Essai
Nouvelle parution
J. Michon, Les éditeurs québécois et l'effort de guerre, 1940-1948

J. Michon, Les éditeurs québécois et l'effort de guerre, 1940-1948

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Site web de la maison d'édition)

MICHON, Jacques, Les éditeurs québécois et l'effort de guerre, 1940-1948, Montréal / Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec / Presses de l'Université Laval, 2009, 180 p.
ISBN 978-2-7637-8961-3

AVANT-PROPOS

L'effort de guerre des éditeurs québécois est un phénomène méconnudu public. Malgré la publication de travaux étalés sur plus d'unetrentaine d'années, le rôle des éditeurs de guerre dans la diffusiondes idées et la promotion de la littérature québécoise n'est encoreapprécié que de quelques spécialistes. L'exposition que Bibliothèque etArchives nationales du Québec offre aujourd'hui au grand public veutaider à combler cette lacune.

Il est vrai que les éditeurs eux-mêmes, personnages relativementsecrets et peu enclins à dévoiler les arcanes de leur métier, n'ontguère aidé leur cause auprès du public, tirant leur fierté et leurpouvoir symbolique de cet effacement même. En général, les éditeurspréfèrent travailler dans l'ombre, fréquenter les coulisses et oeuvrerloin des regards indiscrets, cédant le devant de la scène à leursauteurs et à leurs livres. Leur catalogue est leur chef-d'oeuvre. Mêmesi les firmes qu'ils dirigent portent souvent leur nom, ces noms desociété désignent moins une personne qu'une entreprise incarnant uneidée, un esprit et un ensemble d'ouvrages qui, avec le temps, effacentjusqu'à leur existence.

Cette exposition veut redonner vie et visage à ces travailleurs del'ombre qui, durant l'une des périodes les plus tourmentées del'histoire de l'humanité, ont joué un rôle de premier plan dans ladiffusion d'une parole de liberté et d'espoir. Sur leur propre terrain,ils ont participé au développement de ce qu'on appelait à l'époque lalittérature canadienne et à la promotion d'une littérature françaisejusque-là maintenue sous le boisseau par le clergé.

À partir des années 1930 et, surtout, au cours de la Deuxième Guerremondiale, les éditeurs se sont faits pédagogues, promoteurs,accoucheurs de manuscrits, voire provocateurs. Ils ont anticipé lesdemandes du public, bousculé les idées reçues et ébranlé les colonnesdu temple clérical. Ils sollicitèrent les auteurs, suscitèrent denouvelles oeuvres, créèrent des collections et lancèrent des appelsd'offre tout en étant ouverts aux propositions des jeunes écrivainsfrancophones provenant des horizons les plus divers. Ils ont participéau mouvement des idées qui traversaient les milieux littéraires,intellectuels et scientifiques de l'heure. Leurs sélections sontrévélatrices du nouvel esprit et des grands courants de pensée quisoufflaient sur l'Occident en guerre. Paradoxalement, la guerre a étéfavorable à cet épanouissement intellectuel sans précédent dans lesannales du Québec ; « les pires maux, engendrent parfois de bons effets» écrit Louis-Marcel Raymond dans Le jeu retrouvé.

Dans un climat d'effervescence et de créativité exceptionnel, leséditeurs s'approprièrent la littérature mondiale et proposèrent à leurslecteurs une bibliothèque d'ouvrages où les nouveautés, québécoisescomme françaises, côtoyaient les plus grandes oeuvres du répertoire del'humanité. À travers leurs sélections, ils jetaient un regard neuf surle monde et opéraient un nouveau découpage dans la sphèreintellectuelle.

La valeur des oeuvres est fondée sur le regard de ceux qui se lesapproprient. Conscients de leur rôle dans la valorisation des textesqu'ils publient et des contraintes économiques qui limitent leuraction, les éditeurs sont sans doute plus aptes que les écrivains oules critiques à prendre conscience de l'historicité de leurs choix etde la valeur sociale de leur propre lecture. Il fallait un écrivaindoublé d'un éditeur comme Robert Charbonneau pour bien comprendre etexprimer cette vision basée sur l'expérience. Après la guerre, lorsquedes forces extérieures tentèrent de freiner l'essor de l'éditionquébécoise, Charbonneau prit la parole, notamment dans La France et nous,pour défendre les choix de ses collègues et proclamer bien hautl'autonomie de la littérature canadienne et la fin du colonialismeculturel. Cette prise de position préfigurait bien le changement dementalité qui allait se généraliser au cours de la Révolutiontranquille.

BIOGRAPHIE

Jacques Michon, professeur à l'Université de Sherbrooke, directeur duGroupe de recherche sur l'édition littéraire au Québec (GRELQ) de 1982à 2006 et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'histoiredu livre et de l'édition de 2002 à 2008, a publié, seul ou encollaboration, plusieurs ouvrages sur l'histoire du livre et del'édition. Signalons notamment Édition et pouvoirs (Presses de l'Université de Laval, 1995), Fides – La grande aventure éditoriale du père Paul-Aimé Martin (Fides, 1998), Les mutations du livre et de l'édition dans le monde du XVIIIe siècle à l'an 2000 (Presses de l'Université Laval / L'Harmattan, 2001), les volumes I et II de Histoire de l'édition littéraire au Québec au XXe siècle (Fides, 1999 et 2004) et le volume III de Histoire du livre et de l'imprimé au Canada (Presses de l'Université de Montréal, 2007).