Questions de société
Italie:

Italie: "La réforme Tremonti-Gelmini doit être bloquée", par un collectif de doctorants & chercheurs de l'Univ. de Naples.

Publié le par Marc Escola (Source : SLU)

L'Italie a été le grand laboratoire du processus de Boulogne: les effets de la "Loi Précresse" y sont déjà connus.

La nouvelle offensive de la droite italienne vient donner le coup de grâce au système d'instruction publique, en transformant les
université en fondations privés, en procédant à des coupes de financements pour 1 mld 400 millions d'euros.

Principales conséquences: impossibilité pour le jeunes d'accéder à la recherche et la didactique, précarité répandue, augmentation des
frais d'inscriptions, fermeture des services essentiels (restos universitaires, logements, bourse d'étude...), contrôle de la recherche...
Soit: une université élitiste, soumise aux intérêts privés et au xprogrammes idéologiques du gouvernement et de
l'UE, où la cooptation reste la manière de recruter les chercheurs, où les stages ne sont plus rémunérés….

À Naples, le collectif des doctorants & chercheurs a occupé l'Université Orientale le 6 octobre puis le 6 novembre le rectorat de
l'Université Federico II, occupations suivies de très grandes manifestations. La mobilisation monte un peu partout en Italie.

LA RÉFORME TREMONTI-GELMINI DOIT ÊTRE BLOQUÉE !

Avec le blitz du 6 août le gouvernement Berlusconi a converti en loi le décret
122, impunément appelé "Dispositions urgentes pour le développement économique,
la simplification, la compétitivité, la stabilisation de la finance publique et
la péréquation fiscale", en poursuivant le processus de "réforme" de l'école et
de l'université. Depuis un mois à présent, contre cette mesure, descendent sur
les places élèves, parents, instituteurs, professeurs, personnel technique et
administratif, précaires de l'enseignement. La mobilisation est forte également
dans les universités : la protestation d'étudiants, doctorants, précaires de la
recherche, s'étend de Turin à Palerme, en passant par Milan, Gênes, Pise,
Florence, Bologne, Rome (et bientôt Bergame, Parme, Venise, Padoue, Ferrare,
Pérouse, Bari, Salerne, Cagliari, Reggio Calabria, Catane)... Certaines
facultés sont déjà occupées, dans d'autres les cours ont été interrompus,
l'année suspendue.

Il n'y a pas de quoi s'étonner: tous ceux qui vivent et travaillent dans les
écoles et dans les universités ont compris, que derrière des vocables comme
"simplification" ou "stabilisation" il y a le désengagement de l'État, que
"compétitivité" et "péréquation" signifient en réalité "revente". Des écoles
maternelles au-delà des écoles doctorales, tout le système de l'instruction est
déstructuré, à travers la suppression des financements, la mise en précarité,
le blocage des recrutements.
La loi 133/08 ne représente pas cependant une absolue nouveauté : elle s'insère
en effet dans le processus de démantèlement de l'instruction publique entrepris
depuis au moins 15 ans par les gouvernements de centre-droit et de
centre-gauche. Cela fait longtemps en effet que se succèdent de supposées
"réformes", destinées à seconder les préceptes idéologiques du néo-libéralisme.
Ce dernier vise à re-dessiner comme il l'entend les rapports entre capital et
travail, en piochant dans les dépenses sociales comme la santé, les salaires et
les retraites, disséminant partout insécurité et précarité.

L'université se trouve au coeur de ce processus. Elle est naturellement un
espace clé à investir à tout prix : ici en effet on endoctrine les futures
élites, on habitue au travail les futurs précaires de demain. Déjà la réforme
qui introduisait le tristement célèbre "3+2" avait assené un coup dur au
système: les étudiants, fragmentés en myriades de licences aussi nombreuses
qu'inutiles, sont contraints de suivre obligatoirement les cours, de grappiller
des "crédits" ça et là, de se plier à des formes de travail non rétribué sous
forme de stage, en étudiant de façon parcellaire, obsessionnelle et mécanique.

Et pourtant la manoeuvre Tremonti-Gelmini réussit à faire pire. Grâce à une
campagne médiatique violente et inédite, vouée à criminaliser le statut fixe
(par trop propre aux fainéants), on tente de ramener l'instruction 40 ans en
arrière pour créer une Université de série A, constituée de pôles d'excellence,
où éduquer les dirigeants de demain, et de série B, où asservir la future main
d'oeuvre à bas prix. Comme déjà expérimenté ailleurs, on tente de détruire par
tous les moyens le secteur public pour ensuite faire valoir des urgences, et
mettre en oeuvre, sous le paravent idéologique de la "réforme", des mesures qui
minent le fondement du système public.

Voilà ce que prévoit la loi Tremonti-Gelmini :

- Blocage des recrutements : dans les trois prochaines années est prévue une
seule embauche pour cinq départs en retraite. Ce qui signifie une réduction
dramatique du « turn over » et un conséquent vieillissement de la classe
enseignante, déjà aujourd'hui parmi les plus vieilles d'Europe. Ceci marquera
l'impossibilité pour les plus jeunes d'accéder à la recherche et à
l'enseignement, en allongeant de façon insoutenable les échéances de
recrutement. Seront intégrés seuls ceux qui peuvent patienter sur de longues et
fastidieuses « listes d'attente »: pour les autres qui ne viennent pas d'une
famille aisée c'est la résignation ou l'exil. Un abandon qui appauvrit toute la
société, étant donné que l'instruction et la recherche ne sont pas des dépenses
superflues, mais ce sur quoi se joue le futur d'un pays.

- Coupe claire dans le budget ordinaire: Jusqu'en 2013 est prévue une
suppression de 1441 millions d'euros, soit 20% en moins du bilan budgétaire de
2008. Bilan du reste dérisoire, étant donné que 90% des universités sont déjà
contraintes de dépasser les plafonds de dépense. Ces coupes aboutiront à une
augmentation des frais et du nombre d'étudiants par enseignant, et à une
ultérieure dégradation de la qualité de la pédagogie, de la recherche et de
tous les services, avec la réduction des bourses d'étude, dégradation ou
fermeture de cantines, bibliothèques, laboratoire, secrétariats, résidences
universitaires...

- Possibilité de transformer les Universités en Fondations de droit privé: pour
se financer et jouir au mieux de leur « autonomie » (mais autonomie de quoi?
des liens sociaux que la collectivité abandonne aux intérêts sans limites du
marché!), les universités ouvriront à des sujets privés, comme des mécènes
particuliers ou des entreprises, l'accès aux instances de direction des
Facultés. Personne n'offre gratuitement, et ainsi ce qui appartenait à tous
sera aliéné. Conséquences: adéquation des programmes aux intérêts des
entreprises, contrôle majeur de la recherche (seront en effet financés
seulement les programmes qui entrent dans des critères déterminés par le
gouvernement ou l'UE), jusqu'à la revente matérielle du patrimoine immobilier
pour récupérer des fonds.

En tant que doctorants, boursiers, précaires de la recherche, chercheurs
contractuels, à temps partiel, « à discrétion », et toujours « à disposition »,
nous jugeons cette réforme, plus encore que les précédentes, comme une
véritable sauvagerie. En consonance avec la restructuration néo-libérale du
marché du travail, nous sommes fragmentés en une myriade de contrats et statuts
divers, sous-payés ou sans aucune rétribution, sans droits ni reconnaissance
d'aucun type, assimilés à des logiques baronales et de cooptation. Nous pouvons
accéder à un contrat décent seulement si « affiliés » au bon créneau
d'enseignants, nous sommes contraints de subir la répartition des postes ad
personam, des mécanismes de recrutement corrompus et burlesques, alimentés par
des dessous de table entre groupes de pouvoir. Et ce malgré les prédispositions
constitutionnelles à des concours ouverts et transparents pour l'accès aux
charges publiques (art.97). Celles-ci devant être « fondée sur le travail »
protégé à temps indéterminé (art.1), et oeuvrer pour « la suppression de tous
les obstacles d'ordre économique et social, qui, limitant de fait la liberté et
l'égalité des citoyens, empêchent le développement complet de la personne et la
participation de tous les travaux à l'organisation politique, économique et
sociale du Pays » (art. 3)!

Ces éléments nous rendent difficile toute identification à une subjectivité de
même qu'à un type de lutte déterminés. Mais en pratique, dans notre activité
quotidienne, nous sommes un sujet unitaire. On s'est tant étendu sur notre
présumée faiblesse, notre incapacité à être le moteur de ce mouvement sans
l'appui de pouvoirs forts, des institutions et des nombreux barons. Nous
pensons en revanche qu'eux sont faibles par leur recours (et gestion à tout va)
à la protestation pour défendre leurs privilèges. Nous ne devons pas nous
leurrer: aujourd'hui ils nous flattent au nom d'un présumé intérêt commun, mais
demain le carrosse redeviendra citrouille et, comme toutes les têtes de bois,
une fois devenues inutiles, nous serons jetés.
Dans l'université italienne, il manque au moins 30000 chercheurs pour entrer
dans la moyenne OCSE. Nous avons le plus faible nombre de docteurs et de
chercheurs par habitants d'Europe. Certes pas pour des préoccupations d'ordre
social ou culturel, mais seulement pour « s 'armer » dans l'aspre compétition
du marché global, les gouvernements de l'UE se sont employés en 2002 à
consacrer à la recherche au moins 3% du PIB: notre pays en dépense aujourd'hui
1%. Mais même dans une période de crise économique les coupes doivent être
faites ailleurs: l'Italie est au 8è rang mondial des dépenses militaires
(25milliards d'euros, plus de 2% du PIB, en continuelle augmentation), sans
parler de l'évasion fiscale et des 3milliards d'euros consacrés au financement
des privilèges d'une des classes politiques plus riches et corrompues d'Europe.

Aujourd'hui plus que jamais nous affirmons que l'Université s'appuie sur le
travail de 60000 précaires, soit la moitié des préposés à l'enseignement et à
la recherche. Avec les étudiants et les travailleurs ce sont les premiers
touchés par cette situation, et, justement parce qu'ils n'ont aucun privilège à
défendre, ils doivent s'allier pour contrer l'asservissement du public aux
intérêts du privé et aux desseins de Confindustria, d'abord mis en pratique par
le gouvernement de centre-gauche, par celui du centre-droit aujourd'hui.

Nous ne voulons pas défendre l'Université du présent, classiste et baronale,
mais la refaire : repenser l'école et l'université comme lieux de critique et
instruments sociaux d'émancipation, ouvertes au territoire de la société.

CONTRE LA TRANSFORMATION DES UNIVERSITÉS EN FONDATIONS !

CONTRE LE BLOCCAGE DES RECRUTEMENTS !

CONTRE LES COUPES CLAIRES DANS LES BUDGETS !

LUTTONS UNIS AVEC LES ETUDIANTS ET LES TRAVAILLEURS

POUR BLOQUER LA REFORME ET POUR UNE UNIVERSITÉ LIBRE ET ACCESSIBILE A TOUS !