Essai
Nouvelle parution
J.-L. Jeannelle, Malraux. Mémoire et métamorphose

J.-L. Jeannelle, Malraux. Mémoire et métamorphose

Publié le par Marc Escola (Source : Gallimard)

Jean-Louis Jeannelle, MALRAUX, MÉMOIRE ET MÉTAMORPHOSE

Gallimard, HORS SÉRIE CONNAISSANCE, 2006, 448 p.

ISBN : 207077256X

EAN : 9782070772568
EUR: 16,50

« Quels livres valent la peine d'être écrits, hormis les Mémoires ? » écrivait Malraux dès 1928. En dépit de ce que laissait présager ce geste de reconnaissance à l'égard d'un genre vieux de plus de cinq siècles – rien de moins que Le Miroir des limbes, composé des Antimémoires, puis de La Corde et les Souris –, la dimension mémoriale a sans doute été, de toute l'oeuvre d'André Malraux, si ce n'est la moins fréquentée, sûrement la moins explorée.

L'étude que lui consacre aujourd'hui Jean-Louis Jeannelle ouvre les chemins de cette « odyssée de la mémoire », depuis le simple journal de bord jusqu'à l'« antipacte mémorial ». L'auteur montre l'origine, la logique et la chronologie d'une composition très éclatée que le lecteur a, sans cela, du mal à percevoir.

C'est là l'originalité profonde d'une démarche qui consiste à mettre en lumière la réflexion théorique sur un genre hérité d'une lignée apparue avec Commynes et à établir entre les Antimémoires de Malraux et les Mémoires de quelques autres – du général de Gaulle à Simone de Beauvoir –, ou encore entre Malraux et un auteur hanté par la mémoire comme Péguy, l'un de ces « dialogues au sommet » dont Malraux lui-même était coutumier.

Livre en abyme, livre en rebonds, livre en facettes, livre en éclats : tout ce jeu de mémoire et de contre-mémoire constitue la meilleure des introductions à ce thème omniprésent dans toute l'oeuvre d'André Malraux : la métamorphose.

 

Introduction. Les « Antimémoires » : une mise à l'épreuve de soi

Préambule. André Malraux et la tentation des Mémoires

 

Ministres de la mémoire

 

I. « Les Mémoires du xxe siècle sont de deux natures »

Malraux, théoricien des récits de soi

Exemplarité et sincérité

« Drôles de livres, les Mémoires ! »

« Pas un individu, mais une vie. Une aventure humaine. »

 

L'homme de quarante ans

 

II. Une odyssée de la mémoire

Pénétrer dans l'espace et dans le temps conjugués

Connaissez-vous Le Miroir des limbes ?

Un journal de bord

« Je suis en train de noter des souvenirs, ou des machins comme ça »

« Les mémoires ne sont pas une remémoration »

 

La crise de l'humanisme

 

III. Soi-même comme un autre

« D'où viens-tu ? »

L'illusion narrative

« Je crois qu'on appelle Mémoires le dialogue d'un écrivain avec sa vie »

Les questions posées par la mort

Le mal et la fraternité

 

L'assomption de soi

 

IV. Dialogues en abyme

De Gaulle : l'exécution d'un destin

Jacques Méry ou les Mémoires d'un bouddhiste

Les contre-Mémoires de Max Torrès

Une crise de mémoire

 

« La génération des événements »

 

V. Le légendaire historique

Une exploration des frontières

L'autre de l'Histoire

Au « hasard de la mémoire »

D'un musée l'autre

En 1965 avant J-C

 

Grandeur et mythomanie

 

VI. L'antipacte mémorial

Le contrepoint du farfelu

L'écrivain qui feignait d'être ministre de la culture chez de Gaulle

Une troisième dimension

Initiation à la relativité

« La vraie forme de mon livre sera fixée par la mort. »

 

Conclusion : Malraux ou la métamorphose

Annexes

Bibliographie

 

 

 

 

 

Premières pages de l'Introduction :

 

Dans une lettre de 1930 adressée à son nouvel éditeur, Gaston Gallimard, puis transmise pour information à Jean Paulhan, André Malraux déclinait en ces termes un projet de biographie dans la collection « Vie des hommes illustres » :

Cher Monsieur,

Je pense que Paulhan a confondu : je n'ai pas le désir d'écrire une vie d'Edgar Poë, car je crois que je l'écrirais mal. Parmi les existences curieuses, il en est une que j'écrirais peut-être assez bien, et c'est la mienne ; mais, étant donné le titre de votre collection, ce serait peut-être prématuré ?

Permettez-moi néanmoins de vous remercier d'avoir pensé à moi, et de me l'avoir dit si aimablement.

Dans la marge à gauche, Paulhan nota : « Oui ». Approuvait-il l'idée que Malraux écrivît sa propre biographie ou soulignait-il avec ironie ce qu'une telle entreprise aurait assurément de bien prématuré ? Cette lettre n'en décida pas moins de l'avenir éditorial du jeune écrivain : juste à la suite, Malraux y proposait à Gallimard de publier son « Voyage aux îles Fortunées », paru en 1927 dans Commerce ; Paulhan inscrivit dans la marge : « Oui, si autres livres de lui..»

À l'époque, Malraux avait déjà créé chez Gallimard une collection intitulée : « Mémoires révélateurs », dont trois volumes (l'essentiel de cette collection qui comptera seulement quatre titres) paraissent durant cette année 1930 – ce qui explique à la fois que l'on ait pensé au jeune écrivain pour une telle biographie et que celui-ci ait refusé un projet concurrent de sa propre collection. Toutefois, la boutade de Malraux prend, rétrospectivement, une toute autre dimension. Car, en 1965, Malraux est à son tour devenu un « homme illustre ». Le moment est venu pour lui de raconter sa vie : il s'agira des Antimémoires, publiés deux ans plus tard. Suivront cinq autres textes : en 1971, Les Chênes qu'on abat…, consacrés au dernier entretien de Malraux avec le général de Gaulle. Deux ans plus tard, Roi, je t'attends à Babylone…, où surgit de façon inattendue la figure d'Alexandre le Grand. En mars 1974, La Tête d'obsidienne, longue visite des ateliers de Picasso. Au mois d'octobre de la même année, Lazare, journal d'hospitalisation que l'écrivain entreprit lors de son séjour à la Salpêtrière en novembre 1972. Enfin, en octobre 1975, Hôtes de passages, formé de Roi, je t'attends à Babylone… et de deux nouveaux récits mettant en scène Léopold Sédar Senghor, pour le premier, et un personnage imaginaire nommé Max Torrès, pour le second.

Les différents volumes de ce qui s'intitule, à partir de 1974, Le Miroir des limbes ne forment cependant pas le récit d'une « existence curieuse ». Malraux est à l'époque l'un des écrivains dont la biographie est la mieux connue du grand public (même s'il flotte autour d'elle un parfum de légende) et le représentant le plus emblématique d'une veine épique ayant bénéficié, depuis le xixe siècle, de l'essor du roman puis, après la Première Guerre mondiale, de la politisation de l'art. Écrivain combattant, l'auteur de La Condition humaine est aussi célèbre pour ses prises de position publiques que pour les aphorismes dont usent ses personnages et qui forment une vulgate malrucienne déjà solidement établie à l'époque. Cette propension aux formules brillantes, aux dialogues entre intellectuels et hommes d'action ou aux situations manichéennes confère à ses textes une dimension idéologique et métaphysique que les critiques se sont très tôt attachés à commenter. Si, en 1967, la vie de l'écrivain, ministre chargé des Affaires culturelles, est donc trop officielle pour apparaître « curieuse », l'oeuvre qu'il publie à cette date ne manque toutefois pas de surprendre le public. Le titre, Antimémoires, vaut avertissement.


 

[1] Lettre du fonds « Jean Paulhan », correspondance André Malraux-Jean Paulhan, cote : PLH, à l'IMEC (Institut Mémoires de l'édition contemporaine).