Essai
Nouvelle parution
J. Pigeaud, Melancholia. Le malaise de l'individu.

J. Pigeaud, Melancholia. Le malaise de l'individu.

Publié le par Marc Escola

Melancholia - Le malaise de l'individu
Jackie Pigeaud

Paru le : 03/09/2008
Editeur : Payot
Collection : manuels payot

EAN : 9782228901765
Nb. de pages : 269 pages

Prix éditeur : 18,00€


L'éminent helléniste et spécialiste de la médecine ancienne, Jackie Pigeaud, nous livre ici une histoire de la mélancolie, née avec les Grecs, qui tentent de construire une stratégie de vie entre philosophie et médecine.

Sommaire:

LE SENTIMENT DE SOI-MEME
Hérophile
L'anatomie galénique
Harvey
La pathologie de la kardia
La pathologie du coeur
Le coeur lui-même, le coeur-viscère, peut-il être
malade ?
Revenons un peu en arrière
La coenesthésie
LA VOIX INTERIEURE
La mélancolie et la Sibylle
La vacation
La chasteté
Les procédés de la divination
La Sibylle et la
Pythie
L'écrit ou la voix ?
De quelques textes et de leur interprétation
La folie de la Sibylle
La Sibylle parle en vers
Les ventriloques
QUELQUES REFLEXIONS SUR LE REVE ANTIQUE
La profondeur des rêves
L'océan
Le solipsisme, la solitude du rêve
Le rêve érotique, La force du rêve
L'oneirôgmos

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On trouvera sur le site nonfiction.fr un compte-rendu sur cet ouvrage:

"De l'anatomie compliquée, des âmes compliquées", par K. Picciau.

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Dans Le Monde des livres du 25/9/8, on pouvait lire un article de Roger-Pol Droit sur cet ouvrage:

"Melancholia", de Jackie Pigeaud : "L'Antiquité, j'y habite..."

En apparence, cethomme tranquille est un universitaire haut de gamme. Né en 1937,professeur émérite de littérature latine à l'université de Nantes,Jackie Pigeaud possède les attributs majeurs de la notoriétéacadémique. Membre de l'Institut universitaire de France, responsablede plusieurs centres de recherches, de revues, organisateur demultiples colloques et rencontres, il est l'auteur d'une quinzaine delivres et de quelques dizaines d'articles et contributions diverses.Jusque-là, terrain bien balisé.

Pourtant, dès qu'onentre dans le dédale de l'oeuvre, une singulière étrangeté s'impose.Car ce savant lecteur a de déconcertantes curiosités. Ce quil'intéresse ? Avant tout, "la maladie de l'âme", à la jointure du corpset du psychisme. Qu'on la nomme "folie", "mélancolie", "manie", commele firent les Anciens, ou "dépression", "hystérie", "névrose", à lafaçon des Modernes, ce trouble fondamentalement humain remet enquestion la séparation de l'esprit et de la chair. Dès qu'on le prenden compte, il devient impossible de réserver une fois pour toutes lesidées au philosophe, et les organes au médecin. Perturbation del'existence, ce malaise brouille les partages fondateurs entre raisonet passion, corps et âme, matière et esprit.

A sa poursuite,Jackie Pigeaud n'a cessé de suivre de nouvelles pistes, du côté desrêves, de la magie, des oeuvres d'art. Elles l'ont conduit à traverserles siècles - ou plutôt à retracer les manières nouvelles dont lesfigures de l'Antiquité ont perduré d'époque en époque. Sa méthode -dont la cohérence se révèle à présent, une fois un grand parcoursaccompli - est aussi peu orthodoxe que les sujets dont il traite. "Je crois au hasard", dit-il, ajoutant aussitôt : "Quand j'ai commencé ma thèse, je ne savais pas du tout où j'allais."Après avoir combiné longuement érudition et rêverie, poétique etphilologie, rigueur et surprises, auteurs canoniques et corpusinsolites, il tire quelques leçons du chemin parcouru.

L'erreurserait de croire que ses savants travaux relèvent simplement del'histoire de la médecine dans l'Antiquité. Car l'enjeu est autrementvaste, et plus lourd de conséquences. C'est d'abord une mise en lumièrede l'importance cruciale, et trop souvent oubliée, de la "penséemédicale" dans la culture européenne. "Ce furent d'intensesbonheurs, et d'importants moments de ma vie, de découvrir combien degrands auteurs, comme Hippocrate ou Galien, n'étaient pas simplementdes médecins, comme on les voit aujourd'hui, c'est-à-dire despraticiens, mais les artisans d'un imaginaire extraordinaire, d'unerichesse littéraire et philosophique exceptionnelle. En fait, lamédecine occidentale est d'abord née comme discours général sur l'hommeet sur son rapport avec le monde. Elle ne s'est spécialisée qu'ensuite.J'ai donc tenté une histoire de ce que je n'appelle pas "la médecine",mais plutôt "la pensée médicale"."

La stabilité de cettepensée, au fil du temps, surprend. Jackie Pigeaud fait voir des stratesà peu près immobiles depuis les Grecs jusqu'au XIXe siècle. "Ontrouve encore chez Laennec les mêmes problèmes, et les mêmesdescriptions, que chez Hippocrate. Tout au long de l'histoire, lesmédecins lisaient les textes grecs, les commentaient ou lesretraduisaient." Quand donc cette longue tradition prend-elle fin ? "Au cours du XIXesiècle. Quand Littré commence à publier sa traduction des oeuvresd'Hippocrate, vers 1830, tout le monde est encore familier de cestextes. En 1870, quand il achève son édition, cet univers semble déjàlointain. Claude Bernard est passé par là, Pasteur ne va pas tarder. Lelien à la pensée antique commence à s'estomper."

Tout nes'efface pas, malgré tout. En effet, plus que tout autre, le domaine dela psychopathologie demeure lié, de manière constitutive, à uneréflexion sur les passions, les émotions, l'histoire de l'individu et,plus généralement, la condition de l'homme. Or une telle réflexion,qu'elle le sache ou non, continue de plonger ses racines dans le mondeantique. C'est ce que montre notamment le beau livre intitulé Melancholiaqui vient de paraître. En revenant sur cette maladie qui n'en est pasvraiment une, et qui prend toutes les formes relatives à la douleurd'exister, Jackie Pigeaud esquisse, en touches discrètes, un bilan deson vaste périple.

"L'enjeu de la mélancolie, en fin de compte, dit-il, c'estle rapport de l'âme et du corps, la ligne entre nature et culture.Parler de la mélancolie en ces termes a aussi pour but, à mes yeux,d'intégrer le "fou" à la culture, de lui redonner une dignité, non passeulement à l'intérieur d'une histoire particulière, la sienne, maisdans l'histoire de l'imaginaire culturel." Car tel est le véritablehorizon de tout son travail : explorer les lignes de force d'unehistoire de l'imaginaire, dont les oeuvres antiques ont été lessupports, durant des siècles, jusqu'à la Renaissance et à Winckelmann.

Plus que simplement délaissé, ce rapport à l'antique semble aujourd'hui refoulé. "L'antique, c'est notre inconscient culturel", n'hésite pas à écrire notre auteur. Quand on l'interroge sur cette formule, il finit par préciser : "L'Antiquité,j'y habite, c'est mon entourage. J'interprète beaucoup de choses grâceà elle. On ne peut pas travailler toute sa vie avec des gens commeHippocrate ou Virgile sans être affecté, impressionné et modifié... Carils ont pratiqué une forme de régulation de l'imaginaire. Leurs choixpratiques, esthétiques, éthiques étaient portés par une puissanterêverie. C'est à cela qu'il faut donner accès. Ce qui nous manque leplus, c'est de retrouver un lien à ces émotions. Cela vaut bien qu'on ytravaille..." Cet homme tranquille, finalement, rêve d'inquiéter notre époque. En profondeur, intelligemment. Cela devient rare.

MELANCHOLIA de Jackie Pigeaud. Payot, "Manuels Payot", 272 p., 18 €.

Pour découvrir cette oeuvre, on se reportera notamment à la thèse deJackie Pigeaud, publiée en 1981 et rééditée en 2006 avec une préfaceinédite, La maladie de l'âme. Etude sur la relation de l'âme et du corps dans la tradition médico-philosophique antique (Les Belles Lettres, 590 p., 40 €), ainsi qu'à l'imposant recueil d'études intitulé Poétiques du corps. Aux origines de la médecine (Les Belles Lettres, "L'Âge d'or", 2008, 706 p., 40 €), sans oublier les prolongements esthétiques que dessine L'Art et le Vivant (Gallimard, 1995).