Essai
Nouvelle parution
J.-L. Nancy, Plaisir au dessin

J.-L. Nancy, Plaisir au dessin

Publié le par Marc Escola

Le Plaisir au dessin
Jean-Luc Nancy


Paru le : 17/09/2009
Editeur : Galilée
Collection : ecritures/figures
ISBN : 978-2-7186-0801-3
EAN : 9782718608013
Nb. de pages : 135 pages

Prix éditeur : 23,00€


Dess(e)in (c'est le même mot) : désir de faire venir la forme, c'est-à-dire l'idée.

Dessin : idée sensible, ligne qui porte puissance d'infini. Dessin graphique, sans doute, mais aussi mélodique, rythmique, filmique, poétique. C'est un des opérateurs communs de tous les arts. Son plaisir, c'est son désir : que la forme vienne et que sans se déposer elle suspende son tracé pour en renouveler tout l'élan. Plaisir de désirer, non de résoudre une tension. C'est par quoi il faut aborder l'érotique de l'art aussi bien que l'érotique tout court.

Finalité sans fin : renouvellement infini de la fin, puisqu'elle n'est autre que l'inépuisable profusion qui nous est offerte de formes, de lignes de sens. Accompagné des dessins de Voilerie Adami, Pierre Alechinsky, Jean Le Gac, Ernest Pignon-Ernest, François Rouan, Gérard Titus-Carmel, Vladimir Veliékovié.

EXTRAITS:

La première phrase:
Le dessin est l'ouverture de la forme.


Morceaux choisis:
Mais dans cette combinaison intime des deux gestes de la naissanceet de l'ostension, jamais l'un ne peut se séparer de l'autre : ni lanaissance ne peut simplement rester processus interminable - un traitdoit être tracé - ni l'ostension ne peut simplement présenter une formeformée, bouclée. Le status nascendi ou status formandi, ce status sans état stable, incessamment métastable, ne cesse de se précéder et de se prolonger au-delà de lui-même. Il a commencé 'avant' et il continuera 'après' ce qui se laisse identifier comme le présent de sa présentation ? La forme formée appelle une nouvelle formation, l'Idée se demande elle-même au-delà de ses identifications, la pensée s'avère être celle d'un désir toujours à nouveau rouvert: car la vérité de la chose ne saurait être donnée une fois pourtoutes, puisque la donner - la former - c'est déjà lui ôter une part desa propre capacité d'ouverture, de formation, de transformation ou de déformation.

La ligne n'est ni une chose inerte, ni la projection d'un psychisme : elle est très précisément le jet,la lancée ou la jetée dont une main - avec tout le corps qui s'yrassemble - et une trace - infime dépôt de plomb ou de charbon - sefont ensemble et l'un par l'autre - chacun chargé de l'autre -, sujetautonome en tant qu'élan, fuite ou course, tendance, vecteur, bon heur,grâce, talent, don ouinspiration, génie : un jour il faut bien revenir à ces motsdiscrédités, non pour leur rendre leur ancien crédit, mais pour raviverà nouveau frais la questions ou l'aporie de ce qu'ils sont impuissants à nommer bien qu'on ne puisse éviter de le désigner.

- page : 123 - éditeur : Galilée - date d'édition : 2009 -

Ce qui se révèle, au contraire, ce qui se dessine - s'annonce, se donne à pressentir - de manière incessamment nouvelle, n'est rien d'autre que ceci : le monden'est rien de conforme à un plan donné, mais sa vérité se confond avecson dess (e) in toujours en formation et en transformation. En toutesses formes, en toutes ses allures et façons, graphiques, sonores,dansantes ou autres, le dessin désigne ce dessein sans projet ni planni intention. Son plaisir ouvre sur cet infini.

- page : 130 - éditeur : Galilée - date d'édition : 2009 -

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Sur evene.fr, un billet d'Alexandre Prouvèze

Dessin/dessein: en prenant comme fil directeur le rapport étymologique entre les deuxtermes, c'est le lien entre un geste créatif et son projet qu'interrogeJean-Luc Nancy. Le dessin, exemplaire par son immédiateté et sasimplicité, parle donc pour la pratique créative en général.Grossièrement, la question serait : qu'est-ce qui pousse un corps àtracer des formes, plus ou moins préméditées, sur un support ? D'oùvient cette impulsion ? En fait, la créativité ne suivrait pas unprojet, mais plutôt les incitations d'une force souterraine, d'unelibido dont Nancy rappelle le sens large : celui d'un désir total dumonde, jusque dans ses moindres aspérités. Dont le grain particulierd'un papier, au fond, serait la métaphore. Le sens du dessin setrouverait alors dans le jeu du désir, conscient ou non, que dévoile letrait en train de se faire. L'érotisme, classiquement, appelle le thèmede la mort, donnant lieu à des fragments aussi profonds qu'intenses.Tout en illustrant son propos de dessins souvent évocateurs (PierreAlechinsky, Valerio Adami, Jean Le Gac...), le philosophe s'inscritlui-même dans cette dynamique, vis-à-vis de l'écriture. Théorisantcomme il dit qu'on dessine, il trace sa pensée immédiate, reconnaissantvolontiers son refus de la formaliser : les paragraphes s'enchaînentainsi comme des croquis, des variations, Nancy ayant le goût duparadoxe (proche de Blanchot) et des phrases en spirale. Rétif à touteréduction ou systématisme, son livre multiple les pistes, d'autant quele philosophe compile assez brillamment les citations, dans un colloqueoù interviennent Magritte et Bonnefoy, Derrida et Delacroix, de Vinciet Heidegger. Conviés avec une évidente gourmandise que Nancycommunique au lecteur de son réjouissant essai.