Collectif
Nouvelle parution
J.-P. Martin (dir.), Bourdieu et la littérature

J.-P. Martin (dir.), Bourdieu et la littérature

Publié le par Matthieu Vernet

Extrait dans l'Atelier de théorie littéraire: Jérôme Meizoz, « Ce que préfacer veut dire »

Compte rendu publié dans Acta fabula (octobre 2010, vol. 11, n° 9) : "Ce que Bourdieu fait à la littérature" par Denis Saint-Amand.

Le site laviedesidees.fr a également donné un compte rendu de cet ouvrage: "Bourdieu l'indiscipliné", par C. Ducournau.

 

 

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Bourdieu et la littérature

Sous la direction de Jean-Pierre Martin

Nantes : Editions Cécile Defaut, 2010.

EAN 9782350180883

310 p.

Prix 24EUR

Présentation de l'éditeur :

« L’œuvre littéraire peut parfois en dire plus, sur le monde social, que nombre d’écrits à prétentions scientifique » (Les règles de l’art, p. 130).
Cet ouvrage collectif se propose de confronter des points de vue différents au sujet de l’apport de Bourdieu à la réflexion sur la littérature. Les contributeurs (des littéraires, des sociologues, des philosophes, des écrivains) se proposent d’analyser, de comprendre, de clarifier, d’interroger, dans des perspectives diverses, les rapports de Bourdieu à l’objet littérature comme à la critique littéraire qui lui fut contemporaine. Façon aussi, pour chacun, de faire le point sur la place que Bourdieu, en tant que théoricien de la littérature, occupe aujourd’hui dans sa propre histoire intellectuelle.
Ce livre ne se limite pas à définir l’importance de l’approche sociologique de la littérature dans le système de Bourdieu, le rôle qu’elle joue dans l’évolution de sa pensée (ou bien dans ses ritournelles et ses obsessions) : il tente d’interroger la valeur sociologique de la littérature comme la valeur de l’approche sociologique de la littérature, de faire l’inventaire critique, hors de toute attitude dogmatique ou épigonale, de la boîte à outils que Bourdieu nous ouvre, et de l’intérêt qu’elle présente aujourd’hui, pour un littéraire, un sociologue ou un philosophe.
Il est plus que jamais nécessaire d’historiciser l’approche spécifique de Bourdieu, de l’articuler aux réflexions contemporaines sur la littérature, d’en expliciter les enjeux et les aspects polémiques, de le faire dialoguer avec d’autres approches - sans rapport de révérence, mais aussi, sans préjugé.


"Jean-Pierre Martin, avant-propos : « La leçon de Bourdieu »
Pierre Bergounioux, « Un savant lettré »
Anna Boschetti, « Le problème du changement »
Pierre-Marc de Biasi, Entretiens avec Bourdieu et texte d’accompagnement
Pascale Casanova, « Une critique critique »
Pascal Durand, « Vers une sociologie des formes et des styles »
Jacques Dubois, « Bourdieu est Flaubert »
Annie Ernaux, « La preuve par corps »
Michel Jarrety, « Marginalia »
Bernard Lahire, « Le champ et le jeu : le cas de l'univers littéraire ».
Marielle Macé, « Penser le style avec Bourdieu »
Pierre Macherey, ""Bourdieu critique de la ""raison scolastique"": le cas de la lecture littéraire""
Jérôme Meizoz, « Ce que préfacer veut dire »
Hélène Merlin-Kajman, « Ne… que ou la traque amère des vanités »
Jean-Claude Pinson, « Habitus et ethos »
Dominique Rabaté, « Révélations. La part de la littérature et la sociologie »
Gisèle Sapiro, « Ce que le champ n’est pas »
Dominique Viart, « Des biographies sans illusions »
Fatima Youcef : Index des références littéraires dans les écrits de Pierre Bourdieu"

 

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Dans Le Monde des livres du 9/7/10, on pouvait lire cet article:

 

Critique "Bourdieu et la littérature", sous la direction de Jean-Pierre Martin : réconcilier Bourdieu avec la littérature LE MONDE DES LIVRES | 08.07.10 | 10h32  •  Mis à jour le 08.07.10 | 10h32
En 1992, Pierre Bourdieu pulvérisait dans Les Règles de l'art (Seuil) le mythe tenace d'une création littéraire individuelle et magistrale, pure manifestation d'une "singularité absolue". Flaubert, l'un des piliers de la "théorie du texte" longtemps triomphante, s'y voyait réinscrit à l'intérieur d'un "champ" conçu comme espace de possibilités socialement réglées. Certes, l'auteur de L'Education sentimentale n'était pas choisi par hasard : à Flaubert, qui incarne par ses positions esthétiques l'autonomisation du champ littéraire à l'oeuvre dans la seconde moitié du XIXe siècle, Bourdieu reconnaissait un sens aigu des positions et des tactiques. Au sociologue, il revenait donc de "déplier et déployer laborieusement" ce que la fiction présente sous des atours charmeurs : interprétez ici l'adverbe "laborieusement" moins comme un effet de modestie que comme une garantie de scientificité.

 

 

Chacun des contributeurs du beau volume dirigé par Jean-Pierre Martin s'emploie ainsi à examiner les enjeux de ce que Bourdieu lui-même appelait, en s'autorisant de Mallarmé (autre symbole du "mystère dans les lettres") un "démontage impie de la fiction". Or là où l'on aurait pu s'attendre à une guerre de tranchées, c'est au contraire à une reconnaissance de dettes que procèdent par exemple les écrivains Annie Ernaux et Pierre Bergounioux, tous deux sensibles à la "preuve par corps", entendu comme "lieu où se sont inscrites des façons de penser et de parler, des goûts et des situations, une trajectoire".

 

"Œuvres de rupture"

De même, des échos se créent entre les disciples de Bourdieu, Gisèle Sapiro ou Anna Boschetti, et les spécialistes de littérature, tels Dominique Rabaté, lui-même directeur avec Philippe Baudore et Dominique Viart d'un volume intitulé : Littérature et sociologie (Presses universitaires de Bordeaux, 2007), ou Michel Jarrety, plus critique, notamment sur le privilège accordé par Bourdieu aux "oeuvres de rupture" afin de maximiser l'écart entre littérature et société, au risque toutefois de négliger le rôle joué par la "littérature de tradition".

C'est que, Jean-Pierre Martin le souligne, si les griefs à l'égard de la théorie bourdieusienne sont nombreux, les littéraires ont tout intérêt à les dépasser. Pierre-Marc de Biasi en donne l'exemple, lui dont les travaux sur les manuscrits de Flaubert étaient assez violemment attaqués dans les épreuves des Règles de l'art - attaques tempérées ensuite à la parution de l'essai. De Biasi publie ici l'intégralité d'un entretien qu'il avait eu avec le sociologue en septembre 1992 et dont quelques pages seulement (expurgées par Bourdieu) étaient parues dans Le Magazine littéraire : il y défend avec pugnacité l'idée que le travail de composition auquel s'attache la génétique textuelle obéit à des contraintes d'écriture insaisissables à un niveau sociologique. Jacques Dubois et Pierre Macherey montrent à leur tour qu'"être réellement fidèle à la démarche initiée par Bourdieu, c'est renoncer définitivement à le traiter en tant qu'auctor, dont l'autorité, sacralisée, devrait être à tout prix respectée", mais pratiquer au contraire à son égard "une infidélité à laquelle il a lui-même fourni ses instruments".

C'est ce que Marielle Macé nomme, pour sa part, "s'autoriser à hériter de (Bourdieu) juste à côté", puis met aussitôt en pratique en révélant, chez le sociologue, une véritable pensée du style, élargie aux formes de vie et déclinée en trois temps : la "distinction" (comme production de signes distinctifs), l'"habitus" (comme incorporation de dispositions sociales au fil d'une vie) et la "manière" (comme façon irréductible d'être soi).

Un ultime hommage est rendu par Hélène Merlin-Kajman, détournant la lecture que Roland Barthes faisait des Maximes de La Rochefoucauld afin d'analyser quelques traits de style récurrents chez Bourdieu, dont l'art de la "profération sentencieuse" est si frappant. Au "démontage impie de la fiction" répond ainsi la relecture amicale de la théorie par quelques littéraires avertis.

Article paru dans l'édition du 09.07.10