur apport à cette dernière. Réciproquement, il s’agit de déterminer le rôle que l’esthétique peut jouer dans les entreprises philosophiques qui se développent actuellement sous cette enseigne. Cette enquête nous invite à voir en quoi l’esthétique, dont l’origine est liée au projet d’une science de la connaissance sensible, pourrait contrevenir aux démarches conceptuelles du réalisme contemporain, ou, au contraire, en quoi elle pourrait les encourager, voire les inspirer. Comprendre les rapports entre les réalismes contemporains et l’esthétique semble donc receler un enjeu lié au statut philosophique de l’esthétique elle-même. Si l’on s’accorde à considérer que l’esthétique circonscrit un champ d’études prenant pour objet la formation des formes sensibles ainsi que les relations, de l’ordre de l’affectivité, que celles-ci sont de nature à susciter, nous sommes forcés d’admettre que l’expérience y occupe une place centrale. Qu’elle y prenne ou non valeur de paradigme cognitif est une question qui reste pendante. Reste que cette expérience s’y voit reconnaître une dimension esthétique dès lors qu’elle se révèle à la fois phénoménologique, — ou, à tout le moins, perceptuelle — évaluative, et transformatrice. Serait-ce donc en raison même de sa valorisation du sensible que l’esthétique dresserait des obstacles aux poussées réalistes ? Le problème ne serait-il pas, plus précisément, que l’apparence y est interrogée en tant qu’elle apparaît à quelqu’un, — soit encore comme un phénomène, qui se trouve mis sous la dépendance d’un sujet ? Ce serait alors cette position préalable d’un sujet auquel les choses sont données, qui ferait obstacle au réalisme. Mais, cela va-t-il de soi ? Devons-nous tenir pour acquis que l’esthétique se centre sur le sujet, aborde les choses de son point de vue, et se trouve définitivement thématisée comme une affaire de conscience humaine et de réaction humaine à la représentation qu’on se forme des objets ? L’esthétique nous assigne-t-elle nécessairement à la corrélation de l’esprit et du monde ? Quelles seraient, au contraire, les ressources que l’esthétique tiendrait à la disposition des réalistes ? Parmi les notions propres à ce régime de pensée, parmi les tournures d’esprit ou les attitudes épistémiques qu’il a mises en évidence, n’y moyen Doit-on aller jusqu’à l’en déshériter, à lui ôter ce privilège, pour répartir avec équanimité l’expérience esthétique parmi tous les étants ? Aux yeux de certains réalistes, en effet, c’est moins la centralité de l’expérience, que la centralité du sujet dans l’expérience qui semble poser problème. Songeons aux tenants de l’Ontologie Orientée Objet, comme Timothy Morton ou Graham Harman, ce dernier parlant d’une « expérience sans sujet ». Il en repère alors le site dans la relationnalité comme telle, laquelle est inhérente au réel et concerne toutes les entités qui le composent, qu’elles soient humaines ou qu’elles ne le soient pas : toutes sont interconnectées ; toutes interagissent ; toutes ont donc une expérience les unes des autres. Dans cette perspective, où l’esthétique devient une théorie descriptive de la relationnalité en tant que telle, les déterminants esthétiques de l’expérience se voient exportés au-delà du champ de la conscience et des facultés humaines. Ainsi dé-subjectivés ou dés-humanisés, ils s’appliquent désormais à la trame même du réel. Mais quel sens y a-t-il à dire que les objets se perçoivent, s’intuitionnent et se goûtent les uns les autres ? En quoi est-ce légitime ? Qu’est-ce que cela présuppose ? Et que gagnons-nous, en termes d’intelligibilité ou de saisie rationnelle des relations, humaines ou non, à étendre ainsi le domaine de l’esthétique au-delà de l’humain et à tenter des excursions dans le domaine du non-humain ? Comment se reconstruit, autrement dit, le rapport de l’épistémologie à l’ontologie, après que l’esthétique a basculé de la première dans la deuxième ?

 

Outre la présentation, devant un public français à qui elle demeure largement méconnue, de cette esthétique « spéculative », l’objet du colloque, qui réunira la philosophie, les arts visuels, la musique et le cinéma, est de confronter cette version du réalisme à d’autres — direct, esthétique, perceptuel, contextualiste, « de l’ordinaire » auxquelles il sera demandé d’expliquer le sens qu’il y a, selon elles, à se dire « réaliste » quant à l’art et aux valeurs esthétiques. Le pari que nous faisons étant que l’esthétique est un terrain privilégié pour discerner les lignes de fracture séparant les réalismes contemporains, et que s'y diffracte donc le rapport au réel.