Essai
Nouvelle parution
K. Ueltschi, Mythologie des Boiteux et du pied fabuleux.  Œdipe, Jacob, Mélusine & Cie

K. Ueltschi, Mythologie des Boiteux et du pied fabuleux. Œdipe, Jacob, Mélusine & Cie

Publié le par Vincent Ferré (Source : Imago éditions)

Karin Ueltschi,

Mythologie des Boiteux et du pied fabuleux. Œdipe, Jacob, Mélusine & Cie,

Paris, Imago, 2019.

EAN13 : 9782849529737.

 

Le boiteux est une des figures les plus riches de notre héritage culturel, toutes les sphères confondues : Œdipe, Héphaïstos ou Achille dans la tradition antique, Ève, Jacob ou Lucifer dans l’univers biblique, Mélusine et toute la horde de diables boiteux dans la mémoire populaire et littéraire. Mais on a rarement rapproché ces figures les unes des autres ; leur parenté fondamentale est très peu étudiée et par conséquent, le scénario immémorial dans lequel elles jouent un rôle pivot est mal identifié. Ainsi, étudier la mythologie des boiteux donne un sens insoupçonné à bien des œuvres et motifs, et illustre les recoupements constants qui existent entre « grande » et « petite » mythologie (Frères Grimm). Le « complexe de Jacob » – ce désir de hauteur et d’ascension qui a pour corrélat la menace permanente de la chute et donc de la blessure –  fonde en effet les polarités fondatrices de nos structurations mentales et que les poètes ne cessent de reformuler à travers les siècles.

Or, la boiterie est fondamentalement une affaire entre terre et ciel ; la déchéance du genre humain, à la suite de l’expulsion du Paradis, est ainsi signifiée par la morsure que le serpent a infligée au talon d’Ève, blessure devenue héréditaire : le  scénario de la chute se répète et s’actualise perpétuellement, à l’instar du destin de Lucifer qui a fini en diable boiteux. La boiterie est échue, de même, à ces démiurges originels que sont les forgerons antiques, enfin, à toutes sortes de créatures obliques aux allures ambulatoires singulières qui ont des accointances avec un monde par-delà les frontières de notre univers.

Le boiteux est également porteur d’une ambiguïté ontologique, d’une « déficience qualifiante » (G. Dumézil) : il a mis en gage (ou payé comme tribut) son intégrité physique en vue d’un bien, en l’occurrence l’accès à des sphères inaccessibles aux allures ordinaires ; il a payé de sa boiterie une liberté de mouvement et une légèreté paradoxales. Quant à la dialectique de la quête du ciel et de la descente aux enfers, elle sera élucidée par le truchement d’une image : le jeu de la marelle, à la fois labyrinthe et petite échelle de Jacob, qui constitue et le chiffre et la clef de cette étude : on ne peut atteindre le ciel qu’à cloche-pied.

Or, entrer dans l’univers des survivances mythiques exige précisément que l’on pense par images, que l’on consente à examiner des rapports de proximité forgés à partir de simples analogies, dans la synchronie et la diachronie tout à la fois ; demande que l’on accepte de constater qu’un banal jeu d’enfant, qu’un anodin dessin puissent conduire tout droit au ciel, mais aussi à la furie du Maître de l’Olympe capable de précipiter sur terre un énergumène qui lui a déplu. Entrer dans le langage chiffré du mythe, enfin, revient à refuser de régler un problème en disant que cela ne veut rien dire ; c’est accepter de creuser justement quia absurdum, parce que, en apparence, cela n’a aucun sens ; implique pour commencer que l’on pratique un examen « anatomique », à la manière de l’Ange qui a palpé la rotule de Jacob :

"Toute la nuit, tous les deux, ils luttèrent, Jacob et l’Ange. L’Ange dit : « peut-être est-il comme moi, je veux le savoir ». Et il toucha la hanche de Jacob pour voir s’il pouvait trouver la rotule de la hanche ; la hanche des anges n’est pas mobile car ils ne sont jamais assis. Alors il constata que la hanche de Jacob était mobile et il dit : « il n’est rien d’autre qu’un enfant des hommes. » Et il toucha la cuisse de Jacob et en disloqua l’articulation. "

Le boiteux patriarche Jacob a affronté l’Ange à la lutte juste après avoir contemplé une échelle dressée contre le ciel sur laquelle montaient et descendaient des créatures ailées. La marelle, petite échelle de Jacob, nous figure tous les enjeux en présence ; elle dit clairement, par le truchement de cet enfant qui saute à cloche-pied après un caillou, sur un axe entre terre et ciel, que si la boiterie est le stigmate de la chute originelle, elle est également la condition qui permettra à l’homme de remonter au Paradis perdu.

Lire un extrait…

TABLE DES MATIERES :

Introduction : La raison des images ou le complexe de Jacob      

PREMIÈRE PARTIE : DIVINS BOITEUX

Chapitre I : L’axe biblique : la chute originelle

1. Tomber : le talon d’Ève    

Caïn, le fils du serpent ; La ligne des générations.

2. Greffes et fusions

Pied blessé, parricide, inceste : le cas de Judas ; la ronde éternelle du Juif errant.

3. Ciel et Terre           

Lucifer ou nox facta est ; Nemrod ou l’hybris des hauteurs.

Chapitre II : Raisons olympiennes             

1. Maîtres du temps, maîtres de l’espace      

Saturne-Cronos à la jambe de bois ; Les vertiges de Dionysos ; Pan aux pieds de bouc ; Hermès ailé.

2. Forgerons et ingénieurs     

Héphaïstos le divin bétourné ; Dédale dé-chaîné.

3. Pieds fragiles, pieds blessé

Œdipe aux pieds enflés; La veine de Talos ; Le talon d’Achille ; La sandale de Jason.

DEUXIÈME PARTIE : LE CERCLE DES BOITEUX FANTASTIQUES

Chapitre III : L’oblique, l’unilatéral et le transgressif     

1. Déséquilibrés et tordus     

Tabous sacrés ; La cour des miracles ; Boiteux, borgnes, gauchers et roux.

2.  Les cercles de la petite mythologie         

Saint Éloi : forgeron, orfèvre et maréchal-ferrant ; Hénoch, les cordonnierset les chaussures ; Autour du gouffre de Satalie.

Chapitre IV : Inversion, dissymétrie, hybridité    

1. À rebours   

Aux antipodes ; Des envers inversés.

2. Symétrie et dissymétries   

 Patte d’oie ; Une parentèle foisonnante.

3. Autour de Mélusine          

Une lanière de cuir : le cercle linéaire ; Sirènes.

Chapitre V : Images littéraires, polyphonies poétiques

1. L’écart originel                                                                

 Le diable démasqué ;  Le chasseur vert ; Diables de charrettes.

2. Une figure de style                                                         

Jeux de mots, jeux de sens; Du grotesque gothique au réalisme anatomique ;

 La mouvance de la parabole.

 3. Le Roi Pêcheur

 Une infirmité saturnienne ; De l’épaule aux reins : euphémismes ; L’éternel retour.

TROISIÈME PARTIE : VERTIGES À L’ENVERS OU LE CARRÉ INTERDIT

Chapitre VI : Le jeu de la marelle

1. Les règles du jeu   

Homo ludens; Des lignes et des cailloux ; À cloche-pied.

2. Pactes sacrés          

Sauter et danser ;  L’entre-deux ; Neuvaines.

3. Transgressions       

Explorateurs de l’ailleurs; Échelles célestes;  Des ailes.

4. L’Ascension                      

 Axes sacrés; Ligne ou cercle ; Équilibristes et acrobates.

Conclusion : De Jacob et de l’Ange

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