Agenda
Événements & colloques
Cinéma d'animation et arts plastiques, la question du dessin

Cinéma d'animation et arts plastiques, la question du dessin

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Université de Toulouse 2 Le Mirail)

Cinéma d'animation et arts plastiques,  la question du dessin

Journée d’étude organisée par l’ENSAD-Paris  et l’Université de Toulouse II-Le Mirail

10 décembre 2012

ENSAD-Paris, Amphithéâtre Rodin

 

Matin

Modérateur : Serge Verny

9h00 – 9h30 : Introduction

9h30 – 10h00 : Projections

10h00 – 10h30 : Dominique Willoughby, cinéaste, Université Paris 8

Dessiner – animer, pourquoi dessiner ?

10h30 – 11h00 : Ilan Nguyên, Université des Arts de Tokyo

 Enjeux  formels dans l’oeuvre de Yamamura  Kôji

11h00 – 11h30 : Patrick Barrès, Université Toulouse II-Le Mirail

Des poïétiques du trait dans le dessin animé

11h30 : Discussion

Après-midi

Modérateur : Patrick Barrès

14h00 – 14h30 : Olivier Subra, plasticien, Université Toulouse II-Le Mirail

Cinéma d’animation, le dessin « animé »

14h30 – 15h00 : Antoine Barjini, ENSAD- Paris

Le « dessein » animé : le corps et son image dans le cinéma d’animation

15h00 – 15h30 : Serge Verny, ENSAD-Paris

Lignes et kinesthésie

15h30 : Discussion

16h00 – 17h00 : Table-ronde avec les intervenants de la journée d’étude, avec des enseignants et cinéastes : François Darrasse, Sébastien Laudenbach, Florence Miailhe  et un élève, Thomas Pons (diplômé 2012) de l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs-Paris.

17h00 : Synthèse et conclusion de la journée

A partir de 19h00 : Projection des films de la promotion 2012 du secteur Cinéma d’animation de l’ENSAD au Studio des Ursulines (10 rue des Ursulines, Paris 5e)
Argument

Le cinéma d’animation intègre des éléments techniques, exploite des problématiques plastiques et aborde des questions esthétiques attachées à différentes pratiques des arts plastiques, le graphisme et la peinture, la sculpture et le décor, la création numérique et la vidéo. Il se réfère au fond culturel, au registre traditionnel ou au volet de l’innovation, sur les plans technologique et esthétique, en jeu dans ces pratiques. Les expériences engagées autour du mouvement s’articulent de manière dialectique aux développements graphiques, chromatiques, scénographiques et numériques. Les cinéastes plasticiens impliquent ces scénarios poïétiques, rapportés aux chantiers de création, dans le fil même des processus narratifs.

Les pratiques du cinéma d’animation, sur le support de ces interactions et de ces dynamiques, et au travers de la diversité de ses terrains d’exercices, s’inscrivent dans une voie de création-recherche. Ces expériences assurent un renouvellement des conduites et rejoignent la formulation de nouveaux paradigmes. Les ressorts poïétiques, les motivations, les conditions d’expériences et les paramètres du chantier se redéfinissent à l’occasion de ces aventures créatrices, suivant une logique de l’incertain (Pierre-Michel Menger) ou de la surprise (Robert Breer), suivant un art de la retouche permanente caractéristique d’une activité de laboratoire (Alexandre Alexeïeff), suivant une pratique de « l’hybridation » caractéristique des méthodes numériques (Edmond Couchot), suivant une dialectique de l’invention (Hubert Damisch, René Passeron).

Le développement de la création-recherche dans un cinéma d’animation d’artiste plasticien impose de questionner les modèles de référence, les méthodes, les systèmes et les rationalités. Il invite à confronter les savoirs rapportés aux différents champs de pratiques et à identifier les cultures visuelles concernées. Le propos recoupe ainsi des approches poïétique et esthétique, et aborde des questions d’ordre épistémologique. Les problématiques portent sur l’épanouissement du jeu d’expériences dans le processus de création, sur les signes de tension qu’il entretient avec différentes instances, avec les modèles constitués ou avec les systèmes en formation, avec les lignes de fond du projet cinématographique ou avec les lignes de programme de la synthèse filmique, avec les processus narratifs en cours, et sur la dimension esthétique. Cela revient par exemple à repérer dans le chantier de création les marques de l’indéterminé, de l’instable et du mouvant, en contrepoint avec des éléments de régulation et des signes de composition. Il s’agit enfin de reconnaître des motifs d’invention et d’identifier de nouveaux paradigmes, en prenant à partie les notions clefs des cinéastes pionniers ou des réalisateurs actuels qui conceptualisent leurs pratiques : la « géométrie mobile » de Fernand Léger (1922) et « l’entre-image » de Norman McLaren (1957), la « kinesthésie » de Len Lye (1959), les « plis-sur-plis » de Stan Brakhage (1966) et la « masse plastique » de Youri Norstein (années 2000), le « velours d’acier » d’Alexeïeff  (1957) et la « tactilité » de Jacques Drouin (2005), le « grain de l’image » de Henry Selick (2008), « le noir sur noir et le blanc sur blanc » de Toccafondo (2008) et le « dessin pour projection » de William Kentridge (1989).

La question du dessin est au coeur du développement et du renouvellement des conduites créatrices et des pratiques de recherche du cinéma d’animation. Le dessin conjugue les différents traits du disegno, ce qui tient au domaine de l’esprit, au projet et à l’activité de conception, et ce qui se rapporte au mode d’expression, à la proposition. Le dessin existe dans son autonomie de signe graphique, d’altération d’une surface et de trace d’un geste. Il se manifeste dans la relation avec les matériaux en exercice et avec les modelés plastiques, dans la tension avec la couleur et avec les différents paramètres impliqués dans la mise en forme ou dans la structuration de l’espace plastique (le plan, le cadre, etc.), dans la relation avec les différentes formes de mouvement (entre une fluidité cinématographique et des rythmes variés). Les dialectiques à l’oeuvre, dans ces pratiques croisées des mouvements du dessin et des dessins en mouvement, sont à identifier au niveau plastique (plastique et cinéplastique) et sur le plan esthétique, au regard des matériaux mobilisés (des substances graphiques et des matières en tous genres, telles que l’encre, le sable, le papier découpé, etc.), des outils, des moyens et des opérations plastiques (entre une ligne d’épure ou une ligne d’esquisse ou entre la ligne et le trait, des opérations de recouvrement, d’altération, de fragmentation, etc.) et des poïétiques (entre la voie d’un abandon au dessin et la ligne dure du programme, entre l’émergence des modelés et la résurgence des modèles, entre la modulation et la modélisation, etc.).

Les pratiques du dessin se définissent entre les deux pôles de l’archaïque et du technologique, au regard des matériaux et des outils qui sont engagés, et compte tenu des concepts qui sont mobilisés. Elles confrontent ou conjuguent, suivant différents régimes de complémentarité, d’interaction ou d’hybridation, des savoir-faire traditionnels et des technologies innovantes, différents éléments du langage plastique, ses constituants élémentaires liés aux matériaux bruts, aux éléments du monde concret ou physique, et des données symboliques caractéristiques des technologies numériques, rapportées à différents modèles scientifiques. L’art numérique intervient aux niveaux de la conception et de la modélisation, de la saisie et du traitement des images et des plans. Il assure une plus grande « plasticité de forme et de mouvement » et favorise une « versatilité du dessin » (Dominique Willoughby). Il contribue ainsi à élargir les champs d’expériences du cinéaste artiste et à renouveler les pratiques plasticiennes du cinéma d’animation.

 

Cette journée d’étude a pour objectif d’examiner les formes et les modalités des expériences de dessin et des pratiques graphiques du cinéma d’animation, et d’en identifier la force esthétique. Elle met à contribution des artistes et des cinéastes, des enseignants et des chercheurs spécialistes dans différents champs disciplinaires des arts et des sciences humaines : des arts plastiques et des études cinématographiques, de la philosophie et de l’esthétique. 

Coordination scientifique 

Patrick Barrès (Professeur arts appliqués, arts plastiques, Université Toulouse II- Le Mirail)

Serge Verny  (Professeur, coordonnateur du secteur cinéma d’animation de L’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs, Paris)

Résumés des interventions

 

Dominique Willoughby

Cinéaste, enseignant Université Paris 8

Dessiner – animer, pourquoi dessiner ?

Au sein de l’animation l’emploi du dessin relève depuis l’origine (1833) d’une lignée spécifique, d’un cinéma graphique, qui peut employer diverses substances graphiques d’inscription - dessin, gravure, peinture, etc. - en les associant au principe cinématographique de la synthèse du mouvement. Cette lignée peut également hybrider ou annexer la photo et le calcul numérique. Expliciter l’emploi du dessin dans les images animées aujourd’hui suppose également de situer cette technique dans le contexte de la triade « dessin - photo – calcul » contemporaine.

Le dessin en s’animant se transforme, il est reproduit, démultiplié, retracé, effacé, hybridé, dissout dans le mouvement. Le mouvement à construire doit toujours être pensé, évalué esthétiquement et géométriquement, ce qui nécessite un travail particulièrement laborieux, manuel, dont le résultat porte les traces de multiples pensées, gestes et matériaux. Son registre s’étend de l’écriture à la figure, entre « signe et tache » (W. Benjamin), selon toutes les fonctions, formes et significations que peut prendre la ligne animée, dont la versatilité permet constamment de jouer selon diverses combinaisons.

La question récurrente du déclassement et du reclassement des arts par les inventions techniques, et en particulier celle des relations des arts plastiques et du cinéma graphique, ne peut être posée simplement selon une confrontation art - technique. Elle nécessite de considérer le dessin animé et le cinéma graphique en tant que lignée technique spécifique qui s’universalise, désormais employée dans des secteurs diversifiés, qu’elle modifie en les faisant communiquer.

Quels en sont les emplois et les enjeux esthétiques aujourd’hui ? Pourquoi dessine-t-on toujours des images animées ?

On examinera quelques exemples des emplois du dessin animé contemporain, de l’industrie cinématographique aux pratiques artistiques artisanales en essayant d’en déterminer les spécificités esthétiques dans le contexte contemporain du cinéma et des arts et techniques visuels.

Ilan Nguyên

Université des Arts de Tôkyô

Enjeux formels dans l’oeuvre de Yamamura Kôji

L’oeuvre de Yamamura Kôji (né en 1964) apparaît aujourd’hui comme l’une des plus remarquables du cinéma japonais d’animation indépendant. Des origines de sa vocation pour l’image par image, et de ses débuts dans ce domaine, au milieu des années 1980, aux Cordes de Muybridge (2012), son dernier film (en co-production avec l’ONF), cet exposé vise à  retracer les explorations formelles qui caractérisent les diverses étapes de son parcours.

Patrick Barrès

Professeur arts appliqués, arts plastiques, Université Toulouse II-Le Mirail, plasticien

Des poïétiques du trait dans le dessin animé

Hubert Damisch repère dans les drippings de Jackson Pollock un « principe d’organisation des surfaces » tout à fait singulier, caractéristique d’une « dialectique de l’invention ». Celle-ci tient, selon son expression, à une « destruction progressive du dessin : le trait étant moins tracé que traîné ». La « dialectique de l’invention » intègre la rupture avec les normes attachées à la culture visuelle classique. Elle privilégie le libre jeu des modelés, au détriment des modèles instaurés. Une invention créative se fonde sur une plasticité reconsidérée.

Des « dessins animés » ou des « dessins aux traits animés » étendent aux expériences du cinéma d’animation ces lignes de création des arts visuels. La problématique du « trait traîné » imprègne, suivant des voies combinées d’abandon du dessin et « d’abandon au dessin » (Stefano Ricci), les poïétiques du dessin animé. Des traits tracés et des traits traînés, des traits de mémoire et des traces-mouvement constituent les motifs et rejoignent les dynamiques d’un « dessin animé » fondé sur les relations entre les mouvements du dessin et les dessins en mouvement. Ils signent plus largement les traits de caractère d’un cinéma d’animation plasticien.

 

Olivier Subra

Plasticien, docteur en Arts plastiques, chargé de cours Université Toulouse II-Le Mirail

Cinéma d’animation, le dessin « animé »

Dix ans après avoir dessiné les troubles personnages de Nightmare before Christmas, Tim Burton, par la grâce de sa rencontre avec Henri Selick, voit ses créations prendre vie. Les réalisations graphiques de Burton, initialement remisées par l’industrie du cinéma pour cause de noirceur excessive, se trouvent ainsi réinvesties dans un projet plastique à l’ampleur nouvelle. L’univers qui est en germe dans ces dessins, sa diégèse, se développe et se matérialise à travers un processus qui le confronte aux enjeux plastiques, techniques et économiques propres au cinéma d’animation. Au bout de ce processus d’une complexité démesurée, les créations échappent (enfin) à leur auteur et un nouvel objet apparaît, un objet irréductible aux dessins qui l’ont fait naître, inaliénable au travail de l’un ou l’autre des acteurs de cette chaîne, pas même l’auteur lui-même.

Cette démarche qui semble aujourd’hui classique (esquisses et diégèse, scénarisation, production) soulève une interrogation concernant l’oeuvre graphique première, esquisses, recherches, et son devenir. Que se passe-t-il lorsque le dessin, par le miracle de la technologie s’anime ? Lorsqu’au geste qui l’a produit et dont il porte irrémédiablement la trace, se superpose (ou se substitue) le mouvement de la figure ? Que devient la trace graphique lorsque l’animation — révélant ainsi tout le poids de l’étymologie anima — libère et réalise l’illusion que produit le dessin ?

Des tracés originels à l’oeuvre finie, toute l’ampleur projective du dessin se trouve mise en lumière, rappelant ainsi que nous sommes dans cet espace bien plus proche du disegno, volonté plastique et artistique animant le projet esthétique, que d’un dessin qui se réduit au seul acte graphique. Comme aux grandes heures du disegno, la pratique graphique s’investit ici dans un projet qui ordonne et définit des modes de production, investit et réinvente des moyens techniques et matériels, au service d’un récit, d’une historia que les arts visuels et la littérature ont depuis longtemps débarrassée des contraintes causales et de la déférence réaliste qu’imposaient les contenus religieux et historiques du temps d’Alberti.

L’oeuvre animée pourrait ainsi être vue comme une illusion qui se veut réelle, se réalise et s’installe parmi les autres objets du monde, tout en manifestant au plus haut point son caractère artificiel par la matérialité, par la plasticité ostensible de ses images, mais aussi par les circonvolutions, les latences causales et temporelles de ses récits, par les manques et les excès des univers qu’elle créé. Une krisis au sens premier révèle toute la force philosophique de ces dessins « animés ».

Antoine Barjini

Professeur ENSAD, graphiste et plasticien

Le « dessein » animé, le corps et son image dans le cinéma d’animation

À l’origine, le mot « dessin » s’écrivait « dessein ». Il se comprenait donc comme une intention ou un projet. Dans le cadre du cinéma d’animation cette idée est centrale. La création d’un personnage animé revêt un caractère absolu. Elle est totale si on la compare à l’univers du cinéma ou à celui du théâtre où, pour incarner un personnage, on a recours à un acteur qui, quel que soit son talent, sera en quelque sorte « contraint » par son propre corps. Malgré tous les efforts de transformation, sa voix, sa silhouette, ses traits ne seront jamais totalement effacés.

Alors que l’incarnation d’un personnage dans l’imaginaire d’un dessinateur ne passe pas par un autre médium que le dessin. La décision est entière et l’intention est clairement déclarée.

Les femmes de Joanna Quinn sont l’incarnation de son imaginaire. Elle les a créées, elle a décidé de leurs traits et de leurs caractères. Elle a créé leur enveloppe corporelle avec des traits et des lignes qui leur donnent vie en même temps qu’ils cadrent leur image.

Mais le dessin porte aussi en lui d’autres possibles. Grâce à la maîtrise de la composition et au caractère « sensible » du trait et de la gestion des gris dans les films de Youri Norstein, une émotion spécifique émane des personnages et les fait évoluer dans un cadre propice au développement de l’histoire. Le dessin « installe » le regard dans un certain confort qui permet à ce dernier de « plonger » dans l’histoire. Le regard est guidé par le dessin…

C’est cette idée de dessin-décision qui sera développé autour d’exemples de cinéastes animateurs qui utilisent pleinement le dessin pour incarner des personnages entiers aux caractères bien définis. 

Serge Verny

Professeur ENSAD, réalisateur

Lignes et kinesthésie

La ligne s’inscrit entre deux instants. Dans l’acte de dessiner, le geste relie le temps à l’espace. La nature de la ligne est multiple, visible, et invisible, ligne-force, ligne de gravité... Au XIXe siècle, Horace Lecoq de Boisbaudran incorpore dans l’enseignement des Arts du Dessin la « récitation dessinée » par des exercices de mémoire, à côté de l’étude de l’antique, du modèle vivant, de l’anatomie et de la perspective. Sa méthode est basée sur la ligne simple progressant vers une complexité croissante. Le dessin utilise à des degrés divers les processus d’observation, de mémorisation, de transposition, et d’imagination. Paul Klee expérimente l’énergie linéaire et la ligne comme acte de mobilité en s’inspirant des phénomènes naturels.

Dans La mémoire du vent de Bernard Moninot, c’est la nature qui dessine.

La ligne est vécue selon différentes modalités, exploration de l’oeil parcourant le dessin fixe, et dans le cas du mouvement apparent du dessin animé, expérience des formes temporelles et de la plasticité des durées.

La mémoire visuelle est souvent associée à la mémoire kinesthésique. Cette notion de kinesthésie, le sens du mouvement, est au coeur de l’animation avec la « mémoire musculaire de la main » chez Norman McLaren, la « kinesthésie esthétique » et la muse « Cinétique » chez Len Lye notamment. Cette notion traverse les différentes strates depuis les couches les plus profondes de notre expérience sensorielle, elle dépasse les catégories techniques et technologiques. En filigrane elle est aussi présente dans d’autres disciplines artistiques.

L’expérience de la ligne, du dessin de mémoire à l’intériorisation et à la composition du mouvement sera abordée par des exemples et des écrits d’artistes et de cinéastes.