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Journalisme et narrations (Metz)

Journalisme et narrations (Metz)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Crem)

Le Centre de recherche sur les médiations à Metz (Université de Lorraine)

organise, le mardi 27 novembre 2018, une journée intitulée

« Journalisme et narrations »

dans le cadre de son programme quinquennal

« Narrations de la société/Sociétés de la narration » (2018-2022). 

 

Programme

9h00 Accueil 9h30 Ouverture

Jacques Walter (directeur du Crem, Université de Lorraine, France) 9h45 Introduction

Audrey Alvès et Angeliki Monnier (Crem, Université de Lorraine, France) 10h00 Raphaël Baroni

(École de français langue étrangère, Université de Lausanne, Suisse)

Récit informatif, récit immersif et récit immergé : les différentes postures de la narration journalistique et ses enjeux stylistiques et éthiques

Modérateur·ice·s : Charlotte Lacoste et Jacques Walter

11h15 Roselyne Ringoot
(Gresec, Université Grenoble Alpes, France)

Livres et narrations journalistiques : l’auctorialité du journalisme en question

Modérateur·ice·s : Marie Chagnoux et Pierre Morelli 12h30 Déjeuner

14h30 Marie Vanoost
(ILC, Université catholique de Louvain, Belgique)

Récit médiatique, journalisme narratif et narration transmédia : comment l’univers narratif d’Into the wild invite à réinterroger ces notions et leurs articulations

Modérateur·ice·s : Loïc Ballarini et Céline Ségur

15h45 Gabriel Sevilla
(Grammar & Cognition Lab, Université Pompeu Fabra, Espagne)

Les enjeux cognitifs du journalisme narratif : une perspective historique

Modérateur·ice·s : Jean-François Diana et Anne Piponnier

17h Conclusion
Audrey Alvès et Angeliki Monnier

*

Résumé des interventions

Raphaël Baroni

Récit informatif, récit immersif et récit immergé : les différentes postures de la narration journalistique et ses enjeux stylistiques et éthiques

Cette communication cherchera à illustrer les profits que l’on peut espérer tirer d’un travail de théorisation des formes narratives en contexte médiatique, qui ne se limite pas à recycler une héritage narratologique élaboré dans le creuset des études littéraires. Après avoir critiqué le rapprochement opéré par P. Ricœur entre la configuration du discours historique et la mise en intrigue du récit de fiction, je soutiendrai qu’il existe deux prototypes opposés de narrativité, qui forment deux pôles extrêmes entre lesquels se répartissent les représentations narratives, suivant que ces dernières se donnent pour tâche principale d’expliquer un événement ou, au contraire, de produire une immersion dans l’expérience racontée. Ces deux prototypes narratifs seront illustrés par deux récits différents d’un même événement dramatique. J’évoquerai également l’existence d’un troisième prototype : celui du récit immergé dans l’actualité, pour lequel la distinction entre temps du discours et temps diégétique n’a pas lieu d’être. La question des enjeux éthiques de ces différents prototypes narratifs sera discutée dans le contexte du discours journalistique. En conclusion, je reviendrai sur certaines interrogations centrales qui m’ont accompagné tout au long de ma trajectoire de recherche. Il s’agira de montrer de quelle manière une redéfinition fonctionnelle de l’intrigue comme mécanisme, et non comme forme, nous aide à comprendre la nature des rapports des récits, factuels ou fictionnels, avec l’expérience pré-médiatisée. On insistera en particulier sur la définition de l’intrigue comme dispositif intrigant et comme artefact mimétique, pour repenser le fonctionnement d’une narrativité émergente, qui peut coller à l’actualité d’un événement réel, comme il peut improviser les arcs narratifs d’une fiction improvisée.

Roselyne Ringoot

Livres et narrations journalistiques : l’auctorialité du journalisme en question

Cette contribution s’inscrit dans un parcours de recherche visant à développer des outils conceptuels qui permettent de renouveler l’approche discursive du journalisme. D’abord consacrés aux identités éditoriales, aux genres journalistiques, à la « dispersion » du journalisme liée à la théorie des formations discursives, mes travaux se sont plus récemment orientés vers la notion d’auctorialité en journalisme. La convocation de la notion d’auteur (Ringoot, 2012) part de l’hypothèse qu’on assiste aujourd’hui à des stratégies d’individualisation de la parole journalistique dans un contexte de prolifération de l’information. Le recours au livre pourrait marquer un tournant auctorial dans le sens où le livre devient un support de publication d’enquêtes, reportages, analyses, etc. (Bastin, Ringoot, 2014). La tendance à l’individualisation énonciative n’obère pourtant pas l’appartenance au groupe professionnel et au collectif éditorial, ce qui nous conduit à envisager plusieurs facettes de l’auctorialité journalistique (Ringoot, 2015). Dans cette perspective, les livres journalistiques condensent et diversifient les interrogations portant sur la construction sociale du journalisme et sur la légitimation des journalistes par leurs pratiques de narration du réel.

Marie Vanoost

Récit médiatique, journalisme narratif et narration transmédia : comment l’univers narratif d’Into the wild invite à réinterroger ces notions et leurs articulations

Si la notion de transmédia a d’abord été développée dans le cadre d’œuvres de fiction (Jenkins, 2007), elle s’est très vite étendue à d’autres domaines. Au sein de la sphère journalistique (Gambarato, Alzamora, 2018), elle est généralement utilisée pour caractériser une stratégie concertée et cohérente de déclinaison de contenus entre différents supports médiatiques, soit à l’intérieur d’un projet particulier, soit plus globalement au sein d’un média ou d’un groupe de médias. Elle fait également écho, plus indirectement, aux logiques de dispersion et de circulation qui sous-tendent la notion de récit médiatique (Lits, 1997) – même si la dispersion et la circulation n’y sont pas planifiables et contrôlables comme dans l’univers de la fiction. Il existe cependant des phénomènes journalistiques transmédiatiques plus spontanés et décentralisés que ceux qui naissent d’une stratégie transmédia, et pourtant plus organisés et complexes que ne le laisse entendre la notion de récit médiatique.

C’est le cas d’Into the Wild, surtout connu au travers du film (Penn, 2007) et du livre (Krakauer, 1996) éponymes, mais qui nait d’un fait divers couvert par les médias américains. Ce dernier se trouve amplifié au travers du journalisme narratif (Vanoost, 2013a, 2013b) et de son adaptation filmique pour créer un univers narratif plus large.

Dans un premier temps, cette conférence reviendra rapidement sur les notions de récit médiatique, de journalisme narratif et de narration transmédia. Ensuite, elle détaillera comment, et avec quelles limites, les principes de la narration transmédia – circulation/forage, continuité/multiplicité, immersion/extraction, création d’un univers, sérialité, subjectivité et performance (Jenkins, 2013) – s’appliquent à l’univers qui se dessine autour du récit d’Into the Wild. Enfin, elle propose une réflexion sur la façon dont cet univers invite à réinterroger les trois notions de récit médiatique, journalisme narratif et narration transmédia, ainsi que leur articulation.

Gabriel Sevilla

Les enjeux cognitifs du journalisme narratif : une perspective historique

Au cours des dernières années, on a vu l’essor d’un journalisme narratif (Boynton, 2005) qui, prenant le relais du Nouveau Journalisme des années 1970, a remis l’accent sur l’importance de « raconter l’actualité » à travers les ressources de la mise en scène, le dialogue réaliste, l’empathie du lecteur et la description de détails du quotidien (Wolfe, 1973). Ces récits journalistiques poursuivent un but très ambitieux : l’immersion totale du lecteur. La narratologie cognitive, pourtant, s’est rarement interrogée sur les enjeux spécifiques de cette « immersion factuelle ». La question est néanmoins très relevante pour la discipline, non seulement parce que la narratologie connaît bien les mécanismes de l’immersion dans les récits de fiction, mais aussi parce que les récits journalistiques façonnent de manière directe notre cognition du réel, multipliant ainsi les enjeux de cette « immersion factuelle ». Un aperçu sur l’histoire de la narratologie cognitive peut nous aider à définir ces enjeux.

On peut distinguer deux grandes étapes dans l’histoire des études cognitives du récit. Dans la première (années 1890-1950), le récit n’est toujours pas envisagé comme un objet d’étude, mais comme un outil pour l’étude de phénomènes cognitifs plus vastes, comme la mémoire (Binet, 1894, 1900 ; Bartlett, 1932), la cognition esthétique (Ingarden, 1931, 1937) ou l’attribution de rôles sociaux (Heider, Simmel, 1944 ; Heider, 1958). Cette première étape est dominée par l’essor de la psychologie sociale et expérimentale, qui conçoit la pensée narrative comme étant socialement déterminée et empiriquement mesurable. Dans la deuxième étape (années 1950-aujourd’hui), marquée par la révolution cognitive (Miller, 2003), la pensée narrative devient un objet d’étude de plein droit pour de nouvelles disciplines comme l’intelligence artificielle (Schank, Abelson 1977 ; Wilensky, 1978) ou la psychologie cognitive (Bruner et al., 1956 ; Bruner, 1986). Les sciences humaines font leur propre tournant vers la réception, cherchant à expliquer la lecture narrative en termes sémio-pragmatiques (Eco, 1979), fonctionnalistes (Sternberg, 1978) ou herméneutiques (Ricœur, 1983- 86), jusqu’à ce que les études littéraires donnent naissance à la narratologie cognitive sous ce nom (Jahn, 1997). Au long de cette deuxième période, les aspects psycho- sociaux perdent peu à peu leur relevance. Mais la tendance commence à se renverser aux années 2010. D’une part, les études en neuro-image associent la lecture narrative à l’activation de régions cérébrales réglant notre empathie (Oatley, 2016), c’est-à-dire notre capacité d’immersion dans le point de vue et les émotions d’autrui. D’autre part, la psychiatrie et la psychopathologie du développement distinguent des degrés zéro-positifs (autisme) et zéro-négatifs (psychopathie) d’empathie (Baron-Cohen, 2011), relevant ainsi les enjeux éthiques complexes de l’immersion.

Cet aperçu historique nous permet de tirer trois conclusions fondamentales pour le journalisme narratif. Premièrement, la « préhistoire » de la discipline nous rappelle l’importance de l’approche psycho-sociale pour l’étude de la cognition narrative, ce qui touche de près les récits journalistiques, dont les sources et les effets sociaux sont évidents. Deuxièmement, la psychiatrie et la psychopathologie nous apprennent que l’étude de l’immersion ne peut pas rester sur un plan purement formaliste et fonctionnaliste, mais qu’il faut adopter aussi une perspective axiologique, évaluant les vertus et les risques de l’immersion, et la manière dont ceux-ci peuvent façonner notre cognition du réel. Troisièmement, les études en neuro-image nous montrent la possibilité de vérifier empiriquement les hypothèses narratologiques des sciences humaines, encourageant la création d’un pont entre les deux cultures de C. P. Snow (1959) à travers le récit journalistique.

Références et ressources

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Baron-Cohen S., 2011, The Science of Evil. On Empathy and the Origins of Cruelty, New York, Basic Books.

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