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Événements & colloques
Ici et maintenant

Ici et maintenant

Publié le par Camille Esmein (Source : Véronique Magri)

Ici et maintenant

Colloque de linguistique organisé par Bases, Corpus, Langage (UNSA et CNRS)

Le colloque se déroulera à la
Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines
98, boulevard Edouard Herriot
B.P. 3209
06204 NICE CEDEX 3
Salle du Conseil

Vendredi 25 novembre 2005
09h00 9h30 : Accueil des participants
9h30-10h00 : Ouverture du colloque

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· 10h00 10h45
Pablo I. KIRTCHUK-HALEVI (Lycée Jean-Jacques Rousseau ; Sarcelles)
Origo des Zeigfelds = Origo der Sprache : Bühler comme précurseur de l'approche évolutionniste du langage

· 10h45 11h30
Paula GHERASIM (Université d'Ottawa, Département des lettres françaises)
Ici et maintenant : indexicaux, quasi-indexicaux et non-indexicaux

· 11h30 12h15
Louis de SAUSSURE (Universités de Neuchâtel et Genève)
Ici et maintenant déclencheurs de métareprésentations

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12h15 14h15
Pause-repas
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· 14h15 15h00
Eros CORAZZA (Carleton University, Ottawa)
Ici et maintenant sont-ils ambigus ?

· 15h00 15h45
François RECANATI (Institut Jean-Nicod CNRS/EHESS/ENS)
D'un contexte à l'autre

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15h45 16h15
Pause-café
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· 16h15 17h00
Walter DE MULDER (Université d'Anvers)
Carl VETTERS (Université du Littoral Côte d'Opale)
Maintenant, le moment de l'énonciation et le point de perspective temporel

· 17h00 17h45
Eliane KOTLER (Université de Nice BCL)
Quelques emplois de -ci et ici dans l'oeuvre de Rabelais
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20h
Repas amical

Samedi 26 novembre 2005


· 9h00 9h45
Marcel VUILLAUME (Université de Nice BCL)
Les emplois de maintenant en contexte narratif non-fictionnel

· 9h45 10h30
Véronique MAGRI (Université de Nice BCL)
Maintenant, marqueur de fictionnalité ?

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10h30 11h00
Pause-café
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· 11h00 11h45
Sylvie MELLET (CNRS BCL, Nice)
Réflexions énonciatives autour de maintenant argumentatif

· 11h45 12h30
Dominique LONGRÉE (Université d'Angers et BCL, Nice)
La deixis spatiale chez les historiens latins

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12h30 14h15
Pause-repas

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· 14h15 15h00
Grégoire BRAULT (Université Marc Bloch)
De l'espace au temps, un pas que là-bas ne franchit pas

· 15h00 15h45
Jeanne-Marie BARBERIS (Praxiling-ICAR, UMR 5191, Montpellier III)
Deixis spatiale et transfert d'origo

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15h45 16h15
Pause-café
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· 16h15 17h00
Georges KLEIBER (EA 1339 LILPA-Scolia & Université Marc Bloch de Strasbourg)
Comment fonctionne ici.

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17h00 18h30
Table ronde

Résumés

Pablo I. KIRTCHUK-HALEVI

ORIGO DES ZEIGFELDS = ORIGO DER SPRACHE : BÜHLER COMME PRECURSEUR DE L'APPROCHE EVOLUTIONNISTE DU LANGAGE
Dans sa Sprachtheorie ([1934] 1982: 80), Buhler écrit (c'est moi qui souligne, PKH) :
Alles sprachlich Deiktische zusammengehört, weil es nicht im Symbolfeld, sondern im Zeigfeld der Sprache die Bedeutungserfüllung und Bedeutungspräzision von Fall zu Fall erfährt; und nur in ihm erfahren werden kann Die Modi des Zeigens sind verschieden; ich kann ad oculos demonstrieren und in der situationfernen Rede dieselben Zeigwörter anaphorisch gebrauchen. Es gibt noch einen dritten Modus, den wir als Deixis am Phantasma charakterisieren werden. Phänomenologisch aber gilt der Satz, daß der Zeigefinger, das natürliche Werkzeug der demonstratio ad oculos, zwar ersetzt wird durch andere Zeighilfen; ersetzt schon in der Rede von präsenten Dingendemonstrare necesse est, stare pro nominibus non est necesse.
Il s'ensuit que la deixis et les morphèmes qui l'expriment ne peuvent être subordonnés à aucune autre fonction, car elle est primordiale, anterieure et plus fondamentale que toute autre. Bühler refuse pourtant toute implication évolutioniste. Certes il cite des données indo-européennes étudiées par Brugmann, influencé par Erdmann (1907, I: 435 ff.):
Die sprachgeschichtliche Betrachtung mag dazu führen, die primitiven Sätze als eingliedrig anzusehen, d. i. eine demonstrativer Bedeutung zum Ausgangspunkte zu nehmen.
Dailleurs, Bréal (1897: 207) avait déjà écrit :
L'espèce de mot qui a du se distinguer de tous les autres c'est, selon nous, le pronom. Je crois cette catégorie plus primitive que celle du substantif parce qu'elle demande moins d'invention, parce qu'elle est plus instinctive, plus facilement commandée par le geste.
Pourtant, la vision de Bühler, Bréal et Brugmann est psycho-logiquement inspirée et ne repose pas sur des preuves linguistiques solides. De plus, Bühler rejette la conclusion ultime, à savoir que la deixis est à l'origine de la faculté langagière.
Je vais pallier ces deux carences et montrer, à travers une analyse linguistique rigoureuse, que la deixis est à l'origine de la faculte langagière en phylogénie, en ontogénie et en diachronie, et qu'elle est au centre du langage en synchronie. Puisque le hic, nunc et ego sont à l'origine de la communication, et que, comme je le montrerai, celle-ci est à l'origine de la cognition, il s'ensuit que la deixis est à l'origine de la cognition.

Paula GHERASIM


ICI ET MAINTENANT : INDEXICAUX, QUASI-INDEXICAUX ET NON-INDEXICAUX
Nous proposons, dans cette communication, une analyse élégante de ici et maintenant dans le discours (oratio recta) et le discours rapporté (oratio obliqua). On peut parvenir à cette analyse grâce au Principe de Responsabilité (cf. Gherasim 2003, 2004) :
Quand un terme référentiel apparaît dans oratio recta ou oratio obliqua, le terme référentiel est dans la bouche du locuteur de l'énoncé et d'aucune façon dans la bouche d'un autre sujet auquel le locuteur puisse attribuer une pensée ou une parole.
A partir de ce principe on peut rendre compte de façon unitaire et conséquente des différents usages que le locuteur fait de ici et maintenant, que l'on peut classifier en indexicaux, quasi-indexicaux et non-indexicaux.
Ainsi, les caractéristiques de ici et maintenant dans oratio recta et dans les préfaces oratio obliqua seraient les suivantes (cf. Strawson 1970, Levinson 1983, Kaplan 1989, Castañeda 1989, Récanati 1993, 2000, Sperber & Wilson 1989, Perry 1993, Moeschler & Reboul 1994, Kapitan 1998a, 1998b, Corraza et al. 2000) : ce sont des indexicaux respectivement spatial et temporel employés par le locuteur pour exprimer la subjectivité propre ; ici et maintenant ont un usage plutôt symbolique (que gestuel), leur interprétation prenant généralement comme repère respectivement le lieu et le moment de l'énonciation ; ce sont, donc, des expressions directement référentielles, leur référence étant non seulement subjective et personnelle mais aussi éphémère. Ils ont une signification procédurale, du type a) identifiez le moment de l'énonciation dans la situation de communication pertinente ou b) identifiez le référent en appliquant une stratégie conventionnelle. Cette deuxième procédure (qui pourrait en fait être généralisée) s'applique à l'interprétation de la largeur de l'aire spatiale et respectivement temporelle désignée par ici et maintenant, à leurs emplois démonstratifs (ou gestuels) et au fait que dans certaines situations leur référent est indentifiable à partir du moment de leur interprétation et non pas à partir de l'endroit (ici) ou du moment (maintenant) de leur énonciation (comme dans l'énoncé Je ne suis pas ici maintenant du répondeur téléphonique). Ici et maintenant contiennent par ailleurs une information descriptive ou conceptuelle, vu que leur référent est respectivement un endroit et un intervalle temporel. Ils sont, à côté de je, des indexicaux essentiels, car nécessaires pour expliquer le comportement et le changement de comportement. Dans les situations où leur présence explicite (ou physique) n'est pas nécessaire puisque inférable dans le contexte, ici et maintenant sont des constituants inarticulés (e.g. Il neige = Il neige ici maintenant = Il neige à Ottawa en ce moment). Du fait qu'ils ont une valeur référentielle forte, ici et maintenant font partie de propositions singulières plutôt que générales ; ils peuvent par ailleurs avoir une valeur attributive dans des contextes généraux comme Il ne faut pas laisser pour demain ce que tu peux faire ici maintenant.
Ici et maintenant ont une référence quasi-indexicale (cf. Castañeda 1989, Kapitan 1998a, 1998b) dans les attributions de paroles et pensées à autrui (oratio obliqua) ; dans ces situations, ils partagent les caractéristiques de tous les quasi-indexicaux, étant des expressions composites : ils ont une valeur référentielle tout en fonctionnant comme des variables liées. A la différence de ici et maintenant indexicaux, l'usage de ici et maintenant comme quasi-indexicaux est interpersonnel et répétable. Cette analyse vaut pour tous les types de discours rapporté, qu'il s'agisse de citations (ou discours direct), discours indirect, style indirect libre, et en général de toute forme d'attributions de pensées et de paroles propres à la littérature (cf. Banfield 1995) : skaz, style épistolaire, monologue intérieur. Nous allons illustrer ces affirmations avec des exemples de notre corpus littéraire, décrit dans Gherasim 2004.
Enfin, ici et (surtout) maintenant peuvent avoir une valeur non-indexicale lorsqu'ils fonctionnent comme des clichés dans des énoncés comme : On ne va pas se disputer à cause de ça, maintenant ! Arrivés ici (= dans cette situation), il n'y pas de retour.

Références
Banfield, A. (1995), Phrases sans parole. Théorie du récit et du style indirect libre, Paris, Seuil.
Boër, S.E. & Lycan, W.G. (1980), Who, me? in The Philosophical Review, LXXXIX, no3, 427-467.
Castañeda, H.N. (1989), Thinking, Language and Experience, Minneapolis, University of Minessota Press.
Corazza, E., Fish, W., Gorvett, J. (2002), Who is I ?, in Philosophical Studies, 107, 1-21.
Gherasim, P. (2003), Expression linguistique de la subjectivité dans le discours et le discours rapporté, in CLF 25, Université de Genève.
Gherasim, P. (2004), Expression linguistique de la subjectivité : indexicaux, quasi-indexicaux et métareprésentations dans le discours et le discours rapporté, thèse de doctorat, Université de Genève (en cours).
Kapitan, T. (1998a), "On Depicting Indexical Reference", in Thought, Language and Ontology, Kluwer, 1998, http://www.soci.niu.edu/-phildept/Kapitan/depicting.htm.
Kapitan, T. (1998b), "Quasi-Indexical Attitudes", in Sorites, http://www.soci.niu.edu/-phildept/Kapitan/ Quasi-IndexicalAttitudes.htm.
Kaplan, D. (1989), "Demonstratives", in Almog, J., Wettstein, H. & Perry, J. (eds.) : Themes from Kaplan, New York, Oxford University Press, 481-563.
Levinson, S.C. (1983), Pragmatics, Cambridge (Mass.), Cambridge University Press.
Moeschler, J., Reboul, A. (1994), Dictionnaire encyclopédique de pragmatique, Paris, Seuil.
Perry, J. (1993), The problem of the essential indexical , in The problem of the essential indexical and other essays, Oxford, Oxford University Press, 32-52.
Récanati, F. (1993), Direct reference : from language to thought, Oxford (U.K.), Cambridge (Mass.), Blackwell.
Récanati, F. (2000), Oratio Obliqua, Oartio Recta, Cambridge (Mass.), London (U.K.), The MIT Press.
Sperber, D., Wilson, D. (1989), La pertinence: communication et cognition, Paris, Le Seuil.
Strawson, P.F. (1970), On Referring, in Caton, C.E. (ed.), Philosophy and Ordinary Language, Chicago, Urbana, University of Illinois Press, 162-193.

Louis de SAUSSURE


ICI ET MAINTENANT DECLENCHEURS DE METAREPRESENTATIONS
Si l'indexicalité est le fait d'une subjectivité nécessaire, il est également évident que les déictiques peuvent être utilisées par un locuteur / scripteur non pas pour renvoyer à sa subjectivité propre, mais à celle d'un tiers ; c'est le cas traditionnel de la subjectivité allocentrique, qui se trouve représentée en particulier dans le style indirect et les usages apparentés. A tel point qu'un déictique comme ici ou maintenant figure en bonne position dans la liste classique des expressions qui déclenchent l'interprétation d'une représentation de pensée attribuable à autrui en contexte narratif. Plus largement, la nécessité d'une référence subjective fondamentale (origo) déclenchée par ici ou maintenant nous semble être la clé du déclenchement de phénomènes métareprésentationnels, dans lesquels le locuteur communique non pas sa propre pensée au sujet d'un fait, mais son interprétation d'une pensée d'un tiers.
Nous nous intéressons d'abord à la question de savoir quel type d'interprétation de maintenant favorise cette situation. Plus précisément, nous nous interrogeons sur d'éventuelles différences, à cet égard, selon que maintenant dénote une ponctualité associée au moment de l'énonciation ou au contraire un segment de temps plus large, et selon que maintenant dénote une temporalité qui englobe le moment de l'énonciation effective, le moment de l'énonciation représentée, ou un moment qui n'englobe pas le moment de l'énonciation.
Dans la plupart des langues, il existe plusieurs expressions linguistiques permettant de communiquer l'origo. Notamment, en ce qui concerne la deixis présente, le russe présente une variation assez subtile entre deux lexèmes, teper' et sejcas, dont l'origine fait suspecter un caractère plus ponctuel. Le fait intéressant réside en ceci que teper' semble plus facilement utilisable que sejcas pour l'usage allocentrique. L'allemand connaît également deux morphèmes proches : jetzt et nun, qui présente des variations d'usage différentes. En français, on note également une différence entre le maintenant, sous-déterminé en termes de durée, et des expressions comme en ce moment ou à ce moment précis qui n'autorisent pas tous les usages non strictement temporels, comme les usages discursifs / argumentatifs ; on le voit en contrastant par exemple (1) et (2), et en observant le à ce moment-là argumentatif en (3) :
(1) On sait qu'ils se voient souvent. Maintenant, on ne sait pas s'ils sont amants.
(2) On sait qu'ils se voient souvent. En ce moment, on ne sait pas s'ils sont amants.
(3) A ce moment-là, autant fermer boutique.
Des phénomènes similaires sont étudiables avec ici, qui connaît également des variations dans d'autres langues, par exemple l'alternance avec / sans mouvement en slave ; d'autres expressions temporelles seront également évoquées en lien avec la lecture argumentative.
A la lumière de tels exemples, nous tenterons de voir à quelles conditions ces déictiques déclenchent une lecture allocentrique ou interprétative dans la théorie de la pertinence de Sperber & Wilson, qui forme le cadre général dans lequel nous situons notre recherche.

Eros CORAZZA


ICI ET MAINTENANT SONT-ILS AMBIGUS ?
It is argued that, in order to account for examples where the indexicals « now » and « here » do not refer to the time and location of the utterance, we do not have to assume (pace Quentin Smith) that they have different characters (reference-fixing rules), governed by a single metarule or metacharacter. The traditional, the fixed character view is defended: « now » and « here » always refer to the time and location of the utterance. It is shown that when their referent does not correspond to the time and/or location of the utterance, « now » and « here » work in an anaphoric way, inheriting their reference from another noun phrase. The latter may be explicit or implicit in the discourse. It is also shown that « now » and « here » can inherit their reference from a presupposed or tacit reference. In that case, they are coreferential with what will be labeled a « tacit initiator ». This anaphoric interpretation has the merit of fitting within the Kaplanian distinction between pure indexicals (« now », « here », « today », etc.) and demonstratives (« this », « that », « she », etc.).

François RECANATI


D'UN CONTEXTE A L'AUTRE
Dans ma présentation, je discuterai les exemples où « maintenant » et « ici » ne font pas référence au moment et au lieu de l'énonciation. Je comparerai plusieurs façons d'analyser ces exemples, et je conclurai que, contrairement à « ici », « maintenant » n'est pas véritablement indexical ou token-réflexif.

Walter DE MULDER
Carl VETTERS



MAINTENANT, LE MOMENT DE L'ENONCIATION ET LE POINT DE PERSPECTIVE TEMPOREL
Dans un article récent, François Récanati s'oppose à l'idée généralement admise que now est une expression token-réflexive. Il montre, entre autres à l'aide de l'exemple suivant, que la référence de now n'inclut pas nécessairement le moment d'énonciation :
In the summer of 1829, Aloysia Lange, née Weber, visited Mary Novello in her hotel room in Vienna Aloysia, the once celebrated singer, now an old lady of sixty-seven gave Mary the impression of a broken woman lamenting her fate. (Récanati 2001)
A son avis, ces emplois ne sauraient être analysés comme des usages « étendus », dans lesquels now renvoie à des périodes plus ou moins longues incluant le moment d'énonciation, ni comme des usages impliquant un déplacement du contexte. Adoptant une idée de Kamp et Reyle (1993), Récanati propose que le laps de temps désigné par now soit identifié non pas par rapport au moment d'énonciation, mais par rapport au « point de perspective temporel » : comme il ressort de l'exemple cité ci-dessus, now renvoie à un moment près du point de perspective et peut s'employer dès que le moment ou le laps de temps qu'il désigne s'oppose à un moment plus éloigné de ce point de perspective, moment qui peut alors être désigné par then.
Dans notre communication, nous voudrions nous demander si cette analyse de now s'applique également à maintenant : maintenant est-il un indexical ou doit-il être conçu, à l'instar de now, comme une expression dénotant une période près d'un point de perspective (Récanati 2001) ? Nous essaierons de répondre à cette question en nous intéressant, entre autres, à la possibilité de combiner maintenant avec le passé simple et l'imparfait (Vuillaume 1990, Jouve 1992). Enfin, si la période désignée par maintenant est définie par l'intermédiaire d'un point de référence, comment faut-il définir ce dernier, ainsi que la proximité exprimée par maintenant ? Suffit-il de faire appel à l'intention du locuteur pour décider quel est le point de référence ou faut-il, à l'instar des idées de Hanks (1992) sur la construction interactive de l'origo indexical, concevoir le point de référence temporel davantage comme un point d'accès au référent construit conjointement par les participants au discours ?

Références
Hanks , W. (1992), « The indexical ground of deictic reference », in : A. Duranti & C. Goodwin, éds., Rethinking Context : Language as an interactive phenomenon, Cambridge, Cambridge University Press.
Jouve, D. (1992), « « Maintenant » et la deixs temporelle », in M.-A. Morel & L. Danon-Boileau, éds., La deixis. Colloque en Sorbonne, 8-9 juin 1990, Paris, P.U.F., 355-363.
Kamp, H. & U. Reyle (1993), From Discourse to Logic, Dordrecht, Kluwer.
Récanati, F. (2001), « Are here' and now' indexicals ? », Texte 27/28, 115-127.
Vuillaume, M. (1990), Grammaire temporelle des récits, Paris, Editions de Minuit.

Eliane KOTLER


QUELQUES EMPLOIS DE CI ET ICI DANS L'OeUVRE DE RABELAIS
La particule démonstrative ci n'apparaît plus en Français Moderne que dans quelques emplois complètement figés, que l'on n'aurait pas de difficultés à répertorier : complément du pronom démonstratif soudé à lui ou joint par un trait d'union (ceci, celui-ci), élément de différentiation du GN affecté d'un déterminant démonstratif (la voiture est de ce côté-ci de la route), élément de locutions verbales ou adverbiales (ci-gît, ci-joint, ci-dessus), élément entrant dans la composition du présentatif voici. Si ses emplois sont parfois voisins de ceux de l'adverbe ici (ci-gît, mais ici repose), ils ne se recoupent pas. Inséparables du point de vue de l'histoire de la langue, ici étant la forme « longue », préfixée en i-, de la forme « courte » de l'adverbe démonstratif ci apparue la première, ces deux adverbes, ont vu leurs emplois se séparer peu à peu et se spécialiser. C'est un moment dans ce processus d'évolution que je voudrais essayer de saisir et en rendre compte.
A partir d'un inventaire des emplois des deux adverbes ici et ci dans l'oeuvre de Rabelais, je me propose donc d'observer une étape dans la répartition des emplois de ces deux formes ainsi que dans le processus de figement des emplois de ci, forme désormais clitique puisque soit directement soudée à la forme verbale voi, elle-même partiellement désémantisée, soit associée de manière indissoluble, par le trait d'union, à l'élément qui le précède ou le suit immédiatement.
Je serai ainsi amenée à distinguer les emplois autonomes des formes ici et ci, des emplois qui ne le sont pas.
Lorsque ici et ci sont employés de façon autonome, il semble que leurs valeurs soient conditionnés par le statut de l'énonciateur. Quand l'énonciateur coïncide avec l'auteur, ci et ici peuvent encore fonctionner comme des marqueurs de structuration du texte, équivalents à « à ce point du récit » (ici je ferai fin à ce premier livre / laissons icy Pantagruel). En revanche, quand l'énonciateur est un personnage de la diégèse de l'oeuvre, la référence à l'espace du livre s'efface, et ici (ou ci), fortement désémantisés, marquent une coïncidence illusoire entre la parole et l'acte, laquelle confère au GV dans lequel ils s'intègrent une forte valeur illocutoire (Mon amy, dy nous icy la verité).
Lorsque ces adverbes sont employés comme second élément de détermination, après un GN composé d'un déterminant démonstratif et d'un nom (ce monde ici) ou après un pronom démonstratif (ceux-ci) leurs valeurs sont tout à fait autres. En complément d'un GN, les valeurs de l'adverbe oscillent entre celle de marqueur de péjoration ou de contraste (ces diables ici / ce monde ici). En composition avec un pronom, ici n'est pratiquement représenté, quant au groupe pronom + ci, il véhicule des valeurs déictiques ou anaphoriques qui sont celles du français moderne.

Marcel VUILLAUME


LES EMPLOIS DE MAINTENANT EN CONTEXTE NARRATIF NON FICTIONNEL
Le propos de cet exposé sera de montrer qu'on peut rendre compte des emplois de maintenant dans des contextes narratifs non fictionnels comme ceux qu'illustrent les exemples (1) et (2) sans renoncer à sa définition comme réflexif d'énonciation :
(1) La puissance militaire qui unissait l'Italie étant ainsi brisée, Hannibal peut espérer la désagrégation de la confédération. Effectivement, Capoue passe dans son camp, suivie par les Grecs de Tarente et de Syracuse. Mais, contrairement aux espoirs du Barcide, ces ralliements ne permettent pas à la flotte punique de reprendre le contrôle de la mer. D'autre part, au milieu des épreuves, rassemblant toutes ses énergies, Rome a réussi à créer au centre de l'Italie une formation politique d'un type nouveau, un véritable État national, dont le noyau n'a pas été entamé par les défections de ses associés, et qui révèle une vitalité et une capacité de résistance qu'Hannibal n'avait pas soupçonnées. Les légions se reconstituent ; la tactique de Fabius ayant fait ses preuves, elles évitent maintenant les grandes batailles et s'appliquent à « grignoter » patiemment les positions carthaginoises. [] (Encyclopædia Universalis)
(2) En 1691, Fontenelle était élu membre de l'Académie française et, en 1697, il était reçu à l'Académie des sciences, dont il fut secrétaire perpétuel à partir de 1699. Cependant la deuxième édition de l'Histoire des oracles suscita un orage contre l'auteur.
Les temps avaient changé depuis la première édition. Maintenant régnait le père La Chaise, confesseur du roi. Intransigeant et fanatique, il voulait étouffer les Lumières en atteignant le seul représentant qui fût accessible. (Encyclopædia Universalis)
La démonstration s'appuiera sur les deux principes suivants :
Il existe une pluralité de temporalités (ou, si l'on préfère, une pluralité d'univers temporels).
On ne peut dater un événement par rapport à un autre que si ces deux événements appartiennent au même univers temporel.
Le déroulement du discours génère une temporalité spécifique la « temporalité discursive » , et c'est d'elle que relèvent primairement les occurrences de maintenant qui figurent dans les exemples (1) et (2). Quant à leur valeur contextuelle quasi anaphorique, on tentera de montrer qu'elle s'explique par une métonymie, par ailleurs largement attestée parmi les emplois de maintenant.

Véronique MAGRI


MAINTENANT, MARQUEUR DE FICTIONNALITE ?
Dans cette communication, l'emploi de « maintenant » est étudié à partir de deux ensembles de textes littéraires qui appartiennent au même champ générique, le genre narratif ; l'un affirme une vocation documentaire, le récit de voyage qui développe le versant factuel de la littérature, l'autre affiche une entreprise fictionnelle, le roman. Les deux ensembles constituent une base de données explorée par le logiciel Hyperbase. L'enjeu de la confrontation est de mettre en évidence des divergences d'emploi éventuelles de l'adverbe « maintenant » dans les deux ensembles de textes et de voir si ces divergences peuvent servir d'indicateurs génériques. Certaines occurrences de « maintenant » peuvent-elles fonctionner comme marqueurs de fictionnalité ?

Sylvie MELLET


REFLEXIONS ENONCIATIVES AUTOUR DE MAINTENANT ARGUMENTATIF
L'adverbe maintenant passe pour le prototype du déictique temporel, comme l'illustrent et le statut métalinguistique du célèbre trio ego, hic et nunc « moi, ici, maintenant », et le néologisme terminologique de Damourette et Pichon nynegocentrique (construit à partir de la forme grecque de l'adverbe). Ce statut rend problématique les nombreuses occurrences de maintenant en référence allocentrique au côté d'un imparfait le plus souvent, parfois même d'un passé simple, donnant lieu à des débats et des analyses largement développés dans les travaux de M. Vuillaume notamment.
En revanche, les rapports entre ce statut d'adverbe temporel déictique et les emplois énonciatifs, voire argumentatifs de maintenant (du type : Il a dit qu'il serait là. Maintenant, viendra-t-il vraiment ? ou On peut aller à la plage ; maintenant si ça ne te dit rien, on peut aussi tout simplement rester à la maison) ont donné lieu, nous semble-t-il, à moins de publications. C'est donc à cette question que nous comptons consacrer notre exposé.
On analysera un certain nombre d'exemples attestés en corpus (textes littéraires et correspondances des 19ème et 20ème siècles) pour, d'une part, mettre en évidence la variété des emplois, qui vont du cadratif temporel au véritable connecteur d'opposition, en passant par le ponctuant énonciatif et argumentatif, et, d'autre part, tenter de caractériser les éléments contextuels qui accompagnent et favorisent ces emplois et leur interprétation argumentative. L'examen de ces indices contextuels devrait permettre ensuite de mieux définir la fonction centrale du connecteur et de préciser le lien entre cette fonction et le signifié habituel de l'adverbe temporel ; on espère pouvoir fournir, dans le cadre culiolien qui nous sert de référence théorique, une description globale du signifié de maintenant en termes d'opérations énonciatives afin d'unifier l'ensemble de ses emplois et mieux appréhender l'homomorphisme de la deixis temporelle et de la deixis argumentative.

Dominique LONGRÉE


LES ADVERBES DE LIEU CHEZ LES HISTORIENS LATINS
Les adverbes de lieu latins, -ibi, hic, istic, illic et leurs variantes-, sont formés sur les adjectifs-pronoms démonstratifs is, hic, iste, ille. En conséquence, les grammairiens attribuent à ces adverbes des valeurs similaires à celles des adjectifs : à l'instar de is, l'adverbe ibi (là) et ses variantes (eo, vers là; inde, de là; ea, par là) aurait une valeur anaphorique; comme les adjectifs-pronoms dont ils sont issus, les autres adverbes auraient une valeur essentiellement déictique : hic, ici où je suis (huc, vers ici où je suis; hinc, d'ici où je suis; hac, par ici où je suis); istic, là où tu es (istuc, vers là où tu es; istinc, de là où tu es; istac, par là où tu es); illic, là où il est (illuc, vers là où il est; illinc, de là où il est; illac, par là où il est). Cette analyse pourrait trouver une confirmation dans le fait que, tout comme iste, les formes adverbiales qui en dérivent sont très rares, -voire absentes-, dans les textes narratifs, notamment historiques, où le destinataire est évidemment fort peu présent.
Cette description pose néanmoins de nombreuses questions : à côté de leurs valeurs déictiques, hic et ille fonctionnent souvent comme anaphoriques ou cataphoriques; on peut dès lors se demander s'il n'en va pas de même pour les adverbes hic et illic qui leur correspondent et quels seraient alors les facteurs conditionnant l'emploi de l'une ou de l'autre forme de préférence à ibi.
On tentera ici de répondre à cette question en s'appuyant sur l'analyse d'un corpus d'historiens latins : les textes historiques latins présentent en effet l'avantage de présenter une alternance entre narration et discours, rapportés en style direct ou indirect. On pourra ainsi aisément comparer l'emploi que chaque auteur fait des divers adverbes de lieu suivant le type de passage et, donc, suivant des types d'énonciation différents.

Grégoire BRAULT


DE L'ESPACE AU TEMPS, UN PAS QUE LA-BAS NE FRANCHIT PAS
Après avoir présenté le fonctionnement pragma-sémantique de là-bas, nous tenterons de comprendre pourquoi cet adverbe demeure un adverbe « exclusivement » spatial alors que l'on observe pour ici, par exemple, des incursions récurrentes et spontanées dans le temps, ce que prouvent les exemples suivants :
26a) « Quelques heures plus tard, Françoise put une dernière fois et sans les faire souffrir peigner ces beaux cheveux qui grisonnaient seulement et jusqu'ici / * jusque là-bas avaient semblé être moins âgés qu'elle. » (Proust M., 1921, La Recherche : du côté de chez Guermantes) ;
27a) « Aussi avais-je eu tout de me confiner jusqu'ici / *jusque là-bas dans les derniers recueils d'Hugo » (ibid.)

Jeanne-Marie BARBERIS


DEIXIS SPATIALE ET « TRANSFERTS D'ORIGO » DANS LES DESCRIPTIONS D'ITINERAIRES PIETONS
L'étude porte sur les repérages déictique dans les descriptions d'itinéraires piétons. Le corpus a été recueilli dans la rue à micro caché et à caméra cachée. Il présente l'avantage d'une collecte abondante de petits échanges brefs, obtenus à partir d'une demande identique. On se consacrera à la description du trajet proprement dite, c'est-à-dire à la réponse donnée par l'informateur au demandeur d'information. Sans méconnaître le rôle crucial joué par les conduites gestuelles pour construire l'itinéraire, l'étude est centrée sur le matériel verbal et sur un examen transversal des déictiques spatiaux dans le corpus.

Soit la description suivante (itinéraire B3/Castellane 7) :
1. E3 euh l'église Saint Roch s'il vous plaît
2. I1 euh l'église Saint Roch (vite) (3) l'église Saint Roch l'église Saint Roch (3) i faut descendre par là: (geste d'abord à gauche puis pivote un peu à droite vers la rue Bras-de-Fer)/ (oui E3) en fait vous prenez la petite rue qui descend là (hm hm E3) / vous tombez sur une::: toute petite rue qui s'appelle la rue de l'Ancien Courrier / (hm hm E3) vous tournez sur votre gauche // (gauche E3) et: après à droite (rue Voltaire) des petites rues vous tombez sur l'église Saint Roch
3. E3 gauche et droite (voilà I1) / d'accord // merci

A priori, on peut y distinguer deux types de deixis :
celle qui s'appuie sur une origo primaire, ancrée dans le lieu de l'interaction, et basée sur l'observation de l'environnement visible, ou sur le pointage vers un espace non visible mais appréhendable derrière les éléments du décor qui font écran ;
celle qui s'appuie sur la séquence descriptive des étapes du trajet. Dans ce cas, l'environnement n'est plus pertinent, et ce sont le éléments verbalisés ou dessinés par geste qui créent un nouveau décor, évoluant à mesure que la séquence avance. Dans cette partie séquentielle de l'itinéraire, on peut parler, à la suite de Bühler, de transfert d'origo, pour désigner la source du pointage déictique qui se déplace d'étape en étape.

Tel est le cadre de départ de la réflexion, qu'on sera amenée à compléter et à discuter.

Georges KLEIBER


COMMENT FONCTIONNE ICI
Tout le monde est d'accord pour voir dans les adverbes spatiaux ici, là, là-bas des déictiques ou des embrayeurs. Presque tout le monde aussi pense que cette caractérisation règle le problème. La preuve en est que, même si l'espace est actuellement à la mode chez les linguistes, ce sont surtout les prépositions, les adjectifs et les noms spatiaux qui retiennent l'attention. La deixis spatiale n'a en effet guère donné lieu à des études novatrices semblables à celles que connaît le reste du lexique de l'espace. En faisant d'ici un déictique qui renvoie au lieu du locuteur, l'affaire semble le plus souvent entendue et l'on ne s'attache nullement à expliciter de façon précise comment ici conduit à son référent spatial.
Comme le titre de notre communication l'indique, notre objectif sera de décrire de façon très précise le fonctionnement du spatial ici en analysant chaque étape de son processus référentiel. Comme nous l'avons fait dans nos études antérieures sur les adverbes spatiaux, nous adopterons une conception token-réflexive de cette expression qui nous permettra, d'une part, de montrer qu'ici a des emplois beaucoup plus variés que ceux qu'on lui associe habituellement et, d'autre part, de mieux dessiner les relations qu'il entretient avec là et là-bas.