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Instabilité et mutations : jeux du

Instabilité et mutations : jeux du "Je" dans la littérature latino-américaine des XXe et XXIe s.

Publié le par Université de Lausanne (Source : Lise Demeyer)

ULCO

Unité de Recherche sur l’Histoire, les Langues, les Littératures et l’Interculturel

(UR H.L.L.I., EA 4030)

APPEL À COMMUNICATION - COLLOQUE INTERNATIONAL

Instabilité et mutations : jeux du « Je » dans la littérature

latino-américaine des XXe et XXIe siècles

17-18 octobre 2019

 

Comité organisateur : Lise Demeyer (Docteure, ULCO), Romain Magras (MCF, ULCO),

Isabelle Pouzet Michel (MCF, ULCO), Benoît Santini (MCF, ULCO).

 

Il semble aller de soi que le concept de « Je » en littérature se réfère au narrateur, au sujet lyrique ou au personnage de théâtre. Cependant, si l'on approfondit la réflexion, la définition est plus complexe qu'il n'y paraît : est-il aussi aisé qu'on pourrait le croire, par exemple, de dissocier narrateur et instance auctoriale dans le récit, « sujet empirique et sujet lyrique » en poésie, pour reprendre ce que dit Dominique Combe dans « La référence dédoublée. Le sujet lyrique entre fiction et autobiographie »[1] ? Quelles caractéristiques du « Je » émergent de la façon dont il s'expose et de la réception qu'en a le lecteur ? Les « effets de lecture » évoqués par Vincent Jouve liés au personnage sont-ils identiques dans les autres genres littéraires ? Ces questions, appliquées au cas de la littérature latino-américaine des XXe et XXIe siècles, offrent de riches angles d’approche.

Après la « mort de l’auteur » proclamée par Roland Barthes ou Pierre Bourdieu, qui ont fait descendre de son piédestal la figure démiurgique de l’auteur et consacré celle du lecteur-auteur, les chemins actuels de la critique donnent à nouveau droit de cité à l’instance auctoriale. Paul Ricoeur (Temps et récit 3) parle de l’acte d’écriture comme d’une « mise en intrigue » de l’identité. À la lumière de ce principe, l’acte de lecture pourrait, dans les différents genres littéraires (roman, conte, micro-conte, poésie, théâtre, essai, etc.) – et, dans le cas qui nous intéresse, latino-américains –, se proposer de mettre en évidence dans leur diversité les stratégies de mise en texte de cette subjectivité et de débusquer les masques derrière lesquels se cachent ce « Je » et ces jeux du « Je ».

En prose, l’on peut s’interroger, pour ce qui est de la production latino-américaine, sur les notions de narrateur (selon les théories de Paul Ricoeur et Gérard Genette), de personnage (à partir des études de Vincent Jouve dans L’effet-personnage dans le roman, de Michel Erman dans Poétique du personnage de roman, de Philippe Hamon dans Pour un statut sémiologique du personnage ou de Pozuelo Yvancos dans son article « Cuando el Yo es personaje »…) et sur leur perméabilité avec la figure de l’auteur. Quant à cette figure de l’auteur, il serait intéressant d’explorer le faisceau de ses manifestations fragmentaires à travers les paratextes, les « seuils » du texte, l’autobiographie, l’autofiction, la voix des personnages et des narrateur(s) et la nature de l’image qui en émane, celle d’un auteur-joueur, d’un auteur-démiurge, d’un « héros sans attributs » (pour reprendre le titre de l’ouvrage de Julio Premat, Héroes sin atributos) dans la prose latino-américaine. Le « Je » instaure-t-il parfois, paradoxalement, une forme de distance – pensons à Juan Rulfo, par exemple – avec le lecteur ? Une réflexion sur le monologue intérieur dans des textes narratifs où l’influence de James Joyce et William Faulkner se fait sentir pourrait également être envisagée.

Il en va de même pour la poésie, genre pour lequel une réflexion sur les jeux du « Je » s’impose là aussi. À la suite du romantisme, le lyrisme a été mis au ban par un grand nombre de poètes qui le considéraient nécessairement comme synonyme  de confession sentimentale du « Je ». Or, la poésie du XXe siècle a montré que la présence du sujet lyrique, qu’il s’exprime à la première personne ou non, ne signifie pas pour autant épanchement de l’âme de son auteur. Ses manifestations peuvent être multiples et faire intervenir la fiction, tout comme dans le roman. Par exemple, Dominique Rabaté affirme que « La poésie se situe dans un espace figural où peuvent jouer aussi bien des "fictions du moi" », sous la forme de personnages imaginaires, que des "figurations du moi" »[2]. Ainsi, il semblerait envisageable de se pencher sur la pratique autofictionnelle en poésie et ses manifestations dans le monde latino-américain. Comment ce Moi lyrique, dans la poésie latino-américaine des XXe et XXIe siècles, prend-il forme ? Quelles sont ses caractéristiques ? Où se situe la frontière entre « fiction » et « figuration » du Moi et dans quelle mesure cette oscillation joue-t-elle un rôle ludique ? Au Chili, la forte présence en ce début de XXIe siècle d’une énonciation à la première personne chez Paula Ilabaca ou Héctor Hernández Montecinos, par exemple, a-t-elle à voir avec un chant égotique ?

Pour Kate Hambürger qui, dans Logique des genres littéraires, parle de la possibilité d’un « Je menteur » en poésie, le sujet est réel alors que son expérience peut être irréelle[3]. Cela signifie-t-il que référent réel et poésie actuelle sont incompatibles ? Le « Je » d’aujourd’hui serait-il menteur ou dissimulateur en refusant de s’engager dans la réalité, voire en la niant ? Dans la poésie latino-américaine, les affres de l’Histoire, telles que les dictatures, sont bel et bien prises en compte par nombre de poètes : Mario Benedetti en Uruguay, Raúl Zurita au Chili ou encore Juan Gelman en Argentine expriment la violence d’une société aux mains des juntes militaires, faisant donc d’une expérience réelle une riche matière poétique, dont le chant, parfois lancé à la première personne, est loin d’être anodin. Qu’en est-il des jeunes générations poétiques récentes n’ayant pas connu les époques de dictature ? Leurs Moi lyriques sont-ils davantage enclins à exprimer une « expérience irréelle » dont parle Kate Hambürger qu‘à se relier à un référent historico-social concret ?

Cette réflexion peut même aller plus loin pour ce qui est de poèmes où le sujet lyrique semble disparaître pour laisser place à une écriture impersonnelle. Michel Collot évoque par exemple l’existence d’un « lyrisme transpersonnel, voire impersonnel, anonyme »[4] chez Jean-Michel Maulpoix. Existe-t-il, dans la poésie latino-américaine contemporaine, cette disparition du « Je », auquel se substituerait une énonciation dépersonnalisée ? Il serait intéressant de s’interroger sur cet effacement du « Je » en poésie : est-il vraiment sincère ? Le poète, dans ce cas, ne se joue-t-il pas de son lecteur? Si l’on en croit Henri Meschonnic qui a montré par sa théorie du rythme que même « l’écriture impersonnelle n’est pas l’écriture d’un sujet zéro »[5], cet effacement ne serait qu’illusion. C’est donc ailleurs que dans les multiples figurations du Moi qu’il faudrait aller chercher la voix poétique. Quant au théâtre, il serait intéressant de se pencher sur le personnage en revenant à l'étymologie persona (masque de l‘acteur) et en réfléchissant aux masques derrière lesquels se cache potentiellement l’instance auctoriale, tout comme aux nouvelles modalités de l’expression d’un « Je » dans les pièces contemporaines.       

Ce colloque se propose de développer cette problématique dans les différents genres en prenant pour cadre la littérature latino-américaine du XXe et du XXIe siècles. Il s’agira ainsi de mettre en lumière les divergences ou convergences inter-génériques à l’œuvre dans la production littéraire latino-américaine contemporaine. Quelle posture est adoptée par l’écrivain latino-américain au XXIe siècle : instabilité, fragmentation, effacement d’un « homme sans qualités » ou affirmation de la toute puissance du moi créateur ? Quels masques portent le « Je » et son créateur et dans quel but ?

Les communications pourront s’inscrire dans les axes suivants dont la liste n’est pas exhaustive :

Autofiction

Non-fiction

Auteur et narrateur

Auteur joueur

Auteur et personnage

Destruction, fragmentation, instabilité, masques du « Je »

Un « Je » dépassant l’autofiction et l’autobiographie

Disparition ou présence du « Je »

Effacement ou affirmation du Moi créateur

Héros sans attributs

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Les propositions de communication de 10 lignes environ, accompagnées d’une brève note bio-bibliographique, sont à envoyer à l’adresse mél suivante : colloquepersonnage@gmail.com pour le 15 janvier 2019. Les réponses quant à l’acceptation de ces propositions seront données début février 2019. Les langues de communication seront le français et l’espagnol.

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Comité scientifique

Dante Barrientos Tecún (PR, Aix-Marseille Université)

Karim Benmiloud (PR, Université Paul Valéry Montepllier)

José Manuel Camacho Delgado (PR, Universidad de Séville)

Erich Fisbach (PR, Université d’Angers)

Julio Premat (PR, Université Paris 8)

Cécile Quintana (PR, Université de Poitiers)

José Carlos Rovira (PR, Universidad de Alicante)

Magda Sepúlveda (Profesora asociada, Pontificia Universidad Católica de Chile)

Marta Inés Waldegaray (PR, Université de Reims)

 

 

[1] Combe, Dominique, « La référence dédoublée. Le sujet lyrique entre fiction et autobiographie », in RABATÉ, Dominique (dir.), Figures du sujet lyrique, Paris, PUF, 1996, p. 55.

[2] Cité par MARTIN, Serge, « La voix est-elle toujours lyrique? », https://ver.hypotheses.org/285, 09/01/2013.

[3] HAMBURGER, Kate, Logique des genres littéraires, Paris, Seuil, 1986, p. 242.

[4] COLLOT, Michel. « Lyrisme et réalité », Littérature, n°110, 1998, p. 44.

[5] MESCHONNIC, Henri, Critique du rythme, Verdier, 1982, p.87.