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 La réalité de la fiction II : des relations entre fiction, narration, discours et récit (CNAM, Paris)

La réalité de la fiction II : des relations entre fiction, narration, discours et récit (CNAM, Paris)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Benoit Petitpretre)

Appel à communication :

Journée d’études, Cnam Paris 6 juin 2019

La réalité de la fiction II

Ou des relations entre fiction, narration, discours et récit

En mai 2018, nous avons eu le plaisir de nous retrouver au Cnam pour une journée d’études, riche et dense, qui nous avait permis d’explorer les liens entre fiction et réalité. Ces liens étaient structurés autour de plusieurs nœuds. Le premier permettait de réfléchir à la fiction au regard d’autres énoncés supposés non fictionnels. Le deuxième a consisté à se demander à quoi pouvait servir ce recours à la fiction, quelles sont les fonctions de cette dernière. Enfin, une troisième direction nous a amenés à considérer l’apport de la fiction à l’activité de recherche. L’ensemble des communications de la journée sera rassemblé dans un recueil à paraître en 2019.

Ces directions restent d’actualité, notre première journée n’ayant évidemment pas épuisé tous les sujets. En complément, nous vous proposons à présent trois nouvelles pistes de réflexion qui nourriront, nous l’espérons, vos contributions à venir pour le colloque de 2019, toujours dans une perspective large de la fiction. Ainsi, nous pourrons nous interroger sur ce que fait l’univers digital au récit et à la fiction, sur la capacité anticipatrice de la fiction ou bien encore sur sa capacité à restituer des situations et événements complexes que les autres formes de discours semblent bien en peine à incarner, ce qui revient également à poser la question du témoignage des acteurs eux-mêmes.

1. Univers digital, création, entreprise et récits

Ainsi, dans l’univers numérique, la disponibilité des récits est incommensurable. Ces récits ont une influence sur la construction de la réputation d’une personne ou d’une organisation. Un travail récent mené à HEC Paris relate une expérience étonnante à ce propos[1]. Dans le cadre d’un enseignement, et sur dix années, deux groupes d’élèves d’un même cours d’une école de commerce ont dû travailler sur la notoriété d’une entreprise fictive imaginée pour l’exercice. Pour l’un des groupes, il s’agissait de construire la réputation de l’entreprise, et pour l’autre... de la démolir. Tout cela en bâtissant un environnement d’informations positives ou négatives mais sans prendre contact directement avec les médias. Cet ensemble de récits (interviews, communiqué de presse, site internet créés pour l’occasion) permettra à l’entreprise fictive d’apparaître d’une façon très visible dans les recherches en ligne.

Sans que le phénomène ainsi constaté soit nouveau, il prend dans cet environnement numérique une puissance sans précédent qui pose de multiples questions. En particulier autour de la construction de récits, dont on ne voit plus à quoi ils se réfèrent, du fait notamment d’une longue chaîne de reprise et de rediffusion de ces discours, de l’anonymat de ceux qui répercutent ces informations. Pourtant, ces récits impactent fortement la réputation ou l’image d’une entreprise ou d’un individu. La viralité semble ainsi supplanter toute véracité référentielle.

D’une façon plus générale, on pourra s’interroger sur les fictions non revendiquées comme telles (non artistiques) ou les « fictions sérieuses ». Ainsi des questionnements sur le type d’acteur qu’est l’entreprise ou l’organisation (et donc le rôle qu’elles ont vocation à jouer), tout à la fois fiction organisée dans le réel et réalité observée, puis mise en scène dans les fictions. La caractérisation réaliste ou au contraire extravagante de l’organisation apparaît en effet de façon récurrente dans les œuvres de création, et notamment les séries télévisées, sur des registres ô combien différents, de Star Trek au Bureau des légendes en passant par Caméra Café, The Office ou encore Mad Men.

2. La fiction anticipatrice

Autre perspective, la seconde saison de la série HBO Westworld vient de s’achever en 2018. Elle met en scène la société Delos propriétaire d’un parc d’attraction représentant l’ouest américain au moment de sa conquête. Ce parc est peuplé d’androïdes – les hôtes – particulièrement ressemblants et chargés d’assouvir les fantasmes des visiteurs (humains), qui peuvent faire ce qu’ils veulent sans danger. Les hôtes, faisant office de figurants aux ordres des invités, voient leur mémoire remise à la fin de chaque boucle narrative afin d’être prêts pour recommencer à l’identique ces épisodes.

Réalité virtuelle, augmentée, intelligence artificielle, la série donne à voir sous un jour fascinant et glaçant ces sujets d’actualité. Elle est également l’occasion de revisiter un thème éculé : la révolte des robots. On peut noter que le terme même de « robot » vient de la littérature avec la pièce de l’auteur tchèque Karel Čapek[2]. Bien évidemment, les fictions artistiques jouent à nous faire peur, puisque nous aimons cela. Mais ainsi que le note l’un des acteurs de Westworld, « c'est stupéfiant de voir à quel point le monde réel en vient à se calquer sur la fiction. D'une certaine manière, l'univers de Westworld représente un signal d'alarme véritablement effrayant »[3]. En effet l’un des secrets de ce parc est de se servir de ses visiteurs en les espionnant afin de copier leurs émotions et comportements, pour créer des hôtes encore plus vrais que nature. Cela fait écho au scandale Cambridge Analytica qui a éclaté après le tournage de la série et a révélé l’utilisation des données personnelles dans le cadre des élections américaines.

3. Témoignage, événement et fiction

L’année 2018 a été marquée en France par le cinquantième anniversaire du mouvement social de « mai 68 ». Cela a donné lieu à quantité d’événements, de commémorations et d’analyses qui ont été accompagnés par des publications, émissions et productions diverses. Une grande partie de ces productions est le fait d’analystes, de commentateurs, de chercheurs, et moins souvent des acteurs eux-mêmes, ou alors, lorsque ceux-ci sont appelés à témoigner et que ce témoignage a été repris dans des documents. À mesure que l’on s’éloigne de l’événement, les participants et témoins sont de moins en moins nombreux, renforçant la présence de voix indirectes. Pourtant, il est bien certain que les acteurs de mai 68 ont quelque chose à dire.

Parmi toute la production écrite autour de mai 68, un texte retient notre attention. Il s’agit du roman d’Oliver Rolin, Tigre en papier, publié initialement en 2002 et réédité en 2018. Son auteur a été un participant direct de mai 68, puisqu’il fut l’un des animateurs des GPA (Groupes de Protection et d’Auto-défense) au sein de l’Union des Jeunesses Communistes[4]. Pour évoquer ces événements, Olivier Rolin choisit la forme romanesque, celle d’une rencontre entre un homme, Martin, ayant vécu à la fin des années 60 les mouvements sociaux en tant que militant, et une jeune femme, qui est la fille de son meilleur ami, lequel vient de décéder. Martin va entreprendre de raconter cette époque à la fille et son amitié avec son père. On descend alors des estrades et on sort des cortèges de manifestants pour s’intéresser au quotidien des militants. Cette narration est faite sans embellissement, mais lucidement et avec tendresse pour les personnages. En tout cas, on est loin d’une analyse sociologique, exclusivement scientifique, du mouvement politique : on se place délibérément sur le registre du récit incarné. Mais ce récit, même romancé, s’appuie sur le vécu de son auteur. Et il nous en dit beaucoup sur cette période. Les acteurs semblent empêtrés dans leurs convictions et pris dans les contradictions de leurs intentions, qui se heurtent à la réalité. Ainsi, lorsqu’ils tentent d’éviter de basculer dans le terrorisme et que le narrateur relate leurs stratagèmes pour poursuivre leur engagement tout en constatant que cela les amène à un point où « [leur vie] était devenue une épuisante fiction. Fabriquer de fausses bombes, inventer de fausses raisons à leurs faux échecs, (tout ça pour empêcher un vrai prolétaire de commettre, par leurs personnes interposées un vrai massacre : aspirés par cette spirale du mensonge, ils se demandaient de temps en temps si c’était bien ça, la Révolution pour laquelle ils avaient plaqué famille et études, la Révolution dont ils avaient cru qu’elle manifestait la vérité du monde, qu’elle était le grand Révélateur »[5]. La fiction devient donc un moyen de se protéger d’une réalité devenue encombrante, de se mettre à l’abri et de prendre soin de soi et des autres. Cela nous interroge également sur la façon de témoigner et de restituer des phénomènes ou des événements complexes.

Toutes les propositions au-delà de ces trois axes proposés et de tous horizons disciplinaires seront bien évidemment étudiées.

Comité scientifique : Sophie Agulhon (Université Paris 8 Vincennes St-Denis), Rémi Jardat (IRG) / Université Paris Créteil) Jean-Baptiste Legavre (Institut Français de Presse / Université Paris 2 Panthéon Assas), Eve Lamendour (Cerege / Université de la Rochelle), Sonny Perseil (LIRSA / Cnam), Yvon Pesqueux (LIRSA / Cnam), Benoît Petitprêtre (LIRSA / Cnam), Sébastien Rocher (Cerefige / Université de Lorraine).

Calendrier et consignes

Envoyez vos propositions de contribution (résumé de 5000 signes maximum) avant le 31 mars 2019 à Sonny Perseil (jean.perseil@lecnam.net) et Benoit Petitprêtre (benoit.petitpretre@lecnam.net)

Les propositions comprendront les noms, prénoms coordonnées et affiliations scientifique (laboratoire) et institutionnelle (Etablissement, université, école…) des auteurs. Elles devront permettre de saisir précisément les matériaux de recherche sur lesquels reposera l’article, sa problématique et la démarche intellectuelle dans laquelle l’auteur s’inscrit, les principales thèses, notions et références mobilisées, ainsi que les résultats des recherches effectuées.

Les contributions finales, d’un calibrage compris entre 20 000 et 40 000 signes, seront rédigées en français et/ou en anglais en vue de leur publication dans une revue académique anglophone et/ou dans un ouvrage collectif édité en France.

 

Références indicatives :

Caïra O. (2011) Définir la fiction, Editions de l’EHESS, Paris.

Dumez H. (2016) Méthodologie de la recherche qualitative, les clés de la démarche compréhensive, Vuibert, Paris.

Eiseinhardt K. (1991) « Better stories and better constructs : the case for rigor and comparative logic », Academy of Management Review, vol. 16, N°3, p. 620-627.

Frankfurt H.G. (2006) De l’art de dire des conneries, 10/18, Paris.

Gennette G. (1991) Fiction et diction, Seuil, Paris.

Goodman N. (1992) Manières de faire des mondes, Gallimard, Paris.

Grimand A. (2009) « De la fiction comme méthode de recherche légitime en gestion des ressources humaines ». Actes du XXème Congrès de l'AGRH Toulouse, 6/9 septembre

Jablonka I. (2014) L’histoire est une littérature contemporaine, manifeste pour les sciences sociales, Editions du Seuil, Paris.

Lavocat F. (2016) Fait et fiction, pour une frontière, Seuil, Paris.

Letourneux M. (2017) Fiction à la chaîne, Seuil, Paris.

Philips N. (1995) « Telling Organizational Tales : On the Role of Narrative Fiction in the Study of Organizations », Organization Studies, Vol. 16, n°4, p. 625-649.

Rancière J. (2017) Les bords de la fiction, Le seuil, Paris.

Rancière J. (2018) Les temps modernes : Art, temps, politique, La Fabrique Editions, Paris.

Salmon C. (2007) Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, Paris.

Schaeffer (1999) Pourquoi la fiction, Seuil, Paris.

Schaeffer JM (2005) « Quelles vérités pour quelle fiction ? », L’Homme, vol 3 n°175-176, p°19-36.

Searle J. (1982) Sens et expression, Editions de minuit, Paris.

Taïeb E. (2001) « Persistance de la rumeur. Sociologie des rumeurs électroniques », Réseaux, vol. n° 106, no. 2, p. 231-271.

Van Maanen J. (1995) « Style as thoery », Organization Science, Vol 6, n°1.

Weick K. (2001) Making sense of the organization, Blackwell Publishing.

[1] https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2018/09/22530-la-veritable-histoire-de-la-fable-du-p-dg-le-plus-charismatique-deurope/

[2] Čapek K. (2011) [1920] R.U.R. Rossum’s Unversal Robots, Minos Editions de la Différence, Paris.

[3] https://www.huffingtonpost.fr/2018/05/07/westworld-saison-2-l-un-des-premiers-mysteres-de-la-serie-serait-il-enfin-resolu_a_23428855/

[4] Bourseiller C. (2008) [1996] Les maoïstes, la folle histoire des gardes rouges français, Plon, Coll. Points, Paris

[5] Rolin O. (2018) [2002] Tigre en papier, Editions du Seuil, Coll. Points Signature, Paris