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Journée d'Étude

Journée d'Étude "Le politique au carrefour des disciplines"

Publié le par Marc Escola (Source : Université Paris 7-Denis Diderot)

Le but de cette Journée d’Étude interdisciplinaire sur le politique (à distinguer de la politique, entendue comme l’ensemble des institutions, des organisations et des procédures du pouvoir), est de délimiter un espace de dialogue et de réflexivité entre disciplines autour de la question de la définition du politique. Les chercheurs en humanités éprouvent en effet une difficulté commune à cerner le statut du politique dans la construction de leur objet, et ce d’autant plus que cette construction engage quelque chose de subjectif. À partir de quel moment un événement, une situation sociale, une interaction ou une manifestation de la subjectivité, un agir individuel ou collectif, un texte ou un style, une œuvre d’art, un discours, une image ou un dispositif matériel/technique, peuvent-ils être qualifiés de politiques ? Quelles sont les procédures sous-jacentes à cette qualification ? Quel type de rapport entre savant et objet du savoir cette qualification engage-t-elle ?

Dans la qualification/typification politique, gît un problème plus vaste tenant à la focale que les humanités utilisent pour cerner les phénomènes humains en tant que phénomènes politiques : c’est cette focale qu’il s’agira d’explorer, en ouvrant la « fabrique conceptuelle » de la philosophie, de la sociologie, de l’anthropologie, de l’histoire et de la littérature, autour de la question de la définition du politique. Une plus grande réflexivité sur « ce que politique veut dire » entre savoirs disciplinaires constitue, a fortiori, une gageure de clarté sur le rapport entre les savoirs et la politique. À partir de ces différentes modalisations du politique, c’est le rapport de l’Université à la cité qu’il s’agit de problématiser en dernière instance. Être « à la hauteur » du politique est la meilleure voie pour repenser la politique dans toute sa complexité et, contre les réductions technicistes et consensualistes contemporaines, pour le penser comme « art ».

Programme de la journée

9h15 : Petit déjeuner.

9h30-9h45 : Introduction par F. Tarragoni, MCF en sociologie (LCSP – Université Paris Diderot)

9h45-10h40 : H. Gueguen, MCF en philosophie (DICEN-IDF-CNAM)

« Philosophie politique et philosophie sociale. Pour une réhabilitation des sources aristotéliciennes de la philosophie sociale critique »

Réélaborée récemment par Axel Honneth (2001), puis, à sa suite, par Franck Fischbach (2009), la « philosophie sociale » vise à opérer une critique de la catégorie traditionnelle de « philosophie politique », ainsi que, par son truchement, de la distinction du « social » et du « politique ». Prenant acte de ce que cette revendication d’un domaine propre à la philosophie sociale a pour effet de poser à nouveaux frais la question fondamentale de la définition du politique, notre communication se donne deux objectifs distincts.

Il s’agira d’abord, dans un premier temps, de présenter les principales coordonnées du débat contemporain sur cet écart entre philosophie sociale et philosophie politique, en montrant à la fois quelles en sont les principales cibles, et quelles sont les différences (en termes de méthode, d’objet et de rapport entre la philosophie et les sciences sociales) qu’elle implique.

Nous attachant de façon plus spécifique à la généalogie de la philosophie sociale telle qu’elle fut établie par Honneth, Fischbach et, au début du siècle dernier, Horkheimer (1931), nous tenterons ensuite de montrer que, si la constitution d’une telle démarche apparaît solidaire de l’émergence de la modernité et du « social », celle-ci peut néanmoins également être lue comme un héritage ou une reprise de questionnements initialement formulés au sein de la philosophie politique grecque et, plus particulièrement, aristotélicienne. Prenant pour objet cette filiation antique, nous tâcherons par conséquent de plaider pour une réappropriation plus conséquente de cet ancrage aristotélicien, en montrant que la philosophie pratique d’Aristote (en particulier concernant les enjeux de la « vie bonne », de la praxis et du possible) fournit des ressources précieuses pour le projet propre à la philosophie sociale contemporaine - c’est-à-dire pour une critique sociale du temps présent.

Discutant : P. Cingolani, Professeur de sociologie (LCSP - Université Paris Diderot)

10h40-11h35 : M. Löwy, Directeur de recherche émérite du CNRS (CEIFR – EHESS) 

« Littérature et Politique. Kafka et l'anarchisme ».

L'œuvre littéraire de Kafka n'est pas politique au sens habituel du mot, mais elle traduit un sentiment d'insoumission, un état d'esprit anti-autoritaire,  un " désir infini de liberté" (lettre à Felice). Une des manifestations de cette attitude "libertaire" fut la participation de Kafka - selon plusieurs témoignages - aux activités de cercles anarchistes pragois, notamment au cours des années 1910-1911. On peut repérer, dans ses contes et romans, cette Stimmung anti-autoritaire, d'abord contre les autorités de type patriarcal,  et ensuite des pouvoirs impersonnels.

Discutant : S. Coeuré, Professeure d’histoire contemporaine (ICT-Université Paris Diderot)

11h35-11h45 : Pause

11h45-12h40 : N. Wolf, Professeure de littérature (ALITHILA – Université Lille III)

« Roman et démocratie : contrat, fiction, diction »

On partira dans cette communication de l’hypothèse selon laquelle  le roman moderne est la forme où se joue et se forge l’identité narrative de la démocratie. A  ce titre, il existe une démocratie interne au roman qui repose sur trois éléments : premièrement, une mimésis du contrat social, et plus généralement, du  fonctionnement politique de la démocratie ; deuxièmement, le déploiement de fictions démocratiques, au sens où le monde construit par le texte configure et refigure les propriétés et les crises des sociétés démocratiques ; troisièmement, une diction démocratique, qui relance et prolonge dans la langue littéraire les enjeux de la démocratie.

On examinera ces trois éléments à travers des exemples empruntés à la littérature romanesque des  XIX°, XX° et XXI° siècles.

Discutant : A. Kupiec, Professeure de sociologie (LCSP – Université Paris Diderot)

12h40-13h : Discussion générale.

13h-14h30 : Pause-déjeuner

14h30-15h25 : N. Villacèque, MCF en histoire ancienne (CERHIC – Université de Reims)

« "Voyez-vous cela, vous autres ?" A Athènes, le regard en public »

« Je vous en prie, mes chers concitoyens, ne tenez pas compte des apparences. Je suis un homme du Midi, qui parle avec ses mains, avec son visage. Cela peut indisposer. Écoutez ce que je dis : est-ce que ce que je dis est vrai ou faux ?! », disait Jean-Luc Mélenchon le 9 octobre 2014 dans la matinale de France Inter. Comme si la gestuelle de l’homme public, et son corollaire, le regard que l’on pose sur lui, constituait un obstacle à la communication. La mise en représentation du politique est aujourd’hui si unanimement décriée, y compris par ceux-là même qui la mettent en œuvre, que l’on en oublie l’essence démocratique. Les Athéniens, aux Ve et IVe siècles avant J.-C., en avaient pourtant conscience, comme le montre l’examen des modalités de délibération dans l’Athènes démocratique, où les assemblées populaires, qu’elles fussent politiques, judiciaires ou encore théâtrales, avaient lieu en plein air et en plein jour. Pour le peuple, se regarder, assemblé et souverain, regarder les orateurs à la tribune et les acteurs au théâtre, était un moyen de s’assurer de son propre pouvoir. Le regard est nécessaire à la démocratie.

Discutant : É. Tassin, Professeur de philosophie politique (LCSP – Université Paris Diderot)

15h25-16h20 : E. Fureix, MCF en histoire moderne (Université Paris-Est Créteil - IUF)

« L’iconoclasme, un objet d’histoire politique ? Souveraineté et recharge révolutionnaire, 1830-1831 »

L’iconoclasme, entendu comme l’atteinte à des images ou des signes visuels jugés intolérables, fait rarement l’objet d’interprétations de nature politique. Soit on l’analyse sur le registre de la déploration patrimoniale – sur le mode d’un « vandalisme révolutionnaire » quasi pulsionnel – soit on le réfère à une pensée religieuse de l’aniconisme ou à une haine de la représentation. C’est une tout autre démarche que nous nous efforçons de mener ici. L’iconoclasme, à la suite de la Révolution française, à partie liée avec le politique en train de se faire, au ras du sol : il cible généralement des signes à référents explicitement politiques (statue ou buste d’un souverain, arbre de la liberté, drapeau ou cocarde, etc.), et vise des effets proprement politiques – transfert de souveraineté, appropriation d’un espace de pouvoir, ou, a minima, protestation dans l’espace public, forme extrême du graffiti. Il demeure, au XIXe siècle, le corollaire des grandes ruptures politiques, révolutions et dé-révolutions qui jalonnent la période qui court de la Restauration à la Commune de Paris. Cette persistance de l’iconoclasme, peu interrogée par l’historiographie, peut être lue comme le produit d’une intense conflictualité politique, bien sûr, mais surtout comme le fruit d’une croyance persistance dans le « pouvoir des images » et des signes, à un moment où le sensible continue de dire les rapports de force et les lignes de fracture. Histoire politique, histoire des sensibilités et histoire des cultures visuelles peuvent être conjointement sollicitées pour saisir l’historicité de ces gestes.

L’iconoclasme doit cependant être analysé comme un geste en situation, dans des interactions sociales bien précises, dans des espaces dont le marquage devient enjeu de pouvoir, et dans des rapports au temps singuliers. La séquence proposée ici est celle qui accompagne et suit immédiatement la Révolution de 1830.  L’un des premiers gestes des insurgés parisiens, le 28 juillet 1830, consiste à effacer les fleurs de lys des enseignes commerciales, autour des barricades, à lacérer les drapeaux blancs et détruire les bustes du roi Charles X. Six mois plus tard environ, en février 1831, une deuxième vague iconoclaste continue de viser des fleurs de lys, mais aussi des croix de missions et autres signes politico-religieux. A la suite de ces derniers événements, la fleur de lys disparaît des armoiries de l’Etat royal. Seront analysés ici les liens entre l’iconoclasme et un processus révolutionnaire (avec son moment de « recharge »), et ce qu’ils peuvent nous dire du rapport à la souveraineté populaire et aux espaces de pouvoir, mais aussi de la dimension conjuratoire de l’iconoclasme. Il s’agit moins, en détruisant, de régénérer (à la différence de 1792 ou 1793) que de conjurer le retour possible de la contre-révolution.

Discutant : P. Petitier, Professeure de littérature française (CERILAC - Université Paris Diderot)

16h20-17h15 : L. Jeanpierre (Professeur de science politique, LABTOP - Université Paris 8).

« Suspendre l'identification du politique : condition des études politiques ? »

L'objectif de cette communication est de présenter quelques réflexions sur la manière dont la science politique (en particulier en France, mais pas exclusivement dans ce pays) a construit ses objets. Sous ses versants théoriques ou empiriques, positivistes ou plus critiques, la science politique est partie de définitions essentialistes ou institutionnelles de la politique ou du politique. Une partie du renouvellement qu'a connue la discipline depuis une trentaine d'années a consisté, au contraire, à ne pas décider a priori de la nature plus ou moins politique des comportements ou des objets étudiés. Pour cette manière de voir, rien n'est politique en soi, mais tout peut le devenir sous des conditions qui sont à préciser. Ce mouvement disciplinaire rejoint aussi l'une des idées qu'exprimait, dans un entretien, Michel Foucault, au soir de sa vie : « (...) Le paysage politique n'a été si profondément renouvelé depuis vingt ans que parce qu'il y a eu un travail intellectuel sur des problèmes qui n'apparaissaient pas comme politiques et dont l'analyse a montré à quel point ils étaient en connexion avec la politique. Un des résultats les plus féconds de ce travail a été justement que la fameuse catégorie du “politique”, dont on nous avait rebattu les oreilles à l'université, a été balayée. Ce n'est pas à travers la définition du politique qu'ont pu être posés des problèmes à la fois d'existence, d'institution et de pensée. La mise en communication des mouvements de pensée, de l'analyse des institutions et de la problématisation de la vie quotidienne, personnelle, individuelle, tout cela a permis que soit crevé l'écran que formaient des catégories comme "la politique" ou "le politique" (...). Si on code à l'avance, si on détermine ce qu'est la politique, on stérilise et la vie intellectuelle et le débat politique ». On essaiera ici à la fois d'expliciter ces affirmations, de les relier à des contributions venues de la science politique des trente dernières années et aussi à des transformations des rapports sociaux ayant eu lieu durant la même période.

Discutant : F. Flipo (MCF en philosophie, LCSP – Université Paris Diderot/Institut Mines-Telecom).

17h15-18h : Discussion générale et remarques de clôture.