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Interface (Chantiers de la création)

Interface (Chantiers de la création)

Publié le par Marc Escola (Source : B. Philippe)

Interface

Emprunté à l’anglais, le terme « interface » fut d’abord utilisé en chimie pour parler de « la surface de contact entre deux milieux » (Trésor de la Langue Française informatisé). Plus couramment, il désigne une « zone de contacts et d'échanges ». On voit bien que l’interface n’est pas qu’une simple frontière, mais le lieu dans lequel s'effectue une interaction, notion que l’on retrouve en informatique où une interface est la « jonction entre deux matériels ou logiciels leur permettant d'échanger des informations par l'adoption de règles communes physiques ou logiques » (Trésor de la Langue Française informatisé). Cette dernière définition imprègne le sens du mot aujourd'hui ; on évitera cependant de s’y cantonner, pour interroger le rapport entre interface et création. Comment la notion d'interface permet-elle d'éclairer le processus créatif ?

Un axe possible de recherche serait de considérer l’interface comme une frontière poreuse entre deux milieux. La traduction par exemple pourrait être envisagée comme la mise en œuvre du pouvoir créateur et dynamogénique de l'interface, qui passe par une forme de compromis : des données passent d'un milieu à l'autre au travers d'un tamis. Cependant, la nature de cette frontière reste floue : tout peut-il faire office d'interface ? L'être humain peut-il lui-même en être une ? Les traducteurs entendants de Langue des Signes Française portent par exemple ce nom. De même, dans le domaine audiovisuel, peut-on considérer les techniciens comme les traducteurs d’une intention artistique ? Un monteur peut-il être considéré comme une « interface créatrice » entre le réalisateur et le film produit ?

On pourra aussi questionner la place de l'outil dans le processus de création, par le biais de l’interface qui lui est attribuée, et de manière plus générale, on pourra se demander ce qui différencie un outil d’une interface. L'interface pourrait être comprise comme la « zone de contact » qui permet d'accéder à l'usage de l'outil et suppose donc une connaissance de cette dernière, c'est-à-dire l'emploi d'un langage commun. Elle entretiendrait alors avec celui-ci un lien que certains présentent comme univoque et stable. Mais est-ce vraiment la seule relation possible ? Si l'on considère qu'un outil peut proposer plusieurs interfaces, peut-on considérer qu'une interface renvoie toujours à des possibilités limitées et préalablement définies ? Le rôle du créateur ne serait-il pas de questionner, voire de détourner ce rapport ? C’est peut-être en ces termes que l’on pourrait comprendre les pianos préparés de John Cage. Sa démarche n'est pas uniquement technique mais porte en elle une revendication éthique. D'ailleurs, les photographes qui refusent, ou au contraire cherchent, les retouches numériques n’ont-ils pas une démarche similaire ?

On pourra aussi poser la question du statut de l’œuvre d’art. En quoi peut-elle être envisagée comme une interface ? Si l’on considère cette dernière comme la surface de contact où deux mondes (la subjectivité de l’artiste et celle du regard extérieur) se rencontrent mais ne répondent pas à l’idée d’univocité et d’interaction envisagée plus haut, les propos de Jean-Paul Fourmentraux, bien qu’ils s’appliquent spécifiquement aux œuvres issues du Net Art, ne sont pas sans rapport avec la question qui nous intéresse : « [s]i l’œuvre ne peut être réduite à l’interface » mais que cette dernière « n’en constitue pas moins un pôle désormais incontournable de l’œuvre », elle « doit constituer l’outil, l’objet et le milieu [...] au sein duquel pourront s’écrire le projet artistique, se déployer la part visible de l’œuvre, et s’inscrire la réception active du public. » (« Programmer l’interface. Les ambivalences d’une matrice relationnelle », 2005) L’interface ne permet-elle pas finalement un échange non plus vertical, du créateur vers le public, mais un échange horizontal, à travers lequel le sens de l’œuvre est actualisé grâce à la réception, voire la participation, du lecteur ou du spectateur ? L'interface, à défaut d’être assimilable à la création de sens de l’œuvre, n’est-elle au moins constitutive de cette dernière ? C’est en tout cas l’idée défendue par Jacques Rancière : « [c]'est d'abord dans l'interface créé entre des "supports" différents, dans les liens tissés entre le poème et sa typographie ou son illustration, entre le théâtre et ses décorateurs ou affichistes, […] que se forme cette "nouveauté" qui va lier l'artiste abolissant la figuration au révolutionnaire inventant la vie nouvelle. » (Le Partage du sensible, 2000)

Enfin, les problèmes posés par les interfaces associées aux outils de la création ne seraient-ils pas d'un ordre éminemment politique, puisqu'ils sont les reflets opératoires de la culture qui les a sécrétés ? En fin de compte, la question de l'interface ne pourrait-elle pas être celle de la plaie qu'ouvre le réel dans le corps, et de ce qu'utilise le corps pour la panser/penser ?

Modalités de soumission

Les propositions d'intervention dans les champs disciplinaires des lettres, des langues, des arts et de la civilisation sont à soumettre jusqu’au dimanche 4 janvier 2015 inclus à leschantiersdelacreation@gmail.com. Elles contiendront 500 mots (+ ou – 10%), hors notes de bas de page, et seront accompagnées d’une bio-bibliographie de l’auteur. Les propositions d’installation plastique seront aussi examinées. Merci de nommer vos fichiers comme suit : NOM_TITREPROPOSITION_INTERFACE2015

La journée d'étude se tiendra le mercredi 18 mars 2015 à l’Université d’Aix-Marseille (site Schuman à Aix-en-Provence) et sera suivie de la publication des actes dans le prochain numéro des Chantiers de la création à paraître en juin 2015.

Les communicants devront remettre leur article à paraître (entre 20 000 et 30 000 caractères au format Word et répondant à la feuille de style de la revue) au plus tard la veille de la journée d’étude, soit le 17 mars 2015.