Essai
Nouvelle parution
J. Assman, La mémoire culturelle. Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques

J. Assman, La mémoire culturelle. Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques

Publié le par Marc Escola

La mémoire culturelle. Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques
Jan Assman

Diane Meur (Traducteur)

Paru le : 06/01/2010
Editeur : Aubier
Collection : historique
ISBN : 978-2-7007-2361-8
EAN : 9782700723618
Nb. de pages : 372 pages

Prix éditeur : 30,00€


Comment une société se souvient-elle? Quel rôle joue la mémoire dans la construction d'une identité culturelle? En quoi l'invention de l'écriture a-t-elle modifié en profondeur le rapport que les civilisations antiques entretenaient avec leur propre mémoire? Ce sont ces questions qu'examine ici jan Assmann, à travers l'étude comparée de plusieurs grandes civilisations de l'Antiquité - l'Egypte, les Hittites, la Mésopotamie.
Israël et la Grèce. La notion de "mémoire cultrelle" est au coeur de ce grand livre, devenu depuis sa parution en Allemagne une référence pour tous les historiens, sociologues, ethnologues qui s'intéressent au thème de la mémoire.

Sommaire:

FONDEMENTS THEORIQUES

La culture du souvenir
La culture de l'écrit
Identité culturelle et imaginaire politique

ETUDE DE CAS

L'Egypte
Israël et l'invention de la religion
La naissance de l'histoire à partir de l'esprit du droit

L'auteur:

Jan Assman est égyptologue.
Plusieurs de ses ouvrages ont été traduits en français : Moise l'Egyptien, un essai d'histoire de la mémoire (Aubier, 2001), Mort et au-delà dans l'Egypte ancienne (Rocher, 2003), Le Prix du monothéisme (Aubier, 2007), Violence et monothéisme (Bayard, 2009).

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On peut lire sur le site nonfiction le compte rendu de cet ouvrage:

"Plongée dans les mémoires de l'Antiquité", par F. Champy.

Et sur laviedesidees.fr:

"Une histoire de la mémoire", par J. Wilgaux.


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Dans Le Monde des livres du 8/1/10, on pouvait lire un article sur cet ouvrage:


Critique "La Mémoireculturelle. Ecriture, souvenir et imaginaire politique dans lescivilisations antiques", de Jan Assmann : commenter pour transmettre LE MONDE DES LIVRES | 07.01.10 |

Pourquoiles cultures de la Grèce antique ou de l'ancien Israël continuent-ellesd'irriguer la pensée contemporaine alors que les civilisations del'Egypte (ou de la Mésopotamie) nous paraissent comme mortes, en toutcas étrangères et sans incidence réelle sur notre propre culture ?

Legrand égyptologue allemand Jan Assmann, dans un livre paru en 1992 etenfin traduit en français, tente d'apporter une réponse dont on devinequ'elle ne peut se réduire à des concepts simples. Cela expliquel'importance de la première partie, consacrée aux fondements théoriquesde la démarche, qui emprunte au sociologue français Maurice Halbwachs(1877-1945) les notions essentielles de "mémoire collective" et de "construction sociale du passé", à partir desquelles Assmann élabore les concepts de "figures-souvenirs", de "mémoire communicationnelle" ou de "mémoire culturelle".

Mais c'est de Lévi-Strauss que provient une autre idée-force du livre : l'opposition entre sociétés "froides", qui annulent "de façon quasi automatique l'effet que les facteurs historiques pourraient avoir sur leur équilibre et leur continuité", et les sociétés "chaudes", qui manifestent un "besoin irrépressible de changement".

Lestrois cultures placées au centre du livre (même s'il aborde àl'occasion la Mésopotamie, les Hittites, la Perse, l'Inde ou la Chine)ont en commun d'avoir su constituer des collections de livres. C'estvrai de façon éclatante pour la Grèce ou pour Israël, mais l'Egypten'en est pas dépourvue (avec cette particularité que son écriture estrestée indéchiffrable pendant quatorze siècles, jusqu'à la découvertede Champollion en 1822). Pourtant, tandis qu'Israël (avec le canon desEcritures fixé dès l'époque hellénistique) et la Grèce (grâce auxsavants d'Alexandrie) entreprenaient de canoniser leur littérature nonpour la figer mais pour la stabiliser et en faire une base assurée decommentaires, la civilisation égyptienne, à la même époque ou peuavant, canonisait son corpus textuel en le pétrifiant. Et ce au senspropre, dans le temple égyptien tardif, celui d'époque gréco-romaine,dont elle faisait, par l'architecture et le décor, la mémoire d'unetradition désormais immuable.

A la mémoire chaude des juifs ou des Grecs, pour qui l'injonction "souviens-toi"constitue à la fois un impératif de l'identité collective (sansmémoire, les juifs en exil à Babylone se seraient fondus dans lespopulations indigènes) et un point de départ pour une compréhension dupassé et du présent, Assmann oppose la mémoire froide de l'Egypte, quise borne à consigner. La mémoire chaude, qui est à l'origine del'histoire, repose sur un lien indissoluble entre l'explication desévénements et la notion de justice et de faute : la faute justifie lemalheur, le succès découle du respect du contrat avec Dieu. Cettemémoire chaude n'a donc rien à voir avec les annales royales,égyptiennes ou assyriennes, qui enregistrent une chronologie pourétablir des généalogies, non pour donner un sens à une histoire enmouvement.

"Figure-souvenir"

Si le lecteurpeut peiner à lire la partie théorique, quoiqu'elle soit nourried'exemples concrets toujours éclairants, les quatre chapitres de laseconde partie, plus directement consacrés aux trois civilisations,emportent la conviction, tant ils abondent en formules justes etfrappantes. Assmann met en évidence combien l'Egypte a canonisé sesarts figuratifs et leur grammaire "au service de la répétabilité, non de la prolongeabilité (c'est-à-dire de la variation maîtrisée des règles)". C'est ainsi que "tousles grands temples construits durant la période gréco-romaine peuventêtre vus comme les variantes d'un type unique dont le temple d'Horus àEdfou serait la réalisation la plus complète". Or le plan de cestemples traduit un profond sentiment de menace, qui s'exprime ailleurs,dans les textes tardifs, par une xénophobie exacerbée. Dans le mêmetemps, l'écriture hiéroglyphique, écriture sacerdotale aussi ésotériqueque le savoir qu'elle codifie, conduit à une cléricalisation de laculture, à sa sacralisation. C'est certes par ce moyen que l'Egypte,seule région du Proche-Orient hellénisée, a pu survivre à la "rupture culturelle majeure provoquée par l'hellénisation",mais elle n'a pas su fonder sur cette tradition canonisée une cultureexégétique qui aurait permis de lui conserver un sens jusqu'àaujourd'hui.

Il en va tout autrement d'Israël et de la Grèce,même si leurs exemples diffèrent largement sur des points essentiels.Israël a créé "la religion au sens fort", estime Assmann, qui se dresse telle un "mur d'airain"entre le peuple et les cultures environnantes. La religion devientrésistance, et le passé, réel ou supposé - ce qu'Assmann nomme une "figure-souvenir"- fonde la mémoire collective. Mais l'historiographie ainsi constituéene vise pas à fournir de simples points de repère dans la successionrépétitive du temps, elle est chargée de sens ; elle "se sémiotise, cesse d'être triviale". "Les événements sont des manifestations de la puissance divine",qui peut se traduire aussi bien par le châtiment que par le salut.C'est de cette façon que naît en Israël une histoire charismatique, oùtout ce qui advient "devient lisible à la lumière de (...) l'alliance" conclue entre Dieu et son peuple. L'histoire n'est pas simple curiosité, elle "relève du travail civilisateur opéré sur l'homme".

SiIsraël apporte un élément fondamental (le souvenir sémiotisé), lesGrecs introduisent nombre de nouveautés essentielles. Eux aussi eurentle souci de canoniser des textes, c'est-à-dire de les stabiliser, maischez eux point d'écritures saintes : comme l'observait déjà FlaviusJosèphe au Ier siècle de notre ère, alors que les juifs se contentent de 22 livres "qui contiennent les annales de tous les temps" et sont cohérents entre eux (du moins le croit-il), les Grecs disposent d'innombrables livres qui se contredisent.

Orc'est bien de cette polyphonie discordante que naît une pratiquefondamentale aux yeux d'Assmann pour qu'une culture reste vivante :l'hypolepse. Sur un corpus de textes stabilisés (chaque lecteur a sousles yeux le même texte d'Homère, de Platon ou d'Euripide), chacunintroduit le doute que lui inspire sa propre recherche de la vérité.Les textes, contradictoires, invitent en quelque sorte à la joute, à l'agôn, notion centrale dans l'hellénisme : on entre dans une culture du conflit, une "intertextualité agonistique"pour reprendre une expression d'Heinrich von Staden. En ce sens, lediscours "hypoleptique" consiste à repartir de ce qu'ont dit lesprédécesseurs afin d'approcher la vérité, avec la conscience del'impossibilité de pouvoir jamais y parvenir.

On est ici aux antipodes de la conception égyptienne, où l'écrit est ancré "dans les institutions de la cohérence rituelle, dont le principe est la répétition, non la variation disciplinée".A partir de la tradition canonique, Israël et les Grecs ont fondé lecommentaire, l'Egypte la vénération rituelle. Là sans doute reposetoute la différence.

LA MÉMOIRE CULTURELLE. ECRITURE, SOUVENIR ET IMAGINAIRE POLITIQUE DANS LES CIVILISATIONS ANTIQUES (DAS KULTURELLE GEDÄCHTNIS) de Jan Assmann. Traduit de l'allemand par Diane Meur. Aubier, "Collection historique", 372 p., 30 €.
Maurice SartreArticle paru dans l'édition du 08.01.10