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"L'auteur dépaysé. Ecrivains de double appartenance culturelle"

Publié le par Vincent Ferré (Source : association Pasar Malam)

 

L'auteur dépaysé.

Ecrivains de double appartenance culturelle.

 

Deuxième édition des dix heures pour la littérature indonésienne.

Sous le parrainage de Philippe Adnot,

sénateur et président du Conseil Général de l'Aube,

président délégué du groupe France-Asie du Sud-Est,

de la Maison des Cultures du Monde et

de la Société des Gens de Lettres de France. 

 


Samedi 28 octobre 2006, de 8h30 à 18h30.

Palais du Luxembourg, Salle Clémenceau,

15 rue de Vaugirard, 75006 Paris, m° RER Luxembourg,

parc de stationnement sous la Place Saint-Sulpice et sous le

Marché Saint-Germain.

 

Communiquer et comprendre

Si la langue nous permet de communiquer avec autrui, elle est plus qu'un simple moyen de se faire comprendre. La langue (trans)porte en elle-même la culture, c'est-à-dire l'entier système de valeurs grâce auxquelles nous percevons le monde et la place que nous y occupons. La langue, part intime de nous-mêmes, forme ainsi notre caractère, notre histoire, nos relations spécifiques avec l'extérieur.  En portugais du Brésil, il y a plus de quatre vingt façons de dire la couleur des métis, en indonésien il y a le "nous" qui inclut l'interlocuteurchristelle  et le "nous" qui l'exclut, les exemples ne manquent pas pour illustrer le fait qu'une langue est unique et parfois rend impossible la traduction.
Chaque langue reflète et détermine ainsi une vision du monde. En apprenant une langue maternelle, ou une deuxième langue, on fait plus qu'apprendre à la

parler : on adopte une (autre) forme de pensée, une (autre) conception du monde.

Les mots renvoient à des concepts qui interprètent de manière spécifique une réalité.
 
Pour mieux illustrer les propos ci-dessus, voici une anecdote rapportée par Claude Levi-Strauss  à l'occasion du 60e anniversaire de l'UNESCO, le 16 novembre 2005.

 

"Au Canada, il y a une trentaine d’années, j’attendais sur une côte de la Colombie britannique le ferry qui devait me conduire à la petite île d’Alert Bay, une réserve des Indiens appelés Kwakiutl dans la littérature ethnologique et qui se dénomment eux-mêmes Kakwaka’wakw. Je nouai conversation sur le quai avec un jeune passager vêtu d’une combinaison de jogging de couleur très voyante. Il était Indien Kwakiutl, mais élevé hors de la réserve dès la petite enfance, et il avait décidé de s’y fixer pour apprendre la sculpture traditionnelle.
C’était, expliqua-t-il, un métier qui permettait d’échapper aux impôts. «Mais, ajouta-t-il, la difficulté est que je devrai commencer par apprendre la langue.»
Je fus saisi par cette remarque. Ainsi donc, pour ce garçon gravement acculturé, il allait de soi que l’art traditionnel, les mythes et légendes que celui-ci illustre et la langue elle-même forment un tout.
On sait que les Kwakiutl et leurs voisins de Colombie britannique et d’Alaska sont les créateurs d’oeuvres graphiques et plastiques d’une puissante originalité. Etouffés pendant plusieurs décennies par les persécutions des pouvoirs publics, depuis le milieu du dernier siècle ces arts, dont le sort est indissolublement uni à celui de la langue, retrouvaient leur vitalité.
Or je devais recevoir l’an dernier du chef des nations Kakwaka’wakw un appel à l’aide. Sa langue, le kwakwala, m’écrivait-il, n’était plus parlée que par 200 personnes à peine.
Par d’autres exemples, nombreux  hélas, l’Unesco a pu se convaincre que les langues sont un trésor, d’abord en elles- mêmes, et parce que leur disparition entraîne celle de croyances, savoirs, usages, arts et traditions qui sont autant de pièces irremplaçables du patrimoine de l’humanité.".

 

Quelques faits et chiffres

Il y a entre 3000 et 7000 groupes de langues, parlées par une poignée (notamment certaines langues en Nouvelle Guinée) ou par des millions de personnes (le chinois, l'anglais, le hindi, l'arabe, l'indonésien, etc...). Chacune est une forme de musique à la partition spécifique à la société qui la pratique.
Mais en plus des langues "officielles", nous pouvons aussi recourir aux dialectes, créoles, pidgin,  lingua franca, à la langue des signes, à l'argot, au verlan ou encore à la langue secrète des enfants ...

 

L'indonésien, langue officielle d'Indonésie, est parlé par environ deux cent millions d'individus, pourtant elle est la langue maternelle pour seulement 7% d'entre eux ...  Sachant que sur le territoire indonésien, on compte plus de trois cents langues régionales, l'unification linguistique a été un élément essentiel dans la formation de l'identité nationale. 

 

Une patrie recréée ?

Becket, T. Ben Jelloun, H. Bianciotti, A. Césaire, P. Chamoiseau, F. Cheng, Cioran, Conrad, Ionesco, Julia Kristeva, Kundera, Andrei Makine, Naipaul, Nabokov , Rushdie, Sole Soyinka, Solyenitsine, Agota Kristof, Marjane Satrapi etc... c'est vraiment dommage de mettre un terme à la liste, très longue, d'écrivains dont la langue de travail diffère, un  peu ou énormément, de leur langue maternelle. Il faudrait y ajouter le cas de certains des premiers écrivains indonésiens du début du XX°, qui comme R.A. Kartini, Suwarsih Djodjopuspito ont choisi d'abord d'écrire en néerlandais. Comment font-il ? Sont-ils les rénovateurs de cette deuxième langue ? Ou ont-il l'impression de travailler avec une mémoire trahie où mythe et réalité se confondent ?

 

Si l'on considère que l'acte d'écrire  ne se limite pas à enfourcher un véhicule, que c'est aussi se promener avec plus ou moins d'assurance dans une culture, un environnement, une ambiance propres à une société donnée, il serait alors légitime d'ouvrir un espace de réflexion. C'est ce que nous souhaitons proposer ce 28 octobre où nous nous attacherons à cette question : comment l'écrivain créant dans une langue autre que sa langue maternelle construit-il son monde littéraire ?  Passe-t-il par un processus douloureux, comme amputé d'un sens, d'une valeur, d'un rythme, introuvables dans sa "deuxième langue" ? Ou au contraire, l'écrivain s'épanouit-il, comme s'il était libéré de toute contrainte, dans un espace à conquérir où mythe et réalité peuvent être confondus, impunément et consciemment ?

 

 

Choisit-on la langue dans laquelle on écrit ?

 

L'indonésien, comme le malais de Malaisie, est dérivé du malais ancien (du groupe linguistique austronésien) qui fut la principale langue de contact dans une très grande partie de l'Asie du Sud-Est entre le 7e et le 19e siècle. Lorsque les nationalistes indonésiens, en 1928,  décidèrent que le malais serait la langue de leur future République, ils se montraient conscients de leur histoire.
Le malais avait été, à travers les siècles, la langue du commerce, de la diplomatie, de la diffusion de l'islam et celle encore de l'administration coloniale.
Il n'est pas surprenant que des rôles aussi divers l'aient amené à se nourrir d'apports multiples. Celui de l'Inde tout d'abord. Lorsque l'hindouisme et le bouddhisme se diffusèrent en Asie du Sud-Est, au début de notre ère, le sanskrit fut largement pratiqué, tout au moins à Sumatra, Java et Bali, et légua des centaines de mots aux langues de ces îles. Aujourd'hui encore, des mots d'origine sanskrite font partie du vocabulaire indonésien courant, à commencer par celui désignant un "écrivain", sastrawan. La deuxième source linguistique fut, comme on peut s'y attendre, l'arabe, dans le domaine religieux tout d'abord, mais aussi dans la langue quotidienne: les mots pour "monde" (dunia), "région" (daerah) et "société" (masyarakat) sont d'origine arabe.

 

Plus tardivement, le néerlandais, langue de la puissance coloniale, a marqué significativement le malais en lui léguant plusieurs milliers de mots dans tous les domaines de la vie quotidienne. Nombre de ces emprunts néerlandais, d'ailleurs, ont en fait leur origine dans d'autres langues européennes; le mot losmen (hôtel modeste), par exemple, vient du français "logement".

 

Le chinois et le portugais ont laissé une empreinte moins importante. Certaines langues régionales, par contre, et tout particulièrement le javanais, ont toujours été des sources majeures d'enrichissement du vocabulaire. Et l'anglais, bien entendu, est aujourd'hui la source principale d'emprunts nouveaux destinés à permettre à l'indonésien d'exprimer toutes les facettes de la vie moderne. Ces mots de l'actualité, souvent adoptés tels quels en même temps que des concepts, subissent cependant une transformation. Des termes tels que demokrasi et même politik n'ont pas vraiment le même sens en indonésien et dans les langues du vieux monde.

 

Vu d'Europe, et du point de vue de langues qui multiplient à l'infini les nuances à travers la sophistication de la morphologie et de la syntaxe, l'indonésien est une langue déroutante : les marques de temps, de nombre et de genre semblent absentes. Il faut employer des adverbes signifiant "déjà" ou "pas encore" pour préciser si une action a eu lieu ou non ; le même pronom signifie "il" et "elle" ; le même mot désigne un "frère" et une "soeur" cadets. Cette apparente simplicité fait croire aux néophytes que l'indonésien est une langue simple, voire simpliste, et facile à apprendre. Il n'en est rien, bien entendu, et la subtilité se trouve ailleurs, notamment dans un système riche et productif d'affixes qui permettent d'évoquer tout un champ sémantique, à partir d'une base unique.

 

Comme on peut le constater, l'indonésien moderne utilise avec aisance un héritage linguistique extrêmement varié et n'hésite pas à utiliser,  pour mieux affiner certains concepts, plusieurs sources, notamment dans le domaine des synonymes. Le mot "livre", par exemple. Lorsqu'on l'appelle pustaka (du sanskrit), on désigne souvent un ouvrage d'ancienne sagesse ou des écrits ésotériques ; kitab (de l'arabe) s'applique à un livre religieux (la "Bible" en indonésien se dit Alkitab, un mot directement dérivé de l'arabe) ; tandis que buku (du néerlandais) est le terme le plus communément utilisé.
Les Indonésiens ont une claire conscience de cette diversité étymologique et ils en jouent volontiers, pour donner par exemple à leurs propos une tournure solennelle et javanaise en multipliant les termes sanskrits, ou pieuse et dogmatique en employant des termes arabes, ou encore moderne et mondialiste en abusant de termes anglais.

 

Programme

8h30 - Accueil

 

9h30 - Ouverture et mot de bienvenue par

-L’Ambassadeur de la République d’Indonésie en France et  pour la Principauté d’Andorre, Son Excellence Monsieur Arizal EFFENDI,

-Le Sénateur et Président du Conseil Général de l'Aube, Président délégué du groupe sénatorial d’amitié France-Asie du Sud-Est, Monsieur Philippe Adnot,

-La Directrice Adjointe de la Maison des Cultures du Monde, Madame Arwad Esber,

-Le Président de la Société des Gens de Lettres, Monsieur François Taillandier 

10h00 - Conférence par Claude Hagège

 

Mythe et Réalité de la langue maternelle

L'indonésien est une langue dont l'histoire débute au VIIième siècle et dont il a été décidé qu'elle serait la langue nationale en 1928 d'abord, puis en 1945.

L'indonésien après l'indépendance en 1945 peut être considéré, pour beaucoup d'Indonésiens, comme une deuxième langue. En effet, en Indonésie on naît Javanais, Sumatranais, Balinais, et l'on apprend une langue régionale au sein de la famille avant d'apprendre l'indonésien à l'école.

De ce point de vue l’Indonésie n’est qu’un cas particulier d’une problématique universelle.

 

Questions du public

 

11h00 - pause

 

 

 

11h30 - table ronde

 

Langue naturelle/langue apprise: voyager dans différents territoires.

Les contraintes et les libertés, accord ou abîme ?

 

-Seno Gumira Ajidarma, écrivain indonésien,

-Elisabeth D. Inandiak, écrivaine, traductrice, journaliste à Yogyakarta,  modératrice,

-Waruno Mahdi, Allemand d'origine indonésienne, ingénieur chimiste, linguiste indépendant, 

-Jérôme Samuel, linguiste et indonésianiste (INALCO),

-Ayu Utami, écrivaine indonésienne.

 

Questions du public

 

12h45 –Déjeuner

 

14h30-Conversation avec un écrivain indonésien

Film, réalisé par Lontar-Jakarta, sous-titré anglais

Présentation en français par Monique Zaini-Lajoubert, spécialiste littérature malaise (CNRS).

 

15h15- pause

 

15h45- table ronde

 

Le génie de la langue

Ecrire dans deux langues, une grammaire opposée ou semblable ? Traduire d'une langue à l'autre : conformisme ou innovation linguistiques ?

 

-Christiane Chaulet Achour, professeur, enseigne la littérature comparée et la littérature francophone à l’université de Cergy Pointoise et dirige le Centre de Recherche Textes et francophonies  (CRTF).

-François-René Daillie, écrivain, traducteur

-Fouad Laroui, écrivain d’origine marocaine, enseigne l’économie à l’Université Libre d’Amsterdam

-Philippe Noble, essayiste, traducteur, modérateur

-Nourredine Saadi, écrivain d’origine algérienne, jurist-anthropologue (Université d'Artois)

 

Questions du public

 

17h00 - pause

 

17h30  - Entretien avec Ayu Utami et Seno Gumira Ajidarma 

Interview assuré par Brigitte Ouvry-Vial, éditrice L'Inventaire (maison d'édition distribuée par Actes Sud), Maître de conférences à l'université de Reims, Champagne-Ardennes

 

18h30 - Remerciements

 

association franco-indonésienne Pasar Malam
association Loi 1901 pour l'amitié entre les peuples français et indonésien
14 rue du Cardinal Lemoine 75005 - Paris
téléphone : 01 56 24 94 53
afi.pasar-malam@wanadoo.fr
http://pasarmalam.free