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L’anticipation dans les discours médiatiques et sociaux (revue COnTEXTES)

L’anticipation dans les discours médiatiques et sociaux (revue COnTEXTES)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Matthieu Letourneux et Valérie Stiénon)

L’anticipation dans les discours médiatiques et sociaux

Numéro de la revue COnTEXTES (https://contextes.revues.org/)

(dir. Matthieu Letourneux et Valérie Stiénon)

 

La littérature d’anticipation francophone qui précède la science-fiction (1840-1940) est peu considérée pour elle-même au-delà des figures de Jules Verne, Rosny aîné et Maurice Renard. Se souvient-on de José Moselli, Henri Allorge, Octave Béliard ou André Couvreur ? Albert Robida, Paul d’Ivoi, Léon Groc figurent-ils dans les histoires littéraires ? Qui sait que Paul Adam, Anatole France et Blaise Cendrars ont aussi écrit de l’anticipation ? Les œuvres d’anticipation sont trop souvent appréhendées hors du contexte qui leur donne sens : supports de publication, désignations génériques, horizons d’attente, influences idéologiques et sociales, sociabilités des auteurs, etc. Omettre ces données fondamentales conduit, pour les écrivains reconnus, à analyser a posteriori leur importance dans la constitution de ce point d’aboutissement que serait la science-fiction et, pour les autres, à minimiser leur production en l’alignant sur des pratiques génériques et esthétiques plus visibles ou valorisées.

La nécessité d’une réinscription contextuelle apparaît pourtant lorsqu’on prend la mesure de la variété des étiquettes d’époque : roman d’hypothèse, anticipation scientifique, merveilleux scientifique, roman des temps futurs et bien d’autres catégories que le modèle conceptuel de la science-fiction défini au mitan du XXe siècle tend à faire oublier ou considérer comme des manifestations imparfaites de « science-fiction archaïque ». Échapper à cette perspective téléologique et anachronique implique de considérer la diversité des contextes médiatiques et sociaux qui font apparaître des auteurs inscrits dans des sociabilités variées, participant à des portions hétérogènes du champ littéraire, investissant des circuits éditoriaux multiples qui dessinent un horizon d’attente et des conventions très différentes (littérature populaire, littérature pour la jeunesse, vulgarisation scientifique, textes politiques, productions légitimées). C’est la difficile reconnaissance des œuvres elle-même qui est concernée, dans la mesure où la légitimation repose sur des logiques parallèles, parfois croisées, entre production populaire cherchant le succès public, littérature éducative dont les enjeux ne sont pas strictement littéraires et caractère atypique de quelques œuvres jouant le jeu de la distinction.

Les études centrées sur la littérature canonique tendent à objectiver celle-ci comme une réalité indépendante des autres formes de discours ou transcendant ses conditions de production. Le cas complexe et hétérogène de l’anticipation, qui côtoie tant la littérature industrielle, le journalisme, la vulgarisation et les productions (para)scolaires que les circuits de la légitimation distinctive, appelle à procéder autrement et à développer des approches nuancées. Il soulève des questions cruciales : quelle est la part éditoriale, médiatique et collective du genre ? En quoi l’inscription des textes dans des supports de diffusion et des cohérences discursives (feuilleton, livre de prix, littérature pour la jeunesse, vulgarisation) engage-t-elle des discours de sens et de valeurs différents ? Peut-on rendre compte des dynamiques intertextuelles et architextuelles qui organisent et définissent cette production ? Comment les discours sociaux prennent-ils sens dans leurs actualisations médiatiques ?

Il convient, pour répondre à ces questions, d’interroger les conditions historiques et matérielles de développement de l’anticipation : éditeurs, carrières, réseaux, structures interdiscursives, sérialisation médiatique des imaginaires et des attentes du public, incidence du contexte de production sur la forme des textes et leur signification. Ces données sont susceptibles d’éclairer par la continuité et la récurrence, plutôt que par l’exception problématique, une littérature largement tributaire des discours médiatiques et sociaux de son temps. Elles font apparaître des ensembles relevant de logiques génériques et d’inscriptions contextuelles dont la dynamique reste à étudier. Elles mettent aussi en évidence des interférences entre personnels qui se côtoient, supports partagés et collections spécifiques.

 

Trois axes de réflexion pourront être développés :

L’anticipation dans la presse et l’édition : supports et genres

  • rôles des éditeurs et des collections accueillant du récit d’anticipation (collections populaires chez Tallandier et Ferenczi, « Les récits mystérieux » chez Méricant, collection « Hypermondes » fondée par Régis Messac, etc.)
  • caractéristiques des organes de presse publiant de l’anticipation (Magasin d’éducation et de récréation, La Caricature, Journal des Voyages, Science Illustrée, Lectures pour tous, Je Sais tout, L’Intrépide, Sciences et Voyages, etc.)
  • poétiques d’anticipation nées dans la presse (fictions scientifiques, éphémérides parodiques, catégories génériques et rubriques privilégiées)
  • sérialités éditoriales (éditeurs, collections, réseaux de distribution, modes de consommation, incidence sur la nature des textes et les attentes qu’ils induisent)
  • interactions sociales (écuries, collaborateurs attitrés) et disciplinaires (thématiques, iconographiques) induites par la presse
  • modalités d’appropriation de l’anticipation par le secteur jeunesse

 

(Il)légitimités de l’anticipation : valeurs et pratiques

  • formes de distinctions attribuées à des œuvres ou auteurs d’anticipation (Prix Jules Verne, Prix Rosny aîné, Prix Jean Ray, Goncourt pour John-Antoine Nau et Claude Farrère)
  • enjeux de reconnaissance inscrits dans les pratiques (feuilletonistes vs romanciers, types de lectorat visés selon les périodiques ou les collections)
  • dynamique et postérité des rééditions (changements de support, de périodicité, de format et de collection, rôles de l’illustration)
  • interactions multiples du populaire, du « moyen » et du légitime, depuis la production jusqu’aux réceptions successives
  • carrières dans l’ombre, nègres et seconds couteaux (André Laurie/Paschal Grousset)

 

Socialité de l’anticipation : réseaux et discours

  • sociabilités : quels auteurs se connaissent, se côtoient, se citent (dédicaces, préfaces, correspondances), s’apprécient (importance des amitiés littéraires) ou s’opposent
  • rôle fédérateur ou discriminant des filiations revendiquées autour de figures tutélaires (Rosny aîné, Renard) ; mise en perspective de ces hiérarchies littéraires avec les réseaux éditoriaux et médiatiques
  • importance des médiateurs (éditeurs, directeurs de journaux, illustrateurs, imprimeurs et libraires)
  • discours tenus sur l’œuvre d’anticipation (auteurs, éditeurs, critiques) et inscription dans le discours social qui témoignent de la part collective de l’anticipation
  • périodisation des discours produits ou relayés par les œuvres dans leur contexte social et éditorial

 

Les propositions de contribution (environ 400 mots) sont à envoyer à Matthieu Letourneux (mletourneux@free.fr) et Valérie Stiénon (valerie.stienon@univ-paris13.fr) avant le 20 février 2016. Les articles retenus seront attendus pour le 15 septembre 2016. Ils feront l’objet d’une évaluation par le comité scientifique de la revue. 

 

 

 

 

Bibliographie indicative

 

Sur l’anticipation et la science-fiction francophones avant 1940

 

Alcon Paul, Origins of Futuristic Fiction, Athens, Georgia University Press, 1987.

Angenot Marc, « Science Fiction in France before Jules Verne », Science Fiction Studies, vol. 5, part 1, 1978, pp. 58-66.

Barel-Moisan Claire (dir.), dossier « Romans d’anticipation. Une évasion du présent », Nineteenth-Century French Studies, vol. 43, n°3-4, 2015.

Bridenne Jean-Jacques, La Littérature française d’imagination scientifique [1950], Haubourdin, Éditions Antares, 1983.

Chaperon Danielle, « Du roman expérimental au merveilleux-scientifique : Science et fiction en France autour de 1900 », Europe, n°870, 2001, pp. 51-63.

Dessy Clément et Stiénon Valérie (dir.), (Bé)vues du futur. Les imaginaires visuels de la dystopie (1840-1940), Presses Universitaires du Septentrion, 2015.

Doré Sandrine (dir.), De jadis à demain. Voyages dans l’œuvre d’Albert Robida (1848-1926), Compiègne, Musée Antoine Vivenel, 2010.

Evans Arthur (éd.), Vintage Visions: Essays on Early Science Fiction, Middletown CT, Wesleyan University Press, 2014.

Fondanèche Daniel, La Littérature d’imagination scientifique, Amsterdam-New York, Rodopi, 2012.

Sylvos Françoise, « L’Émergence de la science-fiction durant la première moitié du XIXe siècle », dans Jean-Marie Seillan (dir.), Les genres littéraires émergents, Paris, L’Harmattan, 2005, pp. 183-200.

Vas-Deyres Natacha, Ces Français qui ont écrit demain. Utopie, anticipation et science-fiction au XXe siècle, Paris, Champion, 2012.

 

Approches sociales, discursives et médiatiques du littéraire

 

Angenot Marc, 1889, Un état du discours social, Médias 19 (réédition), URL : http://www.medias19.org/index.php?id=11003.

Angenot Marc, « Théorie du discours social », COnTEXTES, n°1 « Discours en contexte », 2006. URL : http://contextes.revues.org/51.

Durand Pascal, « La “culture médiatique” au XIXe siècle. Essai de définition-périodisation », Quaderni, n°39, 1999, pp. 29-40.

Durand Pascal, « Presse ou médias, littérature ou culture médiatique ? Question de concepts », COnTEXTES, n°11 « Le littéraire en régime médiatique », 2012. URL : http://contextes.revues.org/5392.

Kalifa Dominique, Régnier Philippe, Thérenty Marie-Ève et Vaillant Alain (dir.), La Civilisation du journal, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2011.

Maingueneau Dominique, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004.

Migozzi Jacques, Boulevards du populaire, Limoges, PULIM, 2005.

Mollier Jean-Yves, « La naissance de la culture médiatique à la Belle-Époque : mise en place des structures de diffusion de masse », Études littéraires, vol. 30, n°1, 1997, pp. 15-26.

Pinson Guillaume, L’Imaginaire médiatique. Histoire et fiction du journal au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2012.

Thérenty Marie-Ève, La Littérature au quotidien. Poétiques journalistiques au XIXe siècle, Paris, Seuil, 2007.

Thérenty Marie-Ève, « Pour une poétique historique du support », Romantisme, n°143, 2009, pp. 109-115.

Vaillant Alain, « Du bon usage du concept de légitimité : notes en marge de l’histoire littéraire du XIXsiècle », Lieux littéraires/La Revue, n°5, 2002, pp. 81-105.

Vaillant Alain, L’Histoire littéraire, Paris, Armand Colin, 2010.

« Multiple histoire littéraire », RHLF, vol. 103, 2003/3.

 

Histoires de l’édition et de la vulgarisation

 

Bensaude-Vincent Bernadette et Rasmussen Anne, La Science populaire dans la presse et l’édition (XIXe-XXe siècles), Paris, CNRS Éditions, 1997.

Letourneux Matthieu et Mollier Jean-Yves, La Librairie Tallandier. Histoire d’une grande maison d’édition populaire (1870-2000), Paris, Nouveau Monde Éditions, 2011.

Marcoin Francis, Librairie de jeunesse et littérature industrielle au XIXe siècle, Paris, Champion, 2006.

Mollier Jean-Yves, La Lecture et ses publics à l’époque contemporaine, Paris, PUF, « Le Nœud gordien », 2001.

Mollier Jean-Yves, « Diffuser les connaissances au XIXe siècle : un exercice délicat », Romantisme, vol. 30, n°108, 2000, pp. 91-101.

Olivero Isabelle, L’Invention de la collection. De la diffusion de la littérature et des savoirs à la formation du citoyen au XIXe siècle, Paris, IMEC et Éditions de la Maison des Sciences de l’homme, 1999.

Raichvarg Daniel et Jacques Jean, Savants et ignorants. Une histoire de la vulgarisation des sciences, Paris, Seuil, 2003.

Willis Martin, Mesmerists, Monsters, & Machines, Science Fiction & the Cultures of Science in the Nineteenth Century, Ohio, The Kent State University Press, 2006.