Essai
Nouvelle parution
J.-P. Cometti, Qu'est-ce que le pragmatisme?

J.-P. Cometti, Qu'est-ce que le pragmatisme?

Publié le par Marc Escola

Qu'est-ce que le pragmatisme ?
Jean-Pierre Cometti


Paru le : 25/05/2010
Editeur : Gallimard (Editions)
Collection : Folio essais
ISBN : 978-2-07-039604-7
EAN : 9782070396047
Nb. de pages : 436 pages

Prix éditeur : 9,20€


Longtemps, le pragmatisme, philosophie née à la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis, n'a pas eu bonne presse, tant est fort son refus de faire système, de poser des postulats, d'écrire de grands récits.

Sa volonté est de reconnaître à chacun la capacité, par l'expérience, d'approcher le vrai, dans une quête ouverte à tout homme ordinaire, sans qualité ni appartenance à une élite philosophique. Désormais, il est au centre de nombreuses approches, à propos tant des problèmes posés par les sciences, les idéologies, les valeurs et la marche du monde que de la philosophie et des sciences sociales, de leurs méthodes et de ce que nous pouvons en attendre.

Ce retournement, le lecteur le comprend grâce à Jean-Pierre Cometti. Voilà restitué le fort pouvoir critique du pragmatisme à l'encontre de la plupart des certitudes qui ont permis à la philosophie d'établir sa souveraineté : il refuse une conception du vrai, qui soustrait ce dernier à toute appréciation humaine ; l'intéresse ce qui permet de donner à chacun les meilleures chances d'accomplissement des fins auxquelles l'humanité peut légitimement aspirer dès lors que ces dernières lui semblent les meilleures.

La philosophie peut y contribuer par un effort de clarification propre, afin de déblayer la voie de la recherche et les possibilités de la discussion. En cela, les vertus de la philosophie ne se distinguent pas de celles de la démocratie et de l'éducation : toutes trois ont valeur d'expérience que chacun se doit de faire pour demeurer pleinement citoyen.

Sommaire:

Le pragmatisme en perspective
Situations
Controverses
Les conséquences du pragmatisme
Pragmatisme et raison communicationnelle
Art et expérience esthétique
Pragmatisme et sciences sociales
Quelles perspectives pour l'action ?

L'auteur:

Jean-Pierre Cometti a enseigné la philosophie à l'université de Provence.
Il est l'auteur de plusieurs livres consacrés à Ludwig Wittgenstein, à Robert Musil, au pragmatisme américain et à des questions d'esthétique.

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Dans Le Monde des livres du 9/7/10, on pouvait lire cet article de R.-P. Droit:

Critique "Qu'est-ce que le pragmatisme ?", de Jean-Pierre Cometti ; "Le Public et ses problèmes" et "L'Art comme expérience", de John Dewey : leçons de pragmatisme LE MONDE DES LIVRES | 08.07.10 | 11h05 

Un écureuil, un arbre et un homme ne sont pas inutiles pour commencer à entrevoir de quoi il s'agit. L'écureuil est agile, l'homme veut l'observer, l'arbre s'interpose entre eux. Chaque fois que l'homme avance, l'écureuil aussi. L'observateur ne voit donc rien. Que répondre à celui qui demande si l'homme tourne autour de l'écureuil ? William James se sert de cette histoire - à Harvard, en 1907 - pour faire saisir ce qu'il nomme "pragmatisme", "un nom nouveau pour de vieilles façons de penser", précise-t-il.

 

35326566343963613461326136336430 On pourra disputer sans fin à propos de l'homme tournant autour de l'écureuil. Oui, diront les uns, l'homme a bien tourné autour de l'animal, puisqu'il a fait le tour de l'arbre. Non, diront les autres, parce qu'il n'a jamais été confronté à l'écureuil. Mais quelle est la conséquence, pour l'humanité, de chacune des solutions ? Ou seulement pour ceux qui soutiennent l'une ou l'autre ? Il est clair qu'aucun inconvénient ni avantage ne découlent d'une solution ou de l'autre. Voilà donc un problème vain !

 

Son seul mérite : mettre le lecteur sur la voie d'une école philosophique fort influente tout au long du XXe siècle, et encore trop mal connue du public français, le pragmatisme. Dans le vocabulaire quotidien, le terme désigne une attitude réaliste, un choix qui fait primer les intérêts sur les principes. En philosophie, ce vocable, forgé par Charles Sanders Peirce (1839-1914) et repris par James, désigne principalement une manière de définir la vérité par ses conséquences. Ni immuable ni universelle, la vérité est de l'ordre de l'événement : elle se définit par ses résultats.

Dans cette perspective, aucun modèle, aucune forme parfaite, ne surplombe la réalité. Le monde est toujours en train de se faire - tissus d'interactions et d'expérimentations. C'est pourquoi la notion d'expérience est centrale pour le pragmatisme. L'expérience, ici, constitue toujours un processus de transformation. Elle ne revient pas à imposer aux choses un ordre prédéfini, à réaliser un plan préétabli. L'expérience transforme les choses mais aussi celui qui l'accomplit : sujet et objet se modifient réciproquement. Cette corrélation vaut également pour le monde et la réflexion, ou encore pour la nature et la société.

Développé d'abord par William James, auquel Michel Meulders consacre une belle évocation, le pragmatisme a exercé sur la pensée contemporaine une influence tantôt souterraine tantôt visible. La pensée de Gilles Deleuze en porte la marque, via Bergson, proche de William James, et aussi par l'intermédiaire de Jean Wahl. De façon plus massive, une grande partie de la philosophie américaine contemporaine en découle, jusqu'à Richard Rorty et aujourd'hui Richard Shusterman. Dans une étude inédite, Qu'est-ce que le pragmatisme ?, Jean-Pierre Cometti éclaire la diversité de cette influence et des débats qu'elle a suscités. Passionnant pour des lecteurs avertis, ce travail très dense est à recommander aux philosophes, mais risque de dérouter les débutants.

Education et démocratie

Ce qu'il met notamment en lumière, c'est la place essentielle occupée par John Dewey, dont deux titres importants sont réédités en poche, dans l'histoire du pragmatisme. John Dewey (1859-1952) est une figure que le public français semble avoir encore à découvrir. Au cours d'une longue existence (il meurt à 92 ans, actif presque jusqu'à la fin de sa vie), Dewey passa de Hegel à Darwin et de William James à l'élaboration de son propre pragmatisme, dont on peut suivre les étapes au long des 37 volumes de ses Collected Works. Au plus bref, l'apport de Dewey est d'avoir mis l'accent sur l'éducation et la démocratie. Convaincu que la dynamique de l'expérience est essentielle, il conçoit un système éducatif centré sur les recherches et les besoins de l'enfant, mais aussi sur la pertinence des solutions trouvées par les sciences et les techniques.

Son originalité, de ce point de vue, est de postuler qu'il existe un point commun entre ce que les savoirs humains ont bâti dans l'histoire et ce que les enfants cherchent à trouver comme solutions aux problèmes que leur pose le monde. Dewey s'oppose donc aussi aux pédagogues qui ne mettent l'accent que sur les connaissances, les programmes et les contenus à transmettre. Mais il se sépare également de ceux qui ne jurent que par les découvertes intuitives et le libre développement des capacités créatrices spontanées. L'essentiel, pour lui, est d'en finir avec l'opposition radicale du monde et de l'esprit, de la pensée et de l'action. C'est pourquoi il insiste sur les créations continues.

Arts populaires

La démocratie en est une : tout s'y rejoue en permanence. Car la démocratie, pour Dewey, est bien plus qu'un simple cadre institutionnel ou un système politique. "La démocratie n'est pas une forme de gouvernement", ne cesse-t-il de répéter. C'est une manière de vivre, qui définit constamment ses propres normes. La politique, en ce sens, est expérimentation. A condition que le public n'en soit pas absent, dépossédé du pouvoir par la complexité des questions et le règne des experts. Le Public et ses problèmes, rédigé au milieu des années 1920, est consacré à une réflexion sur les moyens à employer pour que la compétence de chacun trouve son rôle dans l'expérience collective. Faut-il souligner qu'une telle réflexion n'est pas dépourvue d'actualité ?

Richard Shusterman, grand représentant du pragmatisme actuel, a raison de souligner, dans son introduction à l'édition française de L'Art comme expérience, la singularité d'une approche pragmatiste de l'esthétique. Centrée sur les arts populaires, sur l'expérience de l'homme ordinaire, elle s'oppose d'entrée de jeu à l'intimidation des profanes par les initiés. Là encore, le pragmatisme se révèle, plus que tout, philosophie de l'expérience : "Nous ne nous approprions vraiment l'importance d'une oeuvre d'art, conclut Dewey, que si nous accomplissons dans nos propres processus vitaux les processus que l'artiste a accomplis pour produire l'oeuvre."

QU'EST-CE QUE LE PRAGMATISME ? de Jean-Pierre Cometti. Gallimard, "Folio Essais" n° 535, 440 p., 9,20 €.

LE PUBLIC ET SES PROBLÈMES (THE PUBLIC AND ITS PROBLEMS) de John Dewey. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) et présenté par Joëlle Zask. Gallimard, "Folio Essais" n° 533, 336 p., 7,10 €.

L'ART COMME EXPÉRIENCE (ART AS EXPERIENCE). Présentation de l'édition française par Richard Shusterman, postface de Stewart Buettner, traduction coordonnée par Jean-Pierre Cometti. Gallimard, "Folio Essais" n° 534, 608 p., 9,70 €.


Roger-Pol Droit Article paru dans l'édition du 09.07.10