Essai
Nouvelle parution
Károly Sándor Pallai, Microlectures polynésiennes : Îles, consciences et identités dans la littérature contemporaine de la Polynésie française 

Károly Sándor Pallai, Microlectures polynésiennes : Îles, consciences et identités dans la littérature contemporaine de la Polynésie française

Publié le par Vincent Ferré (Source : Adrián Bene (Université de Pécs))

Référence bibliographique : Károly Sándor Pallai, Microlectures polynésiennes : Îles, consciences et identités dans la littérature contemporaine de la Polynésie française , Département d'Études Françaises et Francophones, Université de Pécs (sous la direction de Adrián Bene), collection "Acta Romanica Quinqueecclesiensis (V.)", 2017. EAN13 : 9789634291459.

 

Dans Microlectures polynésiennes, l’auteur se propose de faire une étude philosophique et psychologique approfondie de l’identité dans les textes littéraires de la seconde moitié du XXe et du début du XXIe siècles. L’objectif de l’ouvrage est de saisir et d’expliciter la rencontre enrichissante et/ou conflictuelle des cultures, des langues, des histoires, des regards et des apports méthodologiques, d’établir une typologie implicite des conceptualisations de l’identité et de l’altérité. Le travail implique la nécessité d’étudier le corpus dans une perspective synchronique, mais également d’avoir recours à un point de vue approfondissant le côté diachronique en traitant des « phénomènes mnémoniques » et en enrichissant l’optique du travail en complétant les micro-analyses textuelles par la vue macrologique, plus globale d’une herméneutique historique.

 

L’étude du champ littéraire océanien de l’extrême contemporain et de la seconde moitié du XXe siècle cherche à situer les processus, les discours et formations identitaires dans un univers culturel, historique, linguistique pour enrichir et contextualiser l’analyse identitaire.

Dans l’écriture de Chantal Spitz, la métacritique historique se complète d’une remémoration et d’une narrativisation de soi, d’une réflexion critique sur l’héritage et les paradigmes individuels et collectifs de l’identité. Elle décrit dans une critique trancheante, d’un ton acéré, cassant et inexorable, la violence historique, civilisationnelle, religieuse, symbolique, physique, politique et psychique de la colonisation. L’étude de l’écriture spitzienne se focalise sur la dimension diachronique de la crise du moi causée par l’absence d’une identification rassurante, d’une remise en cause de l’identité. L’auto-évaluation et les processus de conscientisation du sujet se situent dans une critique culturelle, politique, psychologique de la colonisation, dans un schéma de réévaluation de l’horizon épistémologique et ontologique. À cette démarche s’ajoute l’auto-critique intransigeante tout en conservant la référentialité individuelle, l’auteure essaie de trouver « une identité de conciliation entre la référence à l’autonomie individuelle et à la communauté d’appartenance » et elle insiste sur l’importance du « positionnement de soi sur un horizon composé de valeurs » . L’analyse psycho-philosophique vise la réhabilitation et la revivification de la subjectivité, la redéfinition dynamique de l’axe identité-altérité. 

Dans Matamimi ou La vie nous attend (2006) de Stéphanie Ari’irau Richard, on est témoin de l’histoire d’une jeune insulaire polynésienne immortalisée dans et par l’écriture. Dans ce texte, dont le titre signifie yeux de chat, yeux verts ou yeux bleus, le processus d’immortalisation se conçoit par l’élaboration éidétique de l’écriture comme démarche constitutive qui nous donne à observer les résurgences de singularités individuelles et collectives, des formules de chants ancestraux (hīmene). Le monologue de la mère de Matamimi, qui constitue le texte, est régi par une éthique de l’immédiateté de l’Autre (Matamimi) dont l’omniprésence installe une réciprocité dialectique dans le récit monolithique. La structuration du texte, l’omniprésence de la langue tahitienne, les formules incantatoires – porteuses de paradigmes de représentations, de croyances, de visions du monde, de mythologies, d’entrecroisements et d’interfécondations complexes du réel et du mythique – définissent les cadres conceptuels de l’interprétation, de la lecture des formulations énonciatives.

La position épistémologique fondamentale de l’œuvre se dessine dans l’herméneutique interpesonnelle qui se postule dans la suite de textes d’inspirations diverses (poésie, prose, chant ancestral) préparant le déploiement d’un texte souvent oralisé, la valeur ontologique de la parole (parau) et du texte qui font naître et renaître Matamimi en tant qu’actes langagiers créatifs dans l’espace interstitiel de l’oralité et de l’écriture, dans l’hybridité du sujet parlant (mère) et du sujet évoqué, créé (Matamimi) tout en faisant dissoudre la bipolarité des personnages principaux dans la pluralité culturelle, dans les multiples imaginaires et dans la constante interrelation du traditionnel, du mythique et de la narration individuante prenant forme au sein de la Polynésie française (Fenua).

L’écriture de Philippe Neuffer se prête à l’analyse des complexités épistémiques, culturelles de l’aire polynésienne, des paradigmes identitaires liés aux univers langagiers, à la cohabitation, l’inter-fécondation et l’inter-pénétration du français, du tahitien et d’autres langues régionales de l’Océanie. Cet espace complexe représente une conscience de décentralisation, un réseau de transgressions et de transpositions mentales et physiques, un imaginaire de l’insularité et de l’archipélité : toute étude doit donc être ouverte pour prendre en compte les visions du monde, les épistémologies et les histoires des peuples de l’Océanie, définissant comme point de départ ou point essentiel de toute analyse les différentes stratégies et constructions de connaissance, les dynamiques langagières et les échanges et influences inter-linguistiques. Dans l’écriture neufferienne, le français est peint et travaillé comme une langue polyphonique reflétant l’imaginaire créatif de la langue tahitienne, la présence de genres musicaux traditionnels (hīmene nota, tārava, hīmene rū'au) et la sonorité de diverses styles, techniques et interprétations des chants (hā’u, perepere). Le mélange des langues influe sur la connaissance de soi, l’ipséité, les processus narratifs ainsi que sur la conscience collective.

L’ouvrage sonde également la dimension contre-exotique et post-exotique de la représentation littéraire, la distance établie par la modalité réflexive : l’inventivité formelle, la dynamique inhérente aux œuvres et la volonté de réécrire et transformer les tensions « établissent de poétiques originales ». Il s’agit de poétiques transgressives qui cherchent à dépasser les limites

formelles et thématiques, les frontières discursives d’un exotisme dépassé et d’un contre-exotisme réactionnaire régi par des contraintes d’une dépendance contre-discursive. Les textes de Chantal Spitz, de Nathalie Heirani Salmon-Hudry, de Turo a Raapoto, de Henri Hiro et de Patrick Amaru essaient de dresser la symptomatologie des pratiques exotisantes, de défaire les clichés ethno-historiques et anthropo-culturels pour jeter les fondements d’une « esthétique de l’hétérogène ». Il s’agit de retranscriptions de l’héritage revivifié ayant au centre l’horizon inter-subjectif, des temporalités plurielles et protéiformes, d’une visée critique de la soumission et de la marginalisation et d’une interrogation minutieuse sur les conceptions identitaires. Une vue

polyscopique et le réembrassement du passé vécu, de l’héritage enrichissent l’activité conscientisante de l’écriture et créent un axe axiologique, éthique qui sert de cadre pour la description du dysfonctionnement émotionnel, des traumatismes physiques et psycho-émotionnels, des souffrances et des problèmes centraux de la réalité psycho-sociologique contemporaine. L’encadrement analytique des textes de genres, de longueurs et de rythmes différents est assuré par l’éventail méthodologique pluriel, par le dispositif théorique hybride de l’horizon herméneutique psycho-philosophique.

Chantal Spitz, Titaua Peu et Mataa’ia’i analysent dans leurs écrits, d’une manière approfondie et détaillée, la « microphysique du pouvoir » (post-)colonial, symbolique, culturel, religieux. Parallèlement, elles mettent à nu la macrophysique de la domination également, le « discours doxique culturel ». Cette démarche critique sert à reconceptualiser et réhabiliter les composantes perdues, dominées, oubliées de l’identité, à la transformation des concepts et perceptions identitaires en vue d’un « repli interrogatif sur soi ». L’objectif de l’attitude autocritique est de renouveler les paradigmes « des écritures du moi », de les remettre en question pour les analyser dans le contexte socio-culturel, historico-politique, mais même malgré cette réflexivité introspective et extrospective, la distanciation analytique totale n’est jamais possible. Le caractère fragmentaire est dû au fait que la « quête du moi […] se traduit, pour l’autocritique, par une lutte contre la dissolution du moi dans les écrits ». En analysant l’écriture de Chantal Spitz, de Titaua Peu et de Mataa’ia’i, j’esquisse les stratégies de recomposition d’une « égotique » philosophique et politique critique. Ainsi, la « fictionalisation de soi » devient un opérateur essentiel, un moyen d’étude pivotal pour la reconceptualisation de l’identité collective dans la perspective de la réalité politico-socio-économique contemporaine et de l’histoire vécue, partagée. Cette approche se complète « d’un engagement personnel et d’un travail sur l’événement », sur les vécus quotidiens, d’une résistance contre-narrative à la dépossession de soi et d’une tentative discursive descriptive de fixation de l’identité flottante.

Par ses analyses de textes et micro-lectures, l'auteur propose d'étudier en profondeur la question de l’identité dans les œuvres littéraires. De cette façon, cette monographie est d’une importance considérable et fait des progrès sensibles non seulement dans le domaine des lettres polynésiennes ou des littératures océaniennes mais dans le champ des études francophones et de l’histoire littéraire en général.

 

L’ouvrage est disponible en ligne dans son intégralité en accès libre :

http://francia.btk.pte.hu/sites/francia.btk.pte.hu/files/files/oceanie_acta_romanica_um.pdf

 

Károly Sándor Pallai est océaniste, chercheur, traducteur, poète et éditeur. Il a soutenu une thèse de doctorat avec félicitations du jury sur les littératures contemporaines de le Caraïbe, de l’océan Indien et de l’Océanie dans laquelle il a consacré une analyse psychologique et philosophique détaillée à l’identité dans les œuvres littéraires (La micrologie de l’identité archipélique). Membre de plusieurs sociétés savantes et littéraires (États-Unis, Australie, île Maurice, France, Colombie, Grèce, Thaïlande, Pays-Bas), il écrit et publie de la poésie en dix langues. Auteur d’articles sur l’histoire littéraire de la Polynésie française (Topoï de contre-exotisme dans l’écriture de Titaua Peu; Corporéité, histoire et mémoire dans la littérature polynésienne contemporaine; Langue(s), identité(s), folie(s), dans Les gens 2 la folie de Philippe Neuffer; Histoire et identité dans l'écriture de Chantal Spitz; Jegyzetek a polinéziai irodalom történetéhez; Discontinu et fragmentaire dans l'écriture contemporaine de la Polynésie française, Writing Oceania), de Suriname (Suriname kortárs költészete) et des îles néerlandaises de la Caraïbe (A karibi holland szigetek költészete), il est le premier traducteur hongrois de plusieurs langues étrangères (papiamento, saramaka, hindoustani caribéen, créole seychellois, haïtien, guadeloupéen). Il était le premier chercheur à consacrér des articles à la poésie contemporaine de Wallis et Futuna (Identité, héritage et histoire dans la poésie contemporaine de Wallis-et-Futuna; Histoire, mythe et le paradigme identitaire dans la poésie wallisienne et futunienne). Après avoir consacré des articles à la littérature indianocéanienne (Outre-mer littéraire et présence plurielle ; Idenité et altérité dans l’écriture de Jean-François Samlong), seychelloise (Résonances, langages, écritures; Konzigezon filozofik size poetik; Paradigms of Space and Corporeity in the Contemporary Poetry of the Seychelles; Mondes multiples, chiralité; Lapoezi kontanporen seselwa), en 2017, il a publié une monographie sur la poésie seychelloise contemporaine (Subjectivités seychelloises, Presses de l’Université de Pécs, Département d’Études Françaises, 113 p.) consacrée à l’analyse psychologique et philosophique de l’identité dans les textes poétiques. Il est également l’auteur d’un ouvrage sur les littératures contemporaines de la Caraïbes, de l’océan Indien et de l’Océanie, un recueil d’entretiens avec les auteurs majeurs des littératures francophones d’outre-mer (Mosaïque des océans, Presses de l’Université de Pécs, Département d’Études Françaises, 228 p.)

 

Table des matières

AVANT-PROPOS

Contexte historique : Un aperçu océanien

Histoires et engagements dans l’écriture de Chantal Spitz

Parau, hīmene et fenua dans Matamimi de Stéphanie Ari’irau Richard

Langue(s), identité(s), folie(s) dans Les gens 2 la folie

de Philippe Neuffer

Discontinu et fragmentaire dans l’écriture contemporaine

de la Polynésie française

Topoï de contre-exotisme dans l’écriture polynésienne

contemporaine

Writing Oceania: Paradigms of Identity and Insularity

in Contemporary Poetry

BIBLIOGRAPHIE

TABLE DES ILLUSTRATIONS