Essai
Nouvelle parution
J. Dewey, Le Public et ses problèmes

J. Dewey, Le Public et ses problèmes

Publié le par Arnauld Welfringer

John Dewey, Le Public et ses problèmes

Traduction Joëlle Zask

Gallimard, coll. "Folio Essais", 2010

336 p. - 7,10 €

ISBN : 9782070435876 

John Dewey (1859-1952) est un des piliers du «pragmatisme». Au centre de cette tradition, il y a l'enquête, c'est-à-dire la conviction qu'aucune question n'est a priori étrangère à la discussion et à la justification rationnelle.
Dewey, fondamentalement, est un philosophe de la démocratie : «La démocratie n'est pas une forme de gouvernement», aimait-il répéter, nul ne saurait donc y voir une figure historique du pouvoir, caractérisée par tel ou tel prédicat idéologique, philosophique ou institutionnel. Au contraire, elle est à elle-même sa propre norme, elle définit les conditions pragmatiques de la discussion rationnelle, et par conséquent de l'enquête comme forme élaborée et socialisée de l'expérience. Dans Le public et ses problèmes, Dewey montre plus particulièrement que la politique est une «expérimentation» : les pratiques expérimentales s'appliquent aussi bien à la délimitation du privé et du public qu'à la détermination des intérêts communs, à la décision politique comme à la détermination de la loi. Destiné non pas aux gouvernants, mais au public, instance intermédiaire entre la société et le gouvernement, l'ouvrage entend restituer au public son pouvoir et ses compétences dont le prive la complexification de l'exercice du pouvoir. Il vise à restaurer la démocratie à sa source : la compétence de chaque citoyen.

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On peut lire sur le site nonfiction.fr un article sur cet ouvrage:

"John Dewey ou l'optimisme démocratique", par F. Ménager.

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Dans Le Monde des livres du 9/7/10, on pouvait lire cet article de R.-P. Droit:

Critique "Qu'est-ce que le pragmatisme ?", de Jean-Pierre Cometti ; "Le Public et ses problèmes" et "L'Art comme expérience", de John Dewey : leçons de pragmatisme LE MONDE DES LIVRES | 08.07.10 | 11h05 

Un écureuil, un arbre et un homme ne sont pas inutiles pour commencer à entrevoir de quoi il s'agit. L'écureuil est agile, l'homme veut l'observer, l'arbre s'interpose entre eux. Chaque fois que l'homme avance, l'écureuil aussi. L'observateur ne voit donc rien. Que répondre à celui qui demande si l'homme tourne autour de l'écureuil ? William James se sert de cette histoire - à Harvard, en 1907 - pour faire saisir ce qu'il nomme "pragmatisme", "un nom nouveau pour de vieilles façons de penser", précise-t-il.

35326566343963613461326136336430 On pourra disputer sans fin à propos de l'homme tournant autour de l'écureuil. Oui, diront les uns, l'homme a bien tourné autour de l'animal, puisqu'il a fait le tour de l'arbre. Non, diront les autres, parce qu'il n'a jamais été confronté à l'écureuil. Mais quelle est la conséquence, pour l'humanité, de chacune des solutions ? Ou seulement pour ceux qui soutiennent l'une ou l'autre ? Il est clair qu'aucun inconvénient ni avantage ne découlent d'une solution ou de l'autre. Voilà donc un problème vain !

Son seul mérite : mettre le lecteur sur la voie d'une école philosophique fort influente tout au long du XXe siècle, et encore trop mal connue du public français, le pragmatisme. Dans le vocabulaire quotidien, le terme désigne une attitude réaliste, un choix qui fait primer les intérêts sur les principes. En philosophie, ce vocable, forgé par Charles Sanders Peirce (1839-1914) et repris par James, désigne principalement une manière de définir la vérité par ses conséquences. Ni immuable ni universelle, la vérité est de l'ordre de l'événement : elle se définit par ses résultats.

Dans cette perspective, aucun modèle, aucune forme parfaite, ne surplombe la réalité. Le monde est toujours en train de se faire - tissus d'interactions et d'expérimentations. C'est pourquoi la notion d'expérience est centrale pour le pragmatisme. L'expérience, ici, constitue toujours un processus de transformation. Elle ne revient pas à imposer aux choses un ordre prédéfini, à réaliser un plan préétabli. L'expérience transforme les choses mais aussi celui qui l'accomplit : sujet et objet se modifient réciproquement. Cette corrélation vaut également pour le monde et la réflexion, ou encore pour la nature et la société.

Développé d'abord par William James, auquel Michel Meulders consacre une belle évocation, le pragmatisme a exercé sur la pensée contemporaine une influence tantôt souterraine tantôt visible. La pensée de Gilles Deleuze en porte la marque, via Bergson, proche de William James, et aussi par l'intermédiaire de Jean Wahl. De façon plus massive, une grande partie de la philosophie américaine contemporaine en découle, jusqu'à Richard Rorty et aujourd'hui Richard Shusterman. Dans une étude inédite, Qu'est-ce que le pragmatisme ?, Jean-Pierre Cometti éclaire la diversité de cette influence et des débats qu'elle a suscités. Passionnant pour des lecteurs avertis, ce travail très dense est à recommander aux philosophes, mais risque de dérouter les débutants.

Education et démocratie

Ce qu'il met notamment en lumière, c'est la place essentielle occupée par John Dewey, dont deux titres importants sont réédités en poche, dans l'histoire du pragmatisme. John Dewey (1859-1952) est une figure que le public français semble avoir encore à découvrir. Au cours d'une longue existence (il meurt à 92 ans, actif presque jusqu'à la fin de sa vie), Dewey passa de Hegel à Darwin et de William James à l'élaboration de son propre pragmatisme, dont on peut suivre les étapes au long des 37 volumes de ses Collected Works. Au plus bref, l'apport de Dewey est d'avoir mis l'accent sur l'éducation et la démocratie. Convaincu que la dynamique de l'expérience est essentielle, il conçoit un système éducatif centré sur les recherches et les besoins de l'enfant, mais aussi sur la pertinence des solutions trouvées par les sciences et les techniques.

Son originalité, de ce point de vue, est de postuler qu'il existe un point commun entre ce que les savoirs humains ont bâti dans l'histoire et ce que les enfants cherchent à trouver comme solutions aux problèmes que leur pose le monde. Dewey s'oppose donc aussi aux pédagogues qui ne mettent l'accent que sur les connaissances, les programmes et les contenus à transmettre. Mais il se sépare également de ceux qui ne jurent que par les découvertes intuitives et le libre développement des capacités créatrices spontanées. L'essentiel, pour lui, est d'en finir avec l'opposition radicale du monde et de l'esprit, de la pensée et de l'action. C'est pourquoi il insiste sur les créations continues.

Arts populaires

La démocratie en est une : tout s'y rejoue en permanence. Car la démocratie, pour Dewey, est bien plus qu'un simple cadre institutionnel ou un système politique. "La démocratie n'est pas une forme de gouvernement", ne cesse-t-il de répéter. C'est une manière de vivre, qui définit constamment ses propres normes. La politique, en ce sens, est expérimentation. A condition que le public n'en soit pas absent, dépossédé du pouvoir par la complexité des questions et le règne des experts. Le Public et ses problèmes, rédigé au milieu des années 1920, est consacré à une réflexion sur les moyens à employer pour que la compétence de chacun trouve son rôle dans l'expérience collective. Faut-il souligner qu'une telle réflexion n'est pas dépourvue d'actualité ?

Richard Shusterman, grand représentant du pragmatisme actuel, a raison de souligner, dans son introduction à l'édition française de L'Art comme expérience, la singularité d'une approche pragmatiste de l'esthétique. Centrée sur les arts populaires, sur l'expérience de l'homme ordinaire, elle s'oppose d'entrée de jeu à l'intimidation des profanes par les initiés. Là encore, le pragmatisme se révèle, plus que tout, philosophie de l'expérience : "Nous ne nous approprions vraiment l'importance d'une oeuvre d'art, conclut Dewey, que si nous accomplissons dans nos propres processus vitaux les processus que l'artiste a accomplis pour produire l'oeuvre."

QU'EST-CE QUE LE PRAGMATISME ? de Jean-Pierre Cometti. Gallimard, "Folio Essais" n° 535, 440 p., 9,20 €.

LE PUBLIC ET SES PROBLÈMES (THE PUBLIC AND ITS PROBLEMS) de John Dewey. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) et présenté par Joëlle Zask. Gallimard, "Folio Essais" n° 533, 336 p., 7,10 €.

L'ART COMME EXPÉRIENCE (ART AS EXPERIENCE). Présentation de l'édition française par Richard Shusterman, postface de Stewart Buettner, traduction coordonnée par Jean-Pierre Cometti. Gallimard, "Folio Essais" n° 534, 608 p., 9,70 €.


Roger-Pol DroitArticle paru dans l'édition du 09.07.10