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In Situ. Le spectacle vivant dans l'espace public. Enjeux esthétiques, économiques et politiques (Moscou)

In Situ. Le spectacle vivant dans l'espace public. Enjeux esthétiques, économiques et politiques (Moscou)

Publié le par Marc Escola (Source : Aurélie Mouton-Rezzouk)

In Situ. Le spectacle vivant dans l'espace public.

Enjeux esthétiques, économiques et politiques.

Moscou, 12-14 novembre 2020

 

Le terme in situ désigne, dans les arts du spectacle vivant, toute production implantée en dehors d’un espace scénique spécifiquement dédié à une pratique spectaculaire. Il peut être question aussi bien de théâtre, de danse, d’opéra, que de performance, et bien souvent de formes artistiques hybrides, en continuité avec des œuvres et des pratiques qui relèvent des esthétiques et des réseaux des arts visuels et plastiques. On qualifiera de in situ une « petite forme chorégraphique », créée au musée, puis programmée sur une place publique – avant de l’être – peut-être – en salle dans le cadre d’un festival ; mais aussi la mise en scène d’un texte du répertoire conçue spécifiquement et exclusivement pour une courte série de représentations dans un monument historique. Ce peut être une sortie de résidence de création en hôpital ou en prison, étape de fabrication d’un spectacle qui sera ensuite programmé en salle ; un protocole de spectacle déambulatoire et participatif, réinventé de ville en ville ; ou encore une performance pensée comme intervention urbaine dans l’espace public de la ville, engagée dans le projet de performer le politique ou se revendiquant de l’artivisme… 

Le spectacle vivant in situ recouvre des propositions artistiques, des processus de création, des contraintes économiques et professionnelles et des politiques publiques hétérogènes et complexes, que souligne encore la mise en regard des réalités propres à chaque pays ; la pluralité des formes et des formats nécessite cependant d’affiner la typologie, la terminologie et les critères d’analyse. Sous cet hyperonyme, d’ailleurs peu usité en France dans le champ du spectacle vivant[1], la terminologie en usage dans les lieux de programmation et/ou chez les artistes souligne en effet plus spécifiquement, selon les courants et les institutions, la « sortie » d’une forme artistique en dehors des murs du théâtre[2], la présence dans l’espace « public » (c’est le cas pour Lieux publics, la structure française dans laquelle sont ancrés le réseau et la plate-forme européenne In Situ), ou la singularité d’une proposition artistique conçue étroitement dans, pour et par un lieu – un « site » – non dévolu au spectacle vivant (et c’est alors une terminologie anglo-saxonne, site-specific, qui sera invoquée)[3]

Quoique divers, ces formes et ces dispositifs partagent toutefois des problématiques fortes à mettre en regard. Tous impliquent la coexistence, dans un lieu donné, d’usages et d’usagers engagés, ou pas, dans le processus de spectation (ensemble, ou successivement) ; tous ont pour enjeux esthétiques et, le cas échéant, politiques, l’altération ou la diffraction du régime attentionnel, et la dynamique entre engagement et mise en disponibilité des récepteurs. Ils sont pris, enfin, dans une tension entre des processus de création ancrés dans un lieu spécifique et des logiques de valorisation de la circulation des spectacles à grande échelle qui tendent au contraire à décontextualiser la représentation. 

Nous nous proposons donc d’interroger les enjeux esthétiques, économiques et politiques de la création et de la programmation de spectacle vivant in situ, dans une approche comparée France-Russie. Si en France, en effet, les formes in situ tendent à être assimilées à un secteur des arts de la rue et de l’espace public déjà partiellement institutionnalisé, en comptant les centres de création et de diffusion, de ressources et de formation, en Russie, en revanche, c’est encore un champ émergeant, et qui se développe avec une rapidité remarquable – en témoignent les festivals Point of Access et Elagin Park à Saint-Petersbourg, Tolstoï à Iasnaïa Poliana, Sny ulits à Tyumen, Gorod ART-podgotovka à Kazan, Tri vorony à Novossibirsk... On peut également mettre en regard la Russie et la France en matière de typologie des disciplines artistiques in situ; on note, par exemple, une importance comparativement significative des formes et du répertoire théâtral et musical en Russie, face à un corpus français et francophone qui investit davantage le champ chorégraphique, visuel et performatif. 

Le colloque sera l’occasion de comparer et de préciser la terminologie, de mettre en regard les analyses de spectacles et celles des dynamiques politiques et économiques de leur création, de croiser perspective historique, état des lieux et prospectives, mais aussi d’interroger les conditions de circulation des artistes du in situ entre la Russie, la France et les pays francophones, compte tenu des contraintes spécifiques (notamment en matière de processus de création, de langue, de connaissance du territoire). Nous accueillerons donc aussi bien des professionnels (et notamment des programmateurs) et des artistes que des chercheurs en études théâtrales et en économie ou sociologie de la culture. 

Les axes de réflexion qui retiendront notre attention sont (sans exclusive) les suivants :

Lieux et espaces: Quels sont les sites (lieux, architectures) qui retiennent l’attention des artistes et des programmateurs ? Comment sont-ils définis (« publics », « urbains », « patrimoniaux », « libres », « désaffectés »…) ? Quels motifs scénographiques récurrents ou originaux peut-on inventorier ? Quelles sont les parties prenantes engagées dans ces processus de création-production et à quel degré ? 

Esthétique et dramaturgie: Peut-on caractériser, sur le plan dramaturgique, un texte ou une partition destinés à une production in situ par différence avec ceux écrits a priori pour la scène ? Quelle méthodologie d’analyse du texte et du spectacle les formes in situ appellent-elles ? Quels courants esthétiques peut-on déceler aujourd’hui ? À quelles valeurs, quelles références esthétiques, quelles traditions dramaturgiques les argumentaires des dossiers de création d’un côté, la critique de l’autre, font-ils appel ? 

Le public / l’espace public / le territoire: Quelle place est-elle dévolue à l’assistance ? On s’intéressera aux dispositifs scénographiques et dramaturgiques qui investissent cette question de la réception et de l’interaction avec le(s) public(s), à l’articulation avec des enjeux de politiques culturelles (en termes, notamment, de décentralisation et de démocratisation) et d’ancrage artistique dans le territoire. Qui sont les spectateurs : majoritairement des habitants des quartiers impliqués, ou plutôt un public d’habitués du théâtre venu spécialement pour assister à la représentation ? Quels modèles de sociabilité induite peut-on analyser ? Sont-ce les mêmes selon qu’il s’agisse de spectacles en banlieue urbaine ou en centre-ville, dans la capitale ou en régions, au cours d’un événement festif organisé par la ville, ou au cours de la saison ?

L’engagement dans l’espace public et la portée « politique »: Quelles sont les thématiques et les formes de cet engagement des artistes dans l’espace public ? Quelles contraintes et quelles opportunités le in situ offre-t-il à cette « intentionnalité » politique ? Comment s’agencent-elles avec les formes politiques des manifestations dans l’espace public – et, le cas échéant, avec les stratégies sécuritaires mises en place par les puissances publiques ? 

Politiques culturelles et dispositifs de financement: Comment et par qui les objectifs et les moyens des politiques culturelles publiques concernant le in situ aux échelles nationale, régionale ou locale sont-ils définis, et quels effets produisent-ils sur les processus de création ? Qui est à l’initiative des spectacles in situ : des compagnies ou des établissements artistiques subventionnés qui passent des commandes pour faire circuler des petites formes en dehors de leurs murs ? Quels rôles sont joués par les festivals ? Dans quels cadres, comment et à quelles fins des relations de partenariat entre les compagnies, les structures subventionnées et des relais non artistiques se construisent-elles ? 

La circulation des artistes en Europe : enjeux culturels, territoriaux et linguistiques:  Quels sont les spectacles créés in situ, à quelles conditions, selon quel calendrier et selon quelles modalités de financement ? Quels sont les artistes du in situ qui circulent aujourd’hui entre l’Europe francophone et la Russie ? Quels sont les processus d’adaptation / recréation en jeu dans la diffusion des spectacles le cas échéant ? Quelles sont les solutions artistiques et techniques apportées aux problèmes de langues – de la question scénographique du sur-titrage dans un espace non dédié au spectacle vivant à la surreprésentation de formes non parlées ? 

Langues du colloque 

Français et russe

Soumission des propositions

 Les propositions (max. 500 mots) accompagnées d’une brève bio-bibliographie seront à envoyer avant le 25 avril 2020 à performinsitu@gmail.com.

Acceptation : le 10 mai 2020. 

Comité d’organisation

Elena Gordienko, Yulia Liderman, Elena Nagaeva, Valeriy Zolotukhin (RANEPA), Aurélie Mouton-Rezzouk, Daniel Urrutiaguer (Sorbonne Nouvelle – Paris 3).

Comité scientifique 

Cécile Camart (Laboratoire International de Recherches en Arts, Sorbonne Nouvelle – Paris 3)

Sandrine Dubouilh (Cultures, Littératures, Arts, Représentations, Esthétiques, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3)

Elena Gordienko (School for Advanced Studies in the Humanities, RANEPA, Moscou)

Olga Kuptsova (Faculté des sciences humaines, École des hautes études en sciences économiques; Secteur du Théâtre, the State Institute for Art Studies, Moscou)

Yulia Liderman (School for Advanced Studies in the Humanities, RANEPA, Moscou)

Aurélie Mouton-Rezzouk (Institut de Recherche en Études Théâtrales, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3)

Olga Roginskaïa (School of Cultural Studies, Faculté des sciences humaines,  École des hautes études en sciences économiques, Moscou)

Varvara Sklez (Moscow School of Social and Economic Sciences; Institut d'ethnologie et d'anthropologie de l'Académie des sciences de Russie)

Natalia Smolianskaïa (chercheuse associée à l'université Paris 8, Moscou-Paris) 

Daniel Urrutiaguer (Institut de Recherche en Études Théâtrales, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3)

Valeriy Zolotukhin (School for Advanced Studies in the Humanities, RANEPA, Moscou)

Partenaires 

École des Études Actuelles en Sciences Humaines (School for Advanced Studies in the Humanities) de RANEPA, l’Académie présidentielle russe d’Économie nationale et d’administration publique, Moscou

Institut de Recherche en Études Théâtrales de Sorbonne Nouvelle Paris III, 

CEFR, Centre d’Études Franco-Russe, Moscou

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Bibliographie

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[1] On l’emploie en effet en France davantage, et de longue date, dans le champ de l’art contemporain, ou le champ patrimonial – cf. In Situ, revue des patrimoineshttps://journals.openedition.org/insitu/

[2] La formule « hors les murs » désigne aussi bien la programmation chez un partenaire culturel au moment de la rénovation du théâtre que la diffusion d’un spectacle dans les écoles du territoire – ou, dans un autre cadre, le théâtre de rue. 

[3] S’il n’y a pas, aujourd’hui, consensus dans le champ des Études Théâtrales en France sur la terminologie, et si les travaux universitaires portant spécifiquement sur le spectacle vivant in situ, en dehors du théâtre de rue, y sont encore très peu nombreux, la bibliographie et la terminologie anglo-saxonne sont en revanche très abondantes. Voir, à ce propos, par exemple, la revue de littérature proposée par Mike Pearson, Site-Specific Performance, Macmillan, 2010, p. 7-16.