Essai
Nouvelle parution
J. Loehr, Les Grandes notions littéraires

J. Loehr, Les Grandes notions littéraires

Publié le par Matthieu Vernet

Joël Loehr, Les Grandes notions littéraires

Dijon : EUD, 2010.

EAN 9782915611601

Prix 15EUR

130 p.

Présentation de l'éditeur :

Qu'est-ce que l'échange littéraire ? Comment le concevoir sans une réflexion sur l'auteur, le lecteur, le personnage, la fiction, le genre ?Florilège pour une fascination de la fin, au siècle dernier : "La naissance du lecteur doit se payer de la mort de l'auteur", décrétait Barthes ; "Nous en a-t-on assez parlé du ‘personnage' !" s'exclamait Robbe-Grillet ; "Pour que l'art moderne naisse, il faut que l'art de la fiction finisse", déclarait Malraux ; "Seul importe le livre, tel qu'il est, loin des genres", proclamait Blanchot.Comment en est-on arrivé là ? Où en est-on aujourd'hui ? Une histoire des grandes notions littéraires est ici retracée, des définitions sont reprises et des usages se trouvent proposés.

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Manuel Bragança a fait parvenir à fabula cette note de lecture à propos de ce livre :


Joël Loehr expose l'ambition de cet opuscule dans unbref avant-propos: réfléchir sur les grandes notions littéraires de manièreouverte, dans la lignée d'Antoine Compagnon selon qui « la perplexité estla seule morale littéraire » (Le Démonde la théorie). Divisé en cinq chapitres portant, dans l'ordre, sur l'auteur,sur le lecteur, sur le personnage, sur la fiction et sur le genre, cet ouvrageentend ainsi retracer l'évolution de ces grandes notions sans pour autant lestransformer en concepts, en carcan. L'auteur affiche sa prudence en ne prétendantévidemment pas à une quelconque exhaustivité; il revendique au contraire lanécessité de simplifier afin de baliser les grandes évolutions de l'histoire dela théorie littéraire et de la littérature. Donnons d'abord un aperçu des cinqchapitres de ce bref ouvrage avant d'en donner un compte-rendu plus critique.

« L'auteur »

S'inspirant de Marc Fumaroli (L'École du silence), Joel Loehr ouvre ce chapitre par un fincommentaire de L'Inspiration du poètede Nicolas Poussin qui lui sert de fil directeur et qui lui permet notamment d'interrogerses lecteurs sur les origines de la poésie, de l'art, ou, plutôt, sur lanaissance du poète, de l'artiste. Citant notamment Mallarmé et Malraux, il nousrappelle que si le mot d'intertextualité est récent, cette notion ne l'est pas.Il revient également sur l'évolution de la notion d'auteur, un temps contestéeau profit du « Texte » au cours d'un second XXème siècle se méfiantdes idéologies, mais progressivement réintégrée sous des vocables fluctuants (« auteurimpliqué », « auteur implicite ») avec le développement desthéories de la réception et de la lecture.

« Le lecteur »

Les travaux de Jauss, Iser, Ricoeur ou encore Eco sontensuite mentionnés pour rappeler que c'est le lecteur qui, par l'acte delecture, donne vie et sens au texte. Sans lecteur, pas de lecture, et donc pasde texte. L'auteur rappelle ici les divers degrés d'insertion de ce qu'il estconvenu d'appeler le « lecteur virtuel » (c'est-à-dire inscrit dansle texte) et s'interroge - sans conclure - sur les raisons de cette insertion. S'agit-ilde renforcer l'effet de réel? De recréer une fiction d'échange pour serapprocher de la situation des anciens conteurs dont l'écrivain est l'héritier?S'agit-il de s'inventer un lecteur idéal, capable d'orienter la lecture deslecteurs réels? Après avoir rappelé que la lecture est surtout orientée par lepéritexte, le genre et les voix narratives, Loehr revient plus longuement surles « vides » de tout texte (d'une part, le texte ne peut pas toutdire, de l'autre, l'auteur choisit de ne pas tout dire) et sur l'importance dulecteur pour combler ces vides et donner du sens à ce qu'il lit. Elargissant saréflexion en passant de la littérature à l'art en général, Loehr questionnefinalement l'évolution de la réception et la résurgence d'oeuvres d'art dans letemps, en s'appuyant notamment sur la notion de « métamorphose » etsur les Ecrits sur l'art de Malraux quianticipent sur bien des points les interrogations des théoriciens de laréception.

« Le personnage »

Le personnage n'est évidemment pas purement unecréature de papier puisque c'est le lecteur qui lui donne vie. Après avoirsoulevé les enjeux et problèmes de motivation et de surmotivation onomastiques,Joël Loehr recense ensuite les différents personnages rencontrés dans un texte,différenciant les figures des types, mentionnant également les personnages collectifset les personnages récurrents au sein d'une même oeuvre. Surtout, l'auteur insisteensuite sur « la configuration d'ensemble », « le système despersonnages », le réseau dans lequel un personnage s'inscrit, ce qui luipermet de questionner les notions de héros et d'aborder les notions depolyphonie, de discours et de point de vue. Illustrant avec brièveté maisclarté l'évolution générale des personnages depuis le XIXème siècle - dejudicieux exemples de personnages « naturalistes » chez Zola, « finde siècle » chez Huysmans, « irrationnels » chez Céline,Bernanos et Malraux sont donnés -, l'auteur évoque ensuite « l'instant »Nouveau Roman, déconstruisant l'idéologique « entité-personnage »,avant de constater son retour plus récemment.

« La fiction »

S'appuyant notamment sur Aristote et Ricoeur, cechapitre est d'abord un questionnement - largement étymologique - des notionsde « mimésis » et de « fiction ». Ce questionnement aboutitévidemment à la mise en avant de la notion de récit qui peut non seulement êtrefactuel, fictionnel, mais aussi pseudo-factuel ou pseudo-fictionnel dans le casde l'autofiction ou des pseudo-mémoires. Loehr recense ensuite ce qu'il appelle« les indices de fictionnalité » dont font partie les temporalitésspécifiques de la fiction. Prolongeant cette réflexion, Loehr s'interroge alorssur le fonctionnement de l'illusion théâtrale et romanesque et sur les enjeuxet débats liés à la proximité affective ou, au contraire, à la distanceesthétique. Développant des exemples de romans-montage (il cite ici Faulkner,Malraux, ou encore Simon), de romans musicalisés (Quignard) ou poétiques(Gracq), Loehr avance de manière convaincante que ce n'est pas parce que leroman a largement renoncé à représenter le réel au XXème siècle qu'il ne l'éclairepas.

« Le genre »

Les genres ont évidemment une histoire, rappeléebrièvement en introduction de ce chapitre qui insiste largement sur lesapproches modernes de la généricité, et notamment sur les apport de Jauss (Pour une esthétique de la réception) etles développements théoriques de Schaeffer (Qu'est-cequ'un genre littéraire?), ces deux ouvrages faisant l'objet de deux longsrésumés. Quelques lignes sur la parodie servent d'habile transition vers ce quel'auteur appelle le « brouillage générique généralisé » qui, sansdoute, caractérise le XXème siècle mais qui ne lui est nullement exclusif,comme l'illustrent les exemples du Neveude Rameau et Les Chants de Maldoror.Pour Loehr, cependant, la « révolution des genres » caractéristiquede notre temps n'est pas à interpréter comme un signe de leur disparition mais,au contraire, comme un signe de leur vitalité.

« Post-scriptum »

C'est finalement un commentaire critique du Livre à venir de Blanchot qui, sous formede post-scriptum, termine ce livre, sans le conclure, cet appel à Blanchot sevoulant précisément un appel à résister au « démon de la théorie »ainsi qu'un rappel du caractère partiel et provisoire de tout ouvrage théorique.

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Ce livre, de par sa brièveté et sa présentation,semble s'adresser d'abord aux étudiants. Or, les étudiants en littérature ontle choix entre tant d'ouvrages dits « parascolaires »[1]que l'on peut se demander ce qu'un ouvrage de seulement 130 pages pourrait leurapporter de plus. Ce qu'il apporte de moins est a priori facile à déceler: il n'est conçu pour aucun concours ouexamens particuliers et, dans une optique parascolaire, on peut aussi yregretter l'absence d'un index et d'un glossaire.

Cet ouvrage est pourtant remarquable à trois égards. D'abord,s'il est particulièrement dense, soulignons qu'il ne perd jamais de sa clarté.A ce propos, les courtes bibliographies insérées en fin de chaque chapitredevraient également permettre à tout lecteur de s'y retrouver parmi lamultitude de livres et articles publiés sur chacun des sujets abordés: courtes(une vingtaine d'ouvrages, en moyenne), sans pédantisme, citant aussi bien desarticles imprimés qu'en ligne,[2]divisées en sections claires (« réflexions d'écrivains », « philosophie »,« essais critiques », « synthèses »), ces bibliographiesreflètent aussi les intérêts de l'auteur qui, rappelons-le, est un spécialistede Malraux, une figure récurrente dans ce texte qui permet d'habiles etfascinantes digressions concernant non plus la littérature mais l'art, en général.Ensuite, si l'ambition de cet auteur n'était pas de se montrer exhaustif, sabrièveté est ici une force puisqu'elle place de facto le lecteur à distance de débats théoriques parfois houleuxet stériles, lui permettant dès lors de saisir plus aisément les permanences etgrandes évolutions des notions littéraires abordées. Surtout, cet ouvrage n'estpas purement ou uniquement un ouvrage de synthèse, il est aussi une réflexion ouvertesur la théorie littéraire et sur ses dangers. C'est pour cela que, comme le textetutélaire de Compagnon, l'ouvrage de Loehr ne conclut pas ou, plutôt, ne donnejamais « une » conclusion: plus modestement et comme une invitation àla modestie, il questionne, présente, suggère des directions, des problèmes,des orientations, ces pluriels étant évidemment pour Loehr autant de garde-fouscontre « le démon de la théorie ».


[1] Nous pensons notamment à l'excellente série « GF-Corpus » publiéepar Flammarion qui a consacré un volume à chacune des notions traitées dans uncourt chapitre de l'ouvrage de Loehr présenté ici.

[2] Signalons d'ailleurs qu'il cite uniquement des articles disponiblesgratuitement sur les sites internet de Fabula.orget de l'Université de Genève.