Essai
Nouvelle parution
J. Sgard, Vie de Prévost

J. Sgard, Vie de Prévost

Publié le par Marie de Gandt (Source : Livre reçu)

Jean Sgard, Vie de Prévost (1697-1763), Presses de l'Université Laval, 2006.
296 p., ISBN: 2763783376.

Présentation de l'éditeur:
La vie de Prévost prend constamment la forme d'un roman : coups de tête, engagements soudains, exils et évasions, passions et ambitions démesurées, effondrements et rétablissements imprévus, tout y est excessif et désordonné. Quand il tente lui-même d'en écrire l'histoire, il esquive les plates réalités de la pauvreté et du labeur pour se lancer dans le récit d'une destinée hors du commun ; il a le génie du mensonge, le génie du roman à l'état natif.

Écrire une vie de Prévost ce sera d'abord démêler la légende et la réalité ; ce sera chercher en même temps ce qui, de sa vie, passe dans le roman, car l'allusion autobiographique affleure dans tous ses récits. On y verra la tentation de l'aventure dans un monde en désordre ; on y verra aussi l'engagement malheureux, la « fatale formule » qui le condamne à la pauvreté, à la chasteté et à la soumission, lui qui rêvait de fortune, de femmes et d'indépendance. Cette vie en porte-à-faux de moine malgré lui le mène à toutes sortes de compromis et de dissimulations : on le découvrira dans le même temps mondain, abbé de qualité, aventurier sans trop de scrupules, séducteur à tout-va, et par-dessus tout, écrivain attelé à reconstruire obstinément cette vie morcelée.

Ce qui donne sens et unité à cette existence, c'est sans doute la volonté d'être écrivain et de vivre de sa plume. On s'est donc attaché à rendre ici tous les aspects de la vie d'un homme de lettres au XVIIIe siècle, d'un écrivain qui du début à la fin, s'est voulu romancier et s'est assumé comme tel : Prévost d'Exiles.

Jean Sgard, professeur émérite à l'Université Stendhal de Grenoble, a consacré l'essentiel de ses recherches à la presse et au roman au XVIIIe siècle, notamment à Prévost et à Crébillon.


TABLE DES MATIÈRES

Introduction. Biographie et roman

La reconstruction biographique (2) ; obscurité de la vie de Prévost et prolifération des légendes (3); apologie, réquisitoire et réhabilitation (4). Une biographie critique : trame chronologique, analyse des documents, recoupements et décryptage des allusions autobiographiques dans les romans de Prévost (6). La voix personnelle dans la narration (10).

I. L'ENFANCE À HESDIN

Complexité des relations familiales dans les romans de Prévost (11). Origines familiales : la souche bénédictine de Mouriez et la généalogie des Prévost sur sept générations (12-19). Le milieu social : l'emprise religieuse (20) ; la carrière civile après le rattachement de la Flandre à la couronne de France ; le silence des archives familiales sur Antoine François Prévost (22).

L'enfance : acte de naissance (22) ; mort de la mère de Prévost, malheurs de la guerre (23) ; études au petit séminaire, humanités au collège des jésuites (26) ; mort de sa soeur, Thérèse Claire (27).

Ancrage historique des romans de Prévost : une fin de règne (27) ; la guerre vue de près. Persistance des liens familiaux et famille imaginaire (29). Un homme du Nord (32).

II. LE JEUNE AVENTURIER

Dix années obscures, du départ d'Hesdin en 1711 à la profession de foi bénédictine en 1721 (33). Quatre esquisses biographiques à concilier : l'autobiographie du Pour et Contre, l'Abrégé d'A. N. Dupuis, l'article de L. M. Gaultier dans le Journal de la Cour et de Paris et les Lettres sur les affaires du temps de J. E. Gastelier en 1738 (34).

Le contexte et les sources historiques : le rouge et le noir (39). Premier engagement chez les jésuites, première carrière militaire, retour chez les jésuites en 1714, nouvel engagement à l'armée et désertion, admission au noviciat de La Flèche en 1717, fuite et campagne de 1719. Le caractère d'une vie d'aventurier (40).

L'aventurier réinventé : similitudes de la vie du chevalier des Grieux et de la vie de Prévost (46) ; stratégie d'une apologie pro domo. Les Huit philosophes aventuriers de 1752 et la marque personnelle des « malheureuses aventures » de Prévost (48).

III. LE MOINE NOIR

L'engagement dramatique de 1721 (52). Dom Boudier rencontre Prévost à Jumièges, mais se tait sur les raisons de son engagement. Contexte de l'année 1720, année terrible selon Buvat (53). Pourquoi Jumièges ? (54) La protection de Mgr Sabatier, évêque d'Amiens.

La « fatale formule » du 9 novembre 1721 et les premiers doutes (55). La rupture avec le père.

Saint-Ouen de Rouen et la querelle de la Constitution Unigenitus (58). Les Aventures de Pomponius en 1721-1722 et le « quiproquo » (60-61).

Trois abbayes : le Bec-Hellouin et la rencontre du duc de Villars (63) ; un complot imprévu avec Le Cerf de La Viéville à l'abbaye de Fécamp (64). L'abbaye de Sées et le mystère de la traduction de l'Histoire de M. de Thou (65). La prêtrise. L'arrivée aux Blancs-Manteaux puis à Saint-Germain-des-Prés, où Prévost se convertit à la Constitution. Projets de carrière littéraire (67).

IV. LA RUPTURE

Histoire d'un bref de translation (71). La lettre au supérieur de Saint-Germain-des-Prés et la riposte de Dom Thibault : la lettre de cachet du 6 novembre 1728 (73) ; Prévost défroque et s'enfuit. Hollande ou Angleterre ? Projet d'édition de l'Histoire de M. de Thou (76).

Ce que c'est que défroquer (78) : le thème de l'apostasie dans les romans de Prévost ; les conversions, l'inquiétude religieuse, quelques clés des Mémoires d'un homme de qualité (79). La réputation durable d'un romancier religieux et sacrilège : « Manon Lescaut de l'abbé Prévost » (83).

V. L'ÎLE HEUREUSE

La conversion à l'anglicanisme en 1729 (87). L'apprentissage de l'anglais. Les réfugiés français à Londres, Gautier de Faget (89). Un préceptorat inespéré chez Sir John Eyles ; un voyage pédagogique avec Francis Eyles en Devonshire ou un plagiat de La Mottraye ? (90) Les cafés de Londres, les journaux, les reportages de Prévost, William Arnall (93). La fin d'une illusion : Prévost tente de séduire la jeune Mary Eyles, est chassé et doit quitter l'Angleterre (95). Cleveland porte la marque de ses espérances anglaises (97). Trois strates de la transfiguration romanesque (102).

VI. LA HOLLANDE

L'arrivée en Hollande avec « Ravanne », et l'auberge du Ness, à Amsterdam, où Prévost écrit la fin des Mémoires d'un homme de qualité et Manon Lescaut au début de 1731 (106-108).

Les folies de La Haye : au cours de l'été, il s'installe chez Néaulme à La Haye, séduit la femme de son éditeur (110), puis s'établit avec Hélène Eckhardt, prostituée notoire : scandale mémorable (112).

Les degrés de la chute : la correspondance avec Étienne Néaulme au sujet de Cleveland, qu'il n'arrive pas à terminer (113). Prévost est aux abois en novembre 1732, il est mis en faillite le 6 janvier 1733, et doit s'enfuir avec Lenki Eckhardt.

Épilogue : le second séjour en Angleterre ; la naissance du Pour et Contre (119). Arrêté le 29 décembre 1733 pour un chèque frauduleux tiré sur Francis Eyles, il est libéré à la demande de sa victime, mais doit quitter l'Angleterre.

VII. LE RETOUR

Rétablissement surprenant de Prévost à son retour en France (125). La route de Paris : voyage incognito et négociation secrète sur sa réintégration (126).

Le procès : les étapes de son retour en grâce, absolution papale, mais sourde résistance des autorités bénédictines (128). La mauvaise réputation : les premières esquisses biographiques, la condamnation de Manon Lescaut (132) ; le coup de pied de Lenglet-Dufresnoy dans sa Bibliothèque des romans et la réplique de Prévost dans Le Pour et Contre (135).

Les Jésuites et le tome apocryphe de Cleveland : Prévost fait la paix avec eux en 1734, mais se sépare imprudemment des partisans de la Constitution, d'où une violente campagne jésuite contre lui. Capitulation de Prévost : Le doyen de Killerine, roman jésuite (143), et la pénitence de l'abbé à La Croix-Saint-Leufroy (144).

VIII. L'AUMÔNIER DU PRINCE

Le coup de théâtre de janvier 1736 : Prévost aumônier d'un prince du sang (147). La réputation douteuse du prince de Conti à dix-sept ans (147) ; son mariage, son sens politique, son goût de la théologie (149). Portrait de Prévost par lui-même dans Le Pour et Contre (152) ; apologie de la Franc-Maçonnerie (157) ; admiration sans réserve pour Voltaire (158). L'effondrement progressif : la proscription des romans (162), le train de vie effréné (166), la réputation d'homme à femmes (167), le retour d'Hélène Eckhardt et les soupçons de Mme de Graffigny. Prévost prêt à vendre sa plume au plus offrant (169) ; ses négociations avec Voltaire au sujet d'un exil en Prusse (170).

IX. ET ECCE ITERUM

« Et cela recommence » : la ruine, la menace de prise de corps, l'imprudence, la lettre de cachet et la fuite en janvier 1740 (171). L'affaire Gaultier, une officine de gazettes clandestines ; le dossier de la Bastille (173). Les liens de Prévost avec le cercle Bachaumont (177).

La lettre de Francfort de novembre 1742 évoque son exil, son réseau de correspondants, l'appui de Maurepas (178). Il reste suspect de vouloir publier un journal. Il évoque ses relations avec sa famille et avec Lenki (184).

Voyages intérieurs : trois romans et deux histoires en deux ans ; retour aux mémoires scandaleux, aux « véritables vies privées » (185).

X. UN PARFAIT HONNÊTE HOMME

Prévost refait surface à Paris en septembre 1742. Témoignage de Mme de Graffigny : elle le rencontre au théâtre (194), évoque les légendes qui courent sur son compte (195), le croit amoureux d'elle, le rencontre à la petite messe des Cordeliers en 1744 (196).

Les vertus de Cicéron : Prévost traduit l'Histoire de Cicéron de Middleton, affaire en or (197) et qui lui permet de célébrer les vertus de son héros. Il entreprend sur ordre du chancelier d'Aguesseau, et avec la caution du R. P. Charlevoix, S. J., la traduction de l'Histoire des voyages (200).

Le sage de Chaillot : une lettre de Prévost en juillet 1746 évoque sa nouvelle retraite, sa gouvernante, un « système de vie paisible » (208) ; un rapport de police évoque aussi ses maîtresses.

XI. PROFILS PERDUS

Les portraits de Prévost par Schmidt et par Cochin (215), images écartelées. Le mondain, ses apparitions en retrait chez Conti, Locmaria, La Boissière (216). La rencontre de Rousseau chez Mussard, le témoignage des Confessions sur la « coterie de Passy » (220).

La carrière ecclésiastique : la chasse aux bénéfices (223), le prieuré de Gennes (225), les tractations sur la paix de l'Église, sous l'égide du prince de Conti (227).

Le labeur : la fin des romans, la passion de la traduction (228) : exceptionnelle prospérité de Prévost entre 1755 et 1760 (231).

Entre Voltaire et Rousseau : le goût de Prévost dans le Journal étranger (233) ; un dernier hommage à Voltaire (234). Prévost n'entre pas dans la guerre encyclopédique ; marginalisé, il se réfugie dans le pessimisme et la solitude (236).

XII. MORT D'UN ABBÉ

Allusions du Monde moral à la vieillesse de Prévost ; la gouvernante, Catherine Robin, « Pénélope » de Prévost et « belle-mère de Cleveland » (238). Témoignage de Lenieps sur Prévost cloîtré, contraint à l'économie, rhumatisant. La maison de Saint-Firmin, le voisinage, la seigneurie bénédictine (241). Le prince de Condé et l'Histoire de la Maison de Condé, que Prévost n'écrira pas (243). Le triomphe du prince en novembre 1762. Les poésies de circonstance de l'abbé (244).

La maladie et la mort : Prévost est affecté par la mort de son frère en avril 1763 (247) ; ses rapports avec la maladie (249). Sa mort le 25 novembre 1763, son enterrement, sa pierre tombale. Témoignages suspects sur sa repentance finale (252).

L'homme secret : vain appel de Fréron et de Palissot aux témoignages ; légendes douteuses (254). Son testament littéraire dans Le monde moral : les expériences, les rêveries, les fantasmes.

XIII. VIVRE DE SA PLUME

Les trois sources de revenu de l'écrivain : vente des manuscrits, travaux de plume au service des libraires, pensions et bénéfices (261). Les écarts entre revenus d'écrivains au XVIIIe siècle ; le nouveau marché de la librairie (262). Prévost « financier du Parnasse » (264) : courtier des libraires, directeur d'édition, il spécule et fait monter les enchères (265).

François Didot : sa carrière, la conquête du monopole sur les oeuvres de Prévost (268) ; la vente de son fonds en 1762 (269).

L'atelier de l'écrivain ; la rapidité de travail de Prévost, le nombre des ouvrages publiés (272) et leur répartition ; sa facilité (273) ; sa bibliothèque virtuelle (274).

Son indépendance d'esprit : prodigalité d'invention et capacité illimitée d'adaptation ; son égocentrisme (275). Constance de sa vocation romanesque (277). Affirmation de soi dans la narration par un acte d'autorité et par le recours constant à l'allusion biographique.