Essai
Nouvelle parution
Intertextualités. Quand les textes voyagent.

Intertextualités. Quand les textes voyagent.

Publié le par Julia Peslier (Source : Jean-Yves Laurichesse)


Intertextualités. Quand les textes voyagent,

études réunies par Jean-Yves Laurichesse,

Presses Universitaires de Perpignan,

"Cahiers de l'Université de Perpignan", n° 35,

2007, 214 p., 18 €.


AVANT-PROPOS


Cet ouvrage collectif est le fruit d'un travail de séminaire conduit entre 2003 et 2005 à l'Université de Perpignan, dans le cadre de l'Équipe d'accueil VECT (« Voyages, Échanges, Confrontations, Transformations »), et plus particulièrement de son axe de recherche « Textes, intertextes, imaginaire méditerranéen ». Réunissant des chercheurs et des doctorants en langues et littératures anciennes, littérature française moderne et contemporaine et littérature générale et comparée, ce séminaire s'était donné pour objectif de croiser deux problématiques, celle du voyage comme déplacement dans l'espace et rencontre de l'autre, et celle de l'intertextualité comme transport des textes, d'une époque à l'autre, d'un pays à l'autre, d'un genre à l'autre. Il se proposait aussi de privilégier dans le choix du corpus la relation, directe ou indirecte, au monde méditerranéen en tant qu'unité/diversité historique géographique et culturelle. Les neuf études qui composent ce recueil s'inscrivent, chacune à sa manière, dans ce triangle Voyage / Intertextualité / Méditerranée.
Plusieurs d'entre elles portent sur des oeuvres ayant pour sujet ou pour contexte un voyage géographique : le long et difficile retour d'Ulysse à Ithaque, fondateur de tout récit de voyage en Méditerranée (Mireille Courrent), l'exil douloureux des personnages de Kundera vers la France et leur problématique retour en République tchèque (Alain Badia), le séjour du jeune Rousseau à Lyon, entre les Charmettes de « Maman » et le Paris du succès espéré, mais dans la nostalgie de la patrie genevoise (Anne Chamayou), l'équipée tardive de Giono vers l'Italie longtemps fantasmée d'où était venu son grand-père (Jean-Yves Laurichesse), enfin l'aventure désenchantée de Claude Simon à Barcelone pendant la guerre d'Espagne, dans le souvenir des voyages de sa mère disparue (Anne-Lise Blanc).

Mais ces oeuvres ont aussi un caractère intertextuel : l'Odyssée se construit sur un vieux fonds culturel méditerranéen et oriental, un personnage de L'Ignorance de Kundera médite sur les difficultés du retour au pays en relisant à sa manière l'aventure d'Ulysse, Rousseau cherche dans la forme de l'épître, inspirée d'Horace et d'Ovide, sa voie et sa voix d'écrivain en devenir, Giono écrit son Voyage en Italie à l'ombre d'auteurs qui lui sont chers, Machiavel et Stendhal, Claude Simon confronte dans Les Géorgiques son aventure espagnole à celle de George Orwell en faisant de l'auteur de Hommage à la Catalogne un personnage. Ainsi est proposé au lecteur un double voyage, dans l'espace et dans les textes.

Dans d'autres études, cependant, l'intertextualité est par elle-même voyage métaphorique ou imaginaire. Aristophane transporte la tragédie dans la comédie (les Acharniens, les Thesmophories), non tant pour la parodier que pour mieux définir sa propre poétique (Ghislaine Jay-Robert). Mishima, avec Le Tumulte des flots, recrée dans un petit village de pêcheurs japonais l'idylle pastorale de Daphnis et Chloé (Laurent Bernabé). Balzac, dans Facino Cane, La Fille aux yeux d'or, Sarrasine et Albert Savarus, joue avec les clichés romantiques de l'exotisme méditerranéen en les mettant au service de la machine narrative (Nathalie Solomon). Un personnage migre d'oeuvre en oeuvre et d'un continent à l'autre : le chevalier Dupin de Poe se réincarne en Monsieur Teste chez Valéry, puis en Monsieur Sureau dans Iris et Petite-Fumée de Joë Bousquet (Françoise Haffner).

Mais tous les textes étudiés s'inscrivent, géographiquement et/ou culturellement, dans un arc nord-méditerranéen, en un large balayage temporel : la Grèce d'Homère, d'Aristophane et de Longus, l'Italie d'Horace et d'Ovide, mais aussi de Balzac et de Giono, le Languedoc de Valéry et de Bousquet, l'Espagne de Claude Simon. Cette Méditerranée est cependant ouverte sur le reste du monde, soit qu'elle exporte son imaginaire (au Japon avec Mishima, en République tchèque avec Kundera), soit qu'elle s'incorpore des éléments exogènes (l'Amérique d'Edgar Poe).

Le recueil s'organise en deux parties, la première centrée sur le texte antique et ses réécritures, la seconde sur les voyages du texte moderne. Au terme du parcours, il apparaît d'abord que tout voyage a été déjà accompli, tout récit de voyage déjà écrit, et que l'écrivain trace son chemin sur la carte de la littérature autant que sur celle des terres et des mers. À l'inverse, toute réécriture ressemble à un voyage en ce qu'elle dépayse le texte source, l'entraîne dans un espace littéraire nouveau qui en relance la signification. Enfin, le monde méditerranéen, par l'ancienneté et le prestige de ses civilisations, mais aussi par la cristallisation imaginaire dont il est l'objet, constitue le foyer idéal de ces transferts textuels qui font de la littérature, même quand elle n'en relate aucun, un voyage sans fin.


SOMMAIRE


Le texte antique et ses réécritures

Sur quelques intertextualités homériques : allusions, échos et création dans l'Odyssée, par Mireille COURRENT.
Intertextualité et paratragédie chez Aristophane, par Ghislaine JAY-ROBERT.

L'Ignorance de Kundera, ou l'Odyssée chimérique, par Alain BADIA.

L'Île idyllique. Palingénésie d'un motif littéraire de Longus à Mishima, par Laurent BERNABÉ.

Voyages du texte moderne

Chambéry-Lyon via Genève : l'écriture et ses territoires dans deux épîtres de Jean-Jacques Rousseau, par Anne CHAMAYOU.

Voyage, intertexte, Méditerranée : les promenades à l'épate de M. de Balzac, par Nathalie SOLOMON.

Monsieur Teste et Monsieur Sureau, avatars du chevalier Dupin, ou de Valéry à Bousquet, la méditerranéisation d'un personnage de Poe, par Françoise HAFFNER.

Giono : une Italie de mots, par Jean-Yves LAURICHESSE

L'Éventail à feuille plissée des imaginaires de l'Espagne dans les romans de Claude Simon, par Anne-Lise BLANC.