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L'Imperfection littéraire et artistique (Dijon)

L'Imperfection littéraire et artistique (Dijon)

Publié le par Marc Escola (Source : Xavier Bonnier)

L’Imperfection littéraire et artistique

COLLOQUE EN DEUX SESSIONS, 2018 - 2019

Colloque en deux parties successives, chronologiquement complémentaires.

Université de Dijon (1/2), 22-23-24 mars 2018 ; 2 jours ½ (organisateur principal : CPTC – EA 4178)

Université de Rouen (2/2), mars 2019 ; 2 jours ½ (organisateur principal : CÉRÉdI – EA 3229)

 

La perfection ayant toujours été d’autant plus valorisée que régulièrement réputée inaccessible (comme l’attestent les locutions rebattues de toute sorte, « Errare humanum est », « Nobody’s perfect », « À l’impossible nul n’est tenu », « l’homme est perfectible », etc.) donc désirable, il peut paraître à la fois banal de la trouver évoquée dans d’innombrables œuvres littéraires, de fiction ou non, en tant qu’elles reproduisent les frustrations et les vœux de l’humanité créatrice et spectatrice d’elle-même, et insolite d’en étudier une certaine complexité pouvant aller jusqu’à la valorisation paradoxale, et pas forcément provocatrice. Un colloque assez récent (Cerisy, 2012) avait abordé la question, mais plutôt sur le versant proprement artistique, pictural notamment, même lorsqu’il s’agissait de passer par son évocation littéraire, par exemple romanesque avec La Recherche de l’absolu, etc. Bien des aspects restent à explorer, notamment sur le plan théorique du statut artistique et de la représentation de l’imperfection.

C’est l’objet de ce colloque en deux temps, sur deux années consécutives, que d’« expliquer », de déployer les divers aspects de ce qui se donne de toute façon au départ comme un manque de quelque chose. Le colloque de 2018 tracera un parcours diachronique de l’Antiquité à la Renaissance, et le colloque 2019 de la Renaissance à l’extrême contemporain. En suivant un spectre évaluatif qui irait du pire au meilleur, les concepteurs du projet proposent d’examiner entre autres, dans le domaine littéraire et la très longue durée, les aspects suivants de cette notion transversale à l’éthique et à l’esthétique :  

I. L’imperfection réellement négative :

- Sur le plan de la création, on peut étudier la situation typique – voire topique – du perfectionnisme contestable : un grand poète tâchant de persuader l’autre que son grand poème est prêt, qu’il est parfait, tandis que l’autre lui trouve encore et toujours des défauts. Cela ouvre une réflexion sur la subjectivité de l’appréciation. On songe à Mallarmé, Valéry, et aussi bien sûr à Virgile, à Kafka, priant leurs amis de brûler leur œuvre après leur mort.

- L’imperfection par inachèvement volumétrique : L’Énéide, Le Satiricon, l’Achilléide ; la question encore ouverte à propos de la Thébaïde. Dans la période moderne, La Franciade, Le Virgile travesti, Lucien LeuwenLes Âmes mortes, Bouvard et Pécuchet, Le Château, etc.

- L’imperfection touche aussi à la décence et aux conventions sociales : pour Cicéron, on ne doit jamais avoir un langage négligé, même dans la conversation, il faut donner à tout ce qu’on dit « le degré de perfection qu’il comporte ».

- Sur un plan technique et concret, en littérature : les longueurs, les passages ratés car inutiles ou redondants, les dialogues trop écrits, les invraisemblances, les incohérences, etc. En musique se présente le même phénomène : les partitions imparfaites ou lacunaires, les brouillons, les esquisses : Janaček, Sur un sentier recouvert. Il s’agit globalement de disproportions ou de manques d’harmonie. Voir la « perception des rapports » chez Diderot notamment, et la traque d’une beauté idéale.

- L’imperfection est également une affaire de temps et de mémoire : l’incomplétude ou l’inexactitude dans le souvenir ou sa restitution, et les formules qui jouent là-dessus, sur cette limite de la mémoire ou du langage (« Rien ne saurait donner à nos lecteurs une idée de la splendeur qui... »). Le versant positif, ou sa contrepartie, n’est pas à négliger (topos de l’ineffable, thématique qui rejoint le problème philosophique de l’articulation langagière de la vérité : pour Hegel et consorts, il n’est pas de vérité hors du discours, pas de place pour les brumes intuitives inarticulées du romantisme).

- L’approximation, l’impossible exhaustivité, mérite d’être abordée, notamment dans la traduction, la restitution, l’interprétation : d’un côté le topos traduttore, traditore, attesté dès 1539 et repris par Du Bellay, de l’autre des traducteurs comme P. Leyris qui défendent l’« imperfection allusive » dans cette activité. Il y a toujours un « reste » incoercible, irréductible, qui est par hypothèse un puits sans fond et le « lieu » secret de la personnalité (voir le fameux Nabel dans Traumdeutung chez Freud, surtout récupéré par les lacaniens). Mais cette approximation est parfois aussi imprécision, et engage à explorer les définitions du bon goût (et réciproquement de la vulgarité, forme d’imperfection : depuis le maquillage un peu raté jusqu’à l’impossibilité de penser et d’argumenter avec profit à la télévision ou dans les talk-shows). Des références à S. Daney, G. Debord, P. Bourdieu vont ici de soi.

II. L’imperfection neutre ou indifférente :

- Le Baroque (on sait que barocca qualifiait en joaillerie une perle irrégulière) manifeste une certaine attirance pour l’irrégularité, la perte des repères, la démesure, la torsion. Puisqu’il y a distorsion, il y a point commun (partiel et très embrouillé) avec le maniérisme, de la Madone de Pontormo à l’Odalisque d’Ingres ou pourquoi pas Giacometti et Botero. Ce qui dessine un autre terrain de réflexion : la perfection apparente peut se payer d’aberrations (les fameuses vertèbres surnuméraires).

- Se posera forcément la question (elle aussi très embrouillée, et en lisière de la précédente) du paradigme atticisme / asianisme, surtout après les mises au point de L. Pernot, qui a montré qu’il y avait divers degrés dans l’atticisme, jusqu’à une culture des archaïsmes et des brusqueries stylistiques que l’on rangerait plutôt spontanément du côté asianiste (donc l’équivalent du baroque à première vue). Cela permettrait au passage d’évoquer le style de Fronton, de Pascal, de Quignard, amateurs d’asyndète, d’anacoluthe, d’ellipse et de rugosité.

- La rhétorique de la communication commerciale exploite cette plasticité : un célèbre site de rencontres joue là-dessus dans son slogan : « Vous n’aimez pas vos imperfections ? Quelqu’un les aimera », qui est devenu récemment et plus laconiquement « Love your imperfections ». Le concept même d’imperfection n’est donc pas désavoué ni gommé, mais c’est sa perception qui est relativisée, dans une variante contemporaine de l’amphidoxon épidictique.

- La reconnaissance, la confession publique de l’imperfection par qui s’en est rendu coupable a pu tourner au topos et devenir une marque implicite voire hypocrite d’excellence, et donc un type de discours à mi-chemin entre le défaut et la qualité. Les préfaces de quasiment toutes les œuvres néo-latines affichent cet ethos de modestie exacerbée : l’œuvre est imparfaite, grossière, tout au plus un prélude.

III. L’imperfection positive :

- Elle peut être vue comme la rançon de l’excellence suprême, du Sublime, prenant alors une valeur paradoxale et justifiant les distinguos génie / talent, grandeur / qualité, art / artisanat, etc. L’archétype littéraire en est homérique et faussement circonstanciel (Quandoque bonus dormitat Homerus). Et l’on songe au topos de l’amateur d’opéra qui aime encore mieux venir écouter son ténor préféré enrhumé que sa doublure en parfaite santé. La faillibilité se borne-t-elle à ne pas empêcher le Génie (Ubi plura nitent in carmine, non ego paucis offendar maculis), ou bien va-t-elle jusqu’à le raviver ? Et la qualité parfaite dépend-elle de l’étendue de l’œuvre et de son genre ? C’est ce que semble suggérer Callimaque, qui oppose l’image de la goutte d’eau (poème parfait) à celle du fleuve boueux (de l’épopée).

- Plus subtil, pourrait être abordé un déplacement moderniste de l’idée d’intérêt artistique : voir en peinture Hopper, qui serait moins « grand peintre » s’il était meilleur technicien. Ch. Boltanski dit ainsi aimer beaucoup Hopper, et aller voir ses tableaux avant ceux de Mondrian, parce que celui-ci, quoique meilleur peintre, est « d’une certaine manière » ennuyeux.

- Se pose aussi la question du snobisme, de l’affectation qui fait illusion. Et même, tout simplement, de la mode et de son possible « système » (Barthes) : les vêtements délibérément troués, les mauvaises combinaisons chromatiques, la notion de « décalé », d’« improbable », etc. Même interrogation sur le donjuanisme, avec ce bathos trop peu commenté : « Cette fille est trop vilaine, il me la faut » (Brassens, Don Juan). Serait-ce une forme paradoxale ou hyperbolique (comme le doute) de caritas ? S’efforcer d’avoir le plus grand nombre de partenaires en tentant l’exhaustivité ? La question est sérieuse, car il ne semble pas que quelque dramaturge que ce soit ait fait dire à DJ que celle-ci ou celle-là était trop laide et qu’en conséquence il n’allait pas en entreprendre la séduction... Perversions sexuelles (goût des malformations, infirmités, handicaps, etc.). La « coquetterie dans l’œil », le petit détail physique conjoncturellement adapté à la libido. Le désamour pour les formes parfaites, parce que trop canoniques, trop prescriptives, n’a pas été si intensément étudié, et donne une variante immémoriale de l’antiparastase argumentative (de même chez certains latins l’élégie « boiteuse » lui confère un charme supplémentaire ; au cinéma, Trop belle pour toi est emblématique). On tient là un discours implicite de rupture par rapport aux codes de la normalité sociale.

 

Ces trois grandes directions appréciatives du concept d’imperfection n’épuisent pas, tant s’en faut, la masse considérable de textes et de variations esthétiques dont il fait l’objet.   

Les propositions de communications peuvent être adressées jusqu’au 16 septembre 2017 conjointement à :

Sylvie Laigneau-Fontaine (CPTC – EA 4178) : sylvie.laigneau@u-bourgogne.fr

Et à Xavier Bonnier (CÉRÉdI – EA 3229) : xavier.bonnier@univ-rouen.fr

Les contributeurs éventuels aux travaux portant sur la seconde période (Renaissance – époque contemporaine) peuvent d’ores et déjà se proposer pour le colloque de Rouen en 2019.